Nous sommes le 16 Novembre. Saad Hariri, ancien premier ministre du Liban, vient enfin d’accepter l’offre du président Macron de venir en France après deux semaines d’une crise diplomatique intense entre Riyad et Beyrouth. Tout avait commencé par l’annonce surprise de la démission du premier ministre libanais depuis la capitale saoudienne le 4 novembre dernier provoquant un séisme politique au Liban. Depuis, Saad Hariri est resté au pays des Saoud pour « sa sécurité » se disant menacé par le Hezbollah et l’Iran. L’accusation n’est en soit pas surprenante tant la milice chiite aidée par « les gardiens de la révolution » iraniens a régulièrement assassiné ses ennemis politiques dont le père de Saad, Rafik Hariri en 2005.

Il y a pourtant dans la démarche de Saad Hariri des zones d’ombre qui laissent à penser que cette démission doit être replacer dans un dessein plus large. Que ce soit par la tonalité « étrange » du discours du 4 Novembre où que ce soit par la rareté des apparitions publiques du leader libanais, toute cette affaire sent le parfum amer de la manipulation. J’en suis d’ailleurs convaincu, Saad Hariri a été l’objet d’une tentative de déstabilisation saoudienne dans la région.

 

La situation au Liban

Avant de comprendre le jeu ambigu de l’Arabie Saoudite, il nous faut prendre en compte la situation du Liban pour essayer de déterminer si les « menaces » dont Saad Hariri se dit avoir fait l’objet sont fondées ou pas.

Premièrement, il est clair que le Liban traverse une période difficile. La guerre civile en Syrie est une catastrophe pour Beyrouth tant la Syrie jouait un rôle de « grand frère » pour le pays depuis les accords de Taef en 1989. Il faut toujours avoir à l’esprit que l’armée syrienne occupait le pays jusqu’en 2005 laissant une influence politique durable dans le pays. Le Liban est d’autant plus concerné par l’affaire syrienne que la composition ethnique y est quasi similaire d’où une crainte latente de voir les affrontements syriens se déporter vers le Liban. On retrouve de fait à Beyrouth des communautés alaouites et chiites qui soutiennent Assad et des communautés sunnites qui au contraire soutiennent les rebelles.

De même, l’arrivée d’un million de réfugiés syriens n’a fait qu’accroître les tensions dans un pays déjà pauvre dont l’Etat est incapable de fournir un minimum de sécurité à ses citoyens. Il existe donc un vrai risque d’exportation de la guerre civile syrienne vers le Liban.

Cependant, pour l’instant, le Liban reste étrangement uni. Sans doute le souvenir de la précédente guerre civile (1976-1992) joue un rôle de frein aux velléités guerrières mais la raison tient davantage à la classe politique libanaise qui a réussi pour l’heure à gérer habilement les tensions. La nomination, elle-même, de Saad Harari en tant que premier ministre visait justement à créer une forme d’unité nationale.

Le fait est qu’aucun des groupes politiques libanais ne souhaitent le conflit. Pour les sunnites, hormis quelques radicaux islamistes, un conflit serait une impasse tant cette communauté est minoritaire démographiquement. Pour les chrétiens maronites, toute instabilité conduirait à la situation de l’Irak ou de la Syrie dans lequel les chrétiens sont massacrés par des groupes islamistes. Enfin, pour le Hezbollah chiite, sa stratégie consiste à ne surtout pas exporter le conflit syrien au Liban étant donné que la milice pro-iranienne est déjà engagée fortement en Syrie.

Aucun des acteurs n’a dès lors intérêt à créer le chaos au Liban. Par conséquent, prétendre que Saad Hariri est « menacé » pour ses opinions anti-Assad est soit exagéré, soit une pure invention.

 

Une purge chez les Saoud

L’argument de la sécurité de l’ancien premier ministre pose donc quelques questions d’autant plus que le président libanais Michel Aoun n’affirme n’avoir reçu aucune information concernant une tentative d’assassinat contre son premier ministre.

En réalité, la raison de cette démission surprise se trouve à Riyad où au même moment se déroule une purge sans précédente. Le 3 Novembre, soit le jour même de l’arrivée de Hariri dans la capitale saoudienne, près de deux-cents hommes d’affaires, princes ou ministres sont arrêtés en Arabie Saoudite pour corruption. Cette purge vise avant tout à éliminer des opposants politiques au nouveau prince héritier, Mohamed Ben Salmane, « MBS », et leurs soutiens dans les milieux d’affaires.

