La Russie : alliée ou ennemie de la France ?

La Russie : alliée ou ennemie de la France ?

La visite du président russe a souvent tourné à la polémique. La dernière en date celle du 29 mai 2017 ne fait pas exception. Après tout, pourquoi faire tant d’honneur à Poutine ? Pourquoi l’inviter au Trianon, ce joyau de l’architecture française qui plaisait tant à Marie-Antoinette ?

C’est qu’Emmanuel Macron a très bien compris comment fonctionne la diplomatie. Il ne faut jamais oublier que la manière dont on reçoit un chef d’état étranger est aussi important que les pourparlers diplomatiques eux-mêmes. Inviter Poutine à Versailles, c’est donc lui montrer que son pays compte. De même, le président Macron est un homme d’histoire. Il sait qu’il y a 300 ans presque jour pour jour le tsar Pierre Le Grand effectua une tournée triomphale dans le royaume capétien. Rencontrant Madame de Maintenon, la seconde épouse de Louis XIV, il s’est mis sur les traces des personnes qui ont côtoyé le roi soleil qui a toujours été son modèle. Cette visite fut si triomphale que Saint-Simon pouvait écrire que la France regarda le tsar comme « un prodige dont elle demeura charmée ».

Surtout, Pierre le Grand est le symbole d’une Russie tournée vers l’Europe. Il fit construire sur les bords de la Neva ce qui deviendra plus tard Saint-Pétersbourg servant « de fenêtre sur l’Europe » comme il aimait à le dire. Il définira lui-même la frontière du continent européen sur l’Oural.

Le fait d’accueillir Poutine sous le patronage historique de Pierre le Grand, c’est donc pour Macron envoyer un signal très clair. Oui, la Russie fait partie de cette « maison commune européenne ». Oui la Russie peut être un partenaire dans le futur. Je pense que cette stratégie est la bonne même si des obstacles ne vont pas tarder à apparaître.

Peut-on considérer la Russie comme un allié ?

 

I) La Russie : pays dans l’histoire à la fois allié et ennemi

Pierre le Grand fut le grand inspirateur du tournant occidentaliste de la Russie. Mais plus important encore, il a fait entrer la Russie dans le concert des grandes puissances européennes. Son successeur Catherine II continuera cette politique. Pendant la guerre de sept ans (1765-1772), cette dernière s’alliera ainsi avec la France et l’Autriche contre l’Angleterre et la Prusse. Diderot et Voltaire seront alors les symboles de cette amitié franco-russe.

Plus tard, la Révolution française n’affectera pas cette amitié. Il faudra vraiment attendre Napoléon pour voir pour la première fois s’affronter français et russes. Austerlitz, Friedland, Eylau, Borodino, toutes ces batailles légendaires nourriront l’imaginaire des deux peuples. Pourtant, malgré l’invasion de son pays, le tsar Alexandre sera particulièrement bienveillant envers les français. Pétrie de culture des Lumières, il admirait tellement notre pays qu’il s’est opposé aux plans de l’anglais Wellington et du prussien Blücher qui voulaient faire payer à la France son épopée napoléonienne.

Malheureusement, les romantiques et les révolutionnaires vont faire de la Russie le pays réactionnaire par exemple. Dénonçant la « sainte-alliance », ils vont imprimer l’image d’un pays arriéré, conservateur et archaïque. C’est d’ailleurs à cette époque que le marquis de Custine publie son célèbre pamphlet antirusse Lettres de Russie. Cette Russophobie trouvera un débouché dans la Guerre de Crimée (1853-1856).

C’est pourtant quelques années plus tard que les relations franco-russes vont connaître leur âge d’or. Traumatisés par la capitulation de Sedan devant les Prussiens de Bismarck, les français vont trouver en la Russie cet allié de revers au Reich Allemand. Le traité signé en 1892 inaugure alors une ère de rapprochement sans précédent entre les deux peuples. Les français seront éblouis par les ballets russes, les romans de Dostoïevski ou encore les pièces de théâtre de Tchekhov tandis que leur épargne ira financier le transsibérien et l’industrie russe.

En 1914, c’est l’offensive russe sur Tannenberg permettant d’immobiliser la moitié des forces allemandes qui rend possible la victoire française sur la Marne. Malgré la révolution bolchévique de 1917, la Russie sera une nouvelle fois l’allié naturel de la France contre les nazis, en tout cas à partir de 1941*. On ne peut d’ailleurs pas penser la politique conciliante de De Gaulle envers les soviétiques sans avoir à l’esprit que pour lui s’il n’y avait pas eu Stalingrad, la libération de la France aurait été impossible.

Si la Russie et la France sont des alliés naturels dans l’adversité, ils ne sont pas amis pour autant. L’indépendance de la Pologne a été ainsi pendant longtemps un point de discorde entre les deux pays. De Gaulle avait lui-même combattu en faveur de cette indépendance face à l’armée rouge de Trotski en 1920. De même, lors de la crise des missiles de Cuba puis devant la construction du mur de Berlin, le général avait soutenu résolument le camp occidental.

La Russie a donc bien souvent été davantage un allié qu’un ennemi de la France. Les deux pays ont historiquement noué des liens culturels très forts propices à des influences mutuelles. Néanmoins, ces deux pays entretiennent des relations ambivalentes qu’on pourrait ne qualifier de « ni ami, ni ennemi », c’est-à-dire une forme d’estimation mutuelle teintée d’absence de confiance réciproque.

 

II) Les divergences franco-russes

N’étant ni notre allié ni notre ennemie, la Russie n’en joue pas moins un rôle essentiel dans les affaires du monde. La relation franco-russe permettait à la France d’avoir un dialogue constructif avec le pays des tsars. Or, cette relation s’est fortement détériorée depuis l’élection de François Hollande en 2012. L’annulation des ventes des Mistrals, l’adoption de sanctions économiques ou encore l’imbroglio diplomatique entourant l’inauguration d’une nouvelle église orthodoxe russe près de la Tour Eiffel, on ne compte plus les couacs entre François Hollande et Vladimir Poutine. Emmanuel Macron hérite donc d’une situation difficile face à la Russie. Il a brillamment voulu remettre en selle cette relation franco-russe lors du trois centièmes anniversaires de la visite de Pierre le Grand à Paris. Néanmoins, cette volonté peut trouver sur son chemin deux obstacles : l’Ukraine et la Syrie.

En Ukraine, l’accord de Minsk doit être respecté. Il prévoit notamment une autonomie des régions séparatistes de Lougansk et Donetsk et l’établissement de nouvelles élections. Or, aucune des deux parties ne respectent ces engagements. La France, garante de l’accord de Minsk, doit faire tout son possible pour pousser le gouvernement Porochenko à respecter les termes de l’accord, principalement le projet de décentralisation des régions séparatistes. D’autre part, si elle souhaite que la partie russe respecte sa partie de l’accord, la diplomatie française doit s’assurer que l’Ukraine n’intégrera jamais l’OTAN. Ce programme dit de « finlandisation » de l’Ukraine ne pourra réussir qu’avec l’accord de Washington. Le fait que Trump soit président représente d’ailleurs une opportunité, ce dernier cherchant une certaine « détente avec Moscou ». En tout cas, la France pourrait jouer le rôle d’intermédiaire rassurant les russes d’un côté et convaincant les américains d’abandonner toute prétention de l’OTAN sur l’Ukraine de l’autre. Ce scénario est le seul qui puisse apporter la paix à ce pays sur le long-terme.

Le second point de désaccord franco-russe concerne le dossier syrien. La France souhaite en effet le départ de Bachar Al-Assad et la disparition du califat de l’EI. Les russes quant à eux ne veulent surtout pas d’un effondrement de l’Etat syrien qui pourrait compromettre leurs bases maritimes (Tartous) et aériennes (Lattaquié), d’où le fait qu’ils visent davantage les rebelles que l’Etat Islamique Pour trouver un plan pour la paix en Syrie, il faudra pour la France accepter les exigences russes en matière de maintien des structures du parti Baas. Un scénario à l’Irakienne serait ainsi la pire des solutions. En échange, la Russie pourrait très bien abandonner Bachar qui serait remplacé par une personnalité plus consensuelle. Le choix de cette personnalité pourrait être déterminé après des négociations entre les parties prenantes. Une fois la Russie rassurée sur ses positions en Syrie, elle sera encline à aider la France pour combattre véritablement l’Etat Islamique. La France devra donc revoir sa position sur le conflit syrien, elle devra non plus exiger la fin du régime syrien mais devra s’atteler en coopération avec les russes à faire émerger une personnalité de ce même régime capable de former un gouvernement d’union nationale à la place de Bachar.

 

Par conséquent, Emmanuel Macron devra se monter moins dogmatique que son prédécesseur envers la Russie. Il lui faudra renier avec la tradition française qui considère la Russie ni comme un allié ni comme un ennemi mais comme une puissance dont les intérêts doivent être respectés. Sur l’Ukraine, la France doit s’efforcer de mettre hors-jeu les prétentions américaines « d’otaniser » ce pays. Sur la Syrie, la diplomatie française devra prendre en compte l’intérêt immédiat des russes, à savoir ne pas voir l’Etat syrien s’effondrer comme son homologue irakien en 2003. Ce n’est qu’en prenant en compte ces paramètres que puisse se forger un véritable dialogue constructif entre la Russie et la France.

*Avant le 22 juin 1941, l’URSS était allié du Reich hitlérien. Molotov, ministre des affaires étrangères, avait qualifié l’invasion de la France comme « d’un splendide succès ».

