La Comédie des Modernes : Du sens de l’histoire

La Comédie des Modernes : Du sens de l’histoire

Lorsque vous demandez à un partisan de la PMA pourquoi celle-ci doit être étendue à toutes les femmes, il vous répondra : « c’est le sens de l’histoire ! ». Lorsque vous demandez pourquoi faut-il continuer cette folie qu’est l’Europe, on vous répondra pareillement : « C’est le sens de l’histoire ! ». François Hollande lui-même disait que « sortir de l’Europe, c’était sortir de l’Histoire ». Rien que ça !

Voilà que l’Histoire est invoquée à toutes les sauces en vue de justifier toutes les conneries de l’homme moderne. Rien de plus gratifiant, en effet, de se dire du bon côté de l’histoire. Etre dans le sens de l’histoire, c’est au fond l’assurance de connaître avant tout le monde le secret de l’avenir. C’est d’être persuadé de savoir à l’avance les tenants et les aboutissants du destin de l’humanité. En bref, c’est la conviction de se transformer en véritable prophète.

Comme Isaïe prophétisant la venue du Messi, l’homme moderne* sait déjà ce que l’avenir sera fait. Il sait qu’il a raison et que vous vous avez tort. S’opposer à lui ne sert à rien, l’histoire vous condamnera de toute façon. Le sens de l’histoire est en fait la justification ultime des crimes de l’homme moderne, lui qui détruit toute spiritualité, toute culture, toute communauté pour ne laisser place qu’à un consommateur convulsif sans âme et sans intelligence. Avec ce divin sens de l’histoire, le moderne réalise en réalité son plus grand rêve : continuer ses méfaits en écrasant, dans sa plus grande satisfaction, toutes facultés de pensée.

 

Des origines du sens de l’histoire

Comme souvent, l’homme moderne tire du Christianisme son terrible penchant pour un « sens de l’histoire ». On peut comprendre d’ailleurs pourquoi il hait autant cette religion. Le Christianisme n’est au fond que ce père, à qui l’homme moderne doit tout mais qu’il doit piétiner la mémoire pour se dire qu’il existe par lui-même. Ce fut donc la promesse faite par Yahvé à Abraham (1) que date véritablement le « sens de l’histoire » et son corollaire l’idéologie du progrès. Dès lors, l’histoire n’est qu’une longue ligne droite censée déboucher sur l’arrivée du Messi et l’établissement du Royaume de Dieu sur terre.

Le « sens de l’histoire » n’est autre que la version profane de ce schéma chrétien. L’homme moderne se convainc ainsi que chaque pas avant, chaque « innovation », est un pas supplémentaire vers la société idéale. De Condorcet à Marx en passant par Hegel, de grands esprits vont croire à cette eschatologie prenant chez eux le nom de « progrès », de « matérialisme historique » ou encore de « fin de l’histoire ».

L’homme moderne serait ainsi l’espèce la plus brillante qu’est connue l’humanité, supérieure aux Grecs et aux Romains, et que dire du Moyen-Âge transformé en « poubelle de l’histoire » (2). Les hordes de consommateurs dingos qui pullulent dans ces cathédrales modernes que sont les centres commerciaux, sont dès lors bien plus évolués que le citoyen Athénien qui débat sur l’Agora. De même, Daniel Cohn-Bendit et Jack Lang (3) sont, on le sait, infiniment supérieurs à ces ringards de la pensée que sont Platon ou Aristote.

 

L’histoire a-t-elle un sens ?

On voit là toute l’absurdité du raisonnement. En fait, grâce à cette merveilleuse trouvaille d’un « sens de l’histoire », l’homme moderne se persuade de sa supériorité au moment même où sa civilisation est sur le point de mourir. Il saute, pour ainsi dire, avec satisfaction et sourire aux lèvres, dans le propre vide qu’il a contribué à créer. Car qui peut croire un instant que le moderne est supérieur à ces ancêtres ? Qui peut penser sérieusement que l’homme a progressé intellectuellement depuis que Christine Angot et Caroline De Haas parcourent les écrans de télévision ?

C’est que l’histoire, loin d’être linéaire vers une société idéale, est à l’inverse cyclique empruntant des chemins divers entre expansion et déclin, âge d’or et décadence. Déjà, les Romains se considéraient comme une civilisation indépassable ne pouvant connaître ni d’effondrement ni de fin. Ce furent pourtant des barbares, sous-civilisés, qui ont détruit Rome. On peut comprendre la réaction horrifiée d’un Saint-Augustin en voyant les ruines de cette civilisation. « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », écrivait déjà Paul Valéry.