La légitimité en tant qu’héritier au trône du fils du roi Salmane n’est en effet guère acceptée au sein de l’establishment saoudien. Premièrement, Ben Salmane a pris la place dans l’ordre de succession du prince Mohamed Ben Nayef qui comptait de nombreux soutiens à Riyad. Deuxièmement, ce type de procédure est plutôt rare au royaume wahhabite, dont la succession est adelphique (passant de frères en frères) et remet donc en cause l’équilibre tribale de la monarchie. Enfin, MBS souhaite mettre en œuvre un plan de modernisation tant économique que sociétale lésant de nombreux intérêts et notamment ceux du clergé wahhabite. Il apparaît donc que les arrestations du 3 Novembre soient la conséquence de cette « guerre civile » interne au sein de la famille Saoud.

Or, Saad Hariri possède la double nationalité libanaise et saoudienne du fait de son père Rafik qui fut le principal promoteur immobilier de la famille royale saoudienne durant le règne du roi Fahd (1982-2005). Les Hariri sont donc liés fortement financièrement au clan de l’ancien roi Fahd, clan qui justement fait l’objet de la purge engagée par le prince Ben Salmane. Le premier ministre libanais est donc une victime collatérale de la lutte de pouvoir à Riyad.

 

Une affaire sous fond de rivalité irano-saoudienne

Saad Hariri est victime, selon moi, de la purge saoudienne du 3 Novembre dernier. Mais l’affaire ne s’arrête pas là car celle-ci a lieu dans un contexte régional tout particulier. Je n’expliquerai pas dans cet article tous les tenant et les aboutissants de la rivalité irano-saoudienne car cette dernière a déjà fait l’objet d’un certain nombre de mes articles. Par contre, cette rivalité explique en partie le traitement subi par l’ancien premier ministre du Liban.

Le pays est en effet soumis à lutte d’influence entre les deux pays, les saoudiens soutenant les partis sunnites tandis que l’Iran contrôle le Hezbollah. Le parti de Hariri est lui-même financé par les saoudiens. Pourtant, la décision de Saad Harari de se mettre à la tête d’un gouvernement d’union national avec le soutien du Hezbollah a provoqué la consternation à Riyad.

C’est que pour les saoudiens, l’Iran ne fait qu’avancer ses pions dans la région dominant l’Irak depuis la chute de Saddam Hussein et soutenant largement le mouvement Houthiste au Yémen. Or, c’est dans ce contexte de défaite diplomatique qu’accède au pouvoir une nouvelle génération de dirigeants, Mohamed Ben Salmane en Arabie Saoudite et Mohamed Ben Zayeb aux Emirats Arabes Unis. Pour ces deux princes héritiers, les monarchies du golfe ont été trop complaisantes vis-à-vis de l’Iran ces dernières années et prônent à l’inverse davantage de dureté face à Téhéran. Ben Salmane est ainsi celui qui a poussé son père à intervenir au Yémen, une première pour un pays qui compte habituellement sur les Etats-Unis pour se défendre.

Cette stratégie plus ferme a reçu l’appui de Donald Trump lors de son voyage à Riyad prônant un front uni anti-iranien avec Israël et l’Egypte. Pour Ben Salmane, il est donc inconcevable que Saad Hariri puisse se mettre d’accord avec le Hezbollah. Il le considère ainsi soit comme un traître soit comme un imbécile offrant le Liban à l’influence iranienne. Contraindre le premier ministre libanais, c’est donc s’attacher à briser l’union nationale libanaise et ainsi replacer la communauté sunnite libanaise dans l’orbite saoudienne.

 

Comme nous pouvons le voir, l’affaire Hariri n’est pas la conséquence d’un climat d’insécurité à Beyrouth mais le double produit d’une lutte interne à Riyad et d’une rivalité géostratégique entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Malheureusement, cette affaire met en péril la stabilité du Liban. Il est donc primordiale de voir Saad Hariri revenir dans son pays et c’est dans l’intérêt de la France et de la région de tout faire pour garantir son retour.

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