Derrière l’affaire Comey : le délire russophobe d’une partie de l’Amérique

Derrière l’affaire Comey : le délire russophobe d’une partie de l’Amérique

L’affaire fait les gros titres aux Etats-Unis. Depuis le limogeage du directeur du FBI James Comey, la présidence de Donald Trump semble plus que jamais en sursis. Officiellement, l’affaire débute avec le renvoi du conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn. Ce dernier faisait l’objet d’une enquête du FBI pour « collusion avec la Russie ». Cette enquête a ensuite été étendue à d’autres proches de Trump. Or, le limogeage du patron du FBI fut la goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà bien rempli.

Si Donald Trump n’est pas exempt de reproches, le fond de l’affaire me paraît totalement scandaleux. La principale accusation porte en effet sur les liens avec la Russie qu’entretenait l’équipe Trump avant la campagne. Serait-ce dorénavant un crime pour un candidat de voir son équipe dialoguer avec des officiels russes ? Surtout si ce candidat s’est déclaré en faveur d’un rapport amical avec Moscou ?

Pour les médias (une grande partie d’entre eux) et l’establishment washingtonien, le seul fait de parler avec un officiel russe devient un acte de haute trahison. L’élu démocrate Adam Schiff pouvait même dire : « Si la campagne Trump, ou toute personne qui y était associée, a aidé ou encouragé les Russes, cela ne serait pas seulement un crime sérieux, cela représenterait l’une des trahisons les plus choquantes de l’histoire de notre démocratie ». Rien que ça ! On se croirait revenir au temps du Maccarthysme !

C’est que Poutine représente le mal absolu, il est même l’incarnation du diable pour les médias américains. Ce serait lui qui gouverne en secret l’Amérique. Le magazine Time a même réalisé une une montrant la maison blanche encastrée dans la forteresse du Kremlin. Les russes seraient ainsi à l’origine de l’affaire des e-mails d’Hilary Clinton. Rappelons que c’est le FBI qui a sorti cette affaire, mais c’est bien connu le FBI est infiltré d’agents russes ! Les russes auraient même piraté le site du parti démocrate. La CIA dit avoir des « soupçons » mais aucune preuve tangible. De toute façon, à Washington le simple soupçon devient une preuve du complot poutinien ! Enfin, ils auraient truqué l’élection. Après plus d’un moins de recomptage des voix dans le Wisconsin et la Pennsylvanie, l’affaire a été classée sans suite.

Comme nous pouvons le constater, Washington devient le foyer d’une nouvelle maladie particulièrement contagieuse : la russophobie. Elle a pour symptôme une fâcheuse tendance à voir dans n’importe quel événement la main de Poutine et de la Russie. D’ailleurs, cette maladie n’a-t-elle pas déjà contaminé l’Europe ? Le Brexit, la crise de l’Euro, la montée du FN, tous des produits d’une machination ourdie dans les salles glaciales du Kremlin. C’est devant cette folie russophobe que je m’insurge, non pas que le gouvernement russe soit un modèle de démocratie mais je crois que ce grand pays ne mérite pas un tel déferlement de haine à son égard.

D’où vient cette russophobie ? Comment expliquer une telle haine ?

 

I) La russophobie américaine

Depuis plusieurs années, la Russie est redevenue l’ennemi numéro un de l’Amérique. La fin de la présidence Obama avait été à cet égard d’une incroyable malveillance envers la Russie. La propagande antirusse s’applique constamment à désigner Poutine comme coupable des pires crimes. Je prendrai ici trois exemples.

Le premier qui me vient à l’esprit fut la prise d’otages de Beslan en Ossétie du nord en 2004. Un groupe d’hommes et de femmes prend en otage une école. En entrant, les terroristes abattent une trentaine d’individus dont des enfants avant que l’assaut ne soit enfin donné. Munis de ceintures explosives, il se font exploser pendant l’assaut au milieu des enfants tuant plus de 300 d’entre eux. L’attentat est revendiqué par Chamil Bassaiev, un leader islamiste tchétchène. Or, dès le début les soupçons se portent sur Vladimir Poutine. Aurait-il tout organisé dans le but accroître ses pouvoirs ? C’est ce que pensent 115 signataires (1) qui dans une lettre massivement reprise dans les médias occidentaux accuse le Kremlin « d’utiliser Beslan pour continuer à saper la démocratie en Russie et prendre des mesures en vue de franchir une nouvelle étape vers un régime autoritaire ». On n’ose imaginer le scandale si pareille lettre avait été publiée après le Bataclan affirmant que François Hollande avait fomenté l’attentat dans le but d’accroître son propre pouvoir ! Le complot poutinien est déjà en marche.

Le second exemple est celui de l’avion de la Malaysian Airlines qui s’est crashé en Ukraine en juillet 2014. Tout de suite, des sources au sein du renseignement américain (difficile d’être plus flou) faisaient état que « quelques soient les responsables de l’accident, le missile tiré est russe et il a été lancé par les séparatistes du Donbass qui se fournissent à Moscou ». Plus tard, c’est Barack Obama lui-même qui accuse les rebelles d’avoir abattu l’avion et pointe du doigt la Russie comme véritable responsable de la catastrophe par son soutien à