La nôtre est en fait déjà morte. Son génie tenait au mariage entre le Christianisme et les nations qui la composaient. Les deux ont disparu laissant comme à Rome un champ de ruines, non plus cette fois matériel mais spirituel et moral. L’homme moderne est un cadavre ambulant dont l’avoir s’est substitué à l’être tout en s’illusionnant sur la supériorité intrinsèque de sa vie pathétique. Il n’y a donc aucune raison d’être optimiste. Au contraire, le « sens de l’histoire » consiste à aller toujours plus loin dans notre médiocrité, le tout se faisant, cela va de soi, sous le règne de la nécessité et de l’auto-satisfaction.

 

Sens de l’histoire et esprit critique

Raymond Aron fut le premier à voir toute la dangerosité de l’affirmation d’un « sens de l’histoire ». Il est vrai que lorsqu’il écrit L’opium des intellectuels, les Sartre, Merleau-Ponty et compagnie, vaches sacrées des idiots modernes, justifient les crimes communistes par la nécessité historique. Staline a ainsi liquidé des millions de paysans au nom de ce sacro-saint « sens de l’histoire ». Aron avait donc toutes les raisons de se méfier de ce meilleur des mondes promis par les modernes.

Pour lui, l’Histoire ne connait pas cet enchaînement progressiste qui fascine tant la Gauche. A l’inverse, il écrivait que « nul vivant n’en saisit le sens dernier ». Mais le plus grave, incontestablement, c’est la croyance du moderne de connaître la vérité historique au point que « seuls se dressent contre l’avenir qu’il incarne les attardés ou les cyniques ». Il n’y a dès lors plus de débat à avoir, tout est déjà écrit.

Comment, en effet, s’opposer à telles ou telles évolutions sociales ou sociétales si ces dernières sont revêtues de la nécessité historique ? Comment s’opposer à un monde rempli de fous qui s’arrogent le droit de connaître le secret de l’avenir ? Pour tout homme qui ose critiquer le monde moderne, cela est impossible. Il lui arrive même comme les « Koulaks » soviétiques d’être considéré comme un intolérable « homme du passé », ultime obstacle devant « la nécessité du progrès ». Rien n’est plus odieux aujourd’hui que de se voir traiter de « conservateur », de « nostalgique », et pire de « réactionnaire ».

La folie du « sens de l’histoire » a dorénavant contaminé presque que l’ensemble de la société. Comme Orphée (4), l’homme moderne ne peut regarder en arrière, dans le passé, sous peine d’être exclu du « cercle de la Raison ». Critiquer la modernité revient à mettre la cause le dogme infaillible de l’homme moderne pour qui tout, absolument tout, est mieux aujourd’hui qu’hier et demain sera mieux encore qu’aujourd’hui. Le moderne est en réalité un escroc, un mage de l’illusion. En se croyant le produit le plus sublime de l’histoire, il n’est que la figure pitoyable et grotesque d’une civilisation qui s’effondre. Le pire, c’est qu’il dégueule ses saloperies sur tous les toits, se vantant, dans une « bienveillance » assassine, de détruire ce qui reste à l’homme d’humanité.

 

(1) Dans Genèse 15 :1-7, Yahvé promet à Abraham que sa descendance sera nombreuse et s’établira au pays de Canaan.

(2) L’expression est de l’excellent médiéviste Jacques Le Goff. Son objectif fut de lancer un pavé dans la mare à tout ce qui regarde le Moyen-Age comme une époque sombre et cruelle alors qu’elle fut indiscutablement un grand moment d’effervescence intellectuelle. Il est intéressant aujourd’hui de voir les modernes de représenter dans tout passé ces Dark Ages alors qu’ils n’ont pas ne serait-ce qu’un dixième de la profondeur intellectuelle de leurs ancêtres.

(3) Daniel Cohn-Bendit et Jack Lang sont les deux représentants les plus caricaturaux de l’homme moderne. Conformistes, rebelles de pacotille, chevaliers de l’apocalypse du politique, pro-européens, c’est-à-dire anti-européens, défenseurs du Bien, c’est-à-dire du Mal, ils sont pour moi le Malleus Maleficarum des temps modernes. Le plus drôle, c’est qu’ils sont considérés comme d’authentiques démocrates. Il suffit pourtant de voir les campagnes odieuses de ces deux hommes dès lors qu’un homme de bon sens les critique pour s’apercevoir que chez eux la Démocratie se résume à leur lécher les bottes. Thierry Le Luron a pu le constater dans les années 80.

(4) Pour comprendre le complexe d’Orphée du Moderne, lire l’excellente préface du toujours excellent Jean-Claude Michéa dans son livre qui s’intitule justement Le Complexe d’Orphée, La Gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès. Michéa est sans doute l’un des tout derniers esprits critiques de notre temps. C’est d’ailleurs pourquoi il n’est jamais invité sur les tableaux de télévision.