Quelle politique européenne face à la Chine ?

Quelle politique européenne face à la Chine ?

Quelle sera l’attitude de l’Union européenne vis-à-vis de la montée en puissance chinoise ? 24 h après avoir discuté du Brexit, les chefs d’Etat européens se sont réunis à Bruxelles pour répondre à cette question primordiale qui engage non seulement l’actualité présente de l’Union mais également sa capacité à devenir un acteur stratégique dans le monde. Face à une Chine qui s’affirme de plus en plus sur la scène internationale, il devient en effet urgent de revoir les paradigmes qui sous-tendent la relation Bruxelles-Pékin sous peine de voir l’Europe être complètement marginalisée dans un futur proche.

L’objectif de cet article sera ainsi de dégager une stratégie réaliste pour aider l’Europe à surmonter ce « défi chinois ».

 

I) Un changement de paradigme dans la relation sino-européenne

Depuis 1975 et l’établissement de liens diplomatiques entre la communauté économique européenne et la Chine, les européens ont souvent fait preuve de naïveté, voire même d’indifférence quant à l’émergence de Pékin. Persuadés que l’ouverture économique allait renforcer le libéralisme et la démocratie, ils ont délibérément fermé les yeux sur les pratiques déloyales menées par les dirigeants chinois. En 2003 fut ainsi signé un partenariat stratégique entre les deux entités sans qu’une seule fois l’Europe ne réclame une quelconque réciprocité dans les échanges. Tandis que l’Union ouvrait en grand son marché, la Chine imposait par exemple que les entreprises européennes s’allient avec une entreprise locale dans le cadre d’une joint-venture pour accéder à son marché et au passage piller leurs technologies.

Heureusement, depuis 2016, les européens ont, semble-t-il, pris conscience de ce problème. La volonté d’introduire un « mécanisme de surveillance des investissements étrangers » par la commission fut dans cet optique un véritable tournant. Délaissant leurs postures optimistes, les européens ont donc renoué avec une posture réaliste faisant de la Chine un « rival stratégique » comme le note le dernier communiqué de presse de la commission.

Il est vrai que les actions de Pékin n’ont absolument pas confirmé les espoirs placés dans la libéralisation économique. En plus des questions de transferts de technologie et de distorsions de concurrence, la Chine mène de facto une politique agressive en mer de Chine Méridionale tandis que son projet de « nouvelles routes de la soie » est critiqué pour son aspect « hégémonique ».

Confrontés à ce nouveau défi, les européens doivent dorénavant s’accorder sur une stratégie commune qui soit à la fois plus réaliste économiquement et moins naïve stratégiquement.

 

II) Une nouvelle stratégie pour l’Europe

Au fond, dans le cadre d’un partenariat renouvelé avec la Chine, l’Europe doit absolument éviter deux écueils tout aussi périlleux l’un comme l’autre. Le premier serait de rester figé sur une vision naïve de l’émergence chinoise et ainsi de mettre de côté le défi stratégique que pose Pékin. Le second serait à l’inverse de voir dans la montée en puissance de la Chine un danger pour le monde qu’il faut à tout prix juguler comme le pensent trop souvent les élites américaines. En d’autres termes, l’Europe ne doit être à la fois ni bisounours ni va-t’en-guerre vis-à-vis de Pékin.

Ne pas être bisounours, c’est tout simplement exiger des chinois le principe de réciprocité dans les échanges commerciaux. Le virage mené par Xi Jinping en faveur d’une économie des « champions nationaux » dopés aux subventions de l’Etat n’est en cela plus acceptable, tout comme les obstacles dont souffrent les investisseurs étrangers. Dans l’autre sens, tant que la réciprocité ne sera pas mise en œuvre, les européens ne devront pas à hésiter à protéger leurs actifs stratégiques de la voracité chinoise. C’est pourquoi les 10 mesures annoncées par la Commission le 12 Mars dernier vont dans le bon sens, notamment en ce qui concerne la sécurité de nos industries technologiques.

Mais pour pouvoir espérer peser face à la Chine, autant faut-il se mettre d’accord au sein des 27. La signature par l’Italie d’un accord cadre pour intégrer les « routes de la soie » chinoises est dans cet optique d’autant plus regrettable que le conseil européen du 22 Mars visait précisément à adopter une position commune des états membres. Prise exclusivement par des considérations financières, Rome n’a en réalité pas compris l’importance du levier européen pour négocier « d’égal à égal » avec un pays aussi puissant que la Chine. Seule une Europe unie est en effet en mesure de résister au rouleau-compresseur chinois. Y aller seul comme l’Italie l’a fait c’est s’assurer une position de faiblesse dans la table des négociations.

Cependant, si l’UE doit nécessairement se convertir à davantage de réalisme, il serait une erreur d’adopter une politique d’hostilité envers Pékin, comme l’a fait Washington. D’une part, l’Europe n’a pas la puissance de feu économique et militaire qu’ont les Etats-Unis. D’autre part, la Chine est un partenaire indispensable de l’Europe dans des domaines aussi déterminants que la lutte contre le réchauffement climatique ou encore la non-prolifération nucléaire sans parler de l’interdépendance de nos économies. La bonne stratégie serait alors de forcer Pékin à appliquer les mêmes règles que ses partenaires et à jouer le jeu du multilatéralisme.

Pour atteindre cet objectif, les européens devraient lancer des initiatives concrètes dans les instances multilatérales comme à l’OMC où avec le soutien du Canada, du Japon ou encore des pays de l’ASEAN ils pourraient pousser la Chine à se plier aux règles commerciales communes. De même, en mer de Chine Méridionale, les européens, à l’instar de la France, doivent soutenir l’initiative Indo-japonaise, appuyée par l’ASEAN et l’Australie, « d’un espace Indo-Pacifique libre et ouvert » pour rappeler aux chinois le principe de liberté de navigation inscrite dans la Convention sur les droits de la mer qu’ils ont par ailleurs eux-mêmes signé.

A l’inverse, une politique de « bloc » et « d’endiguement » qui consisterait comme le fait Washington à voir dans toutes politiques chinoises une menace sur la stabilité mondiale ne peut mener que dans le mur. Au lieu de considérer la montée en puissance de la Chine comme un danger, les européens devraient au contraire se féliciter de l’avènement d’un monde plus équilibré et multipolaire où les Etats-Unis n’imposeraient pas leur suprématie. Seulement, cette émergence sur la scène internationale ne doit pas se faire au détriment du multilatéralisme et du droit international. Ainsi, plutôt que de saper le décollage chinois, les européens devraient tout faire pour transformer enfin Pékin en ce que les anglo-saxons nomment un « responsible stakeholder » (partenaire responsable). D’ailleurs, l’Europe, en tant qu’incarnation du multilatéralisme, n’est-elle pas au fond la mieux placée pour mener à bien ce projet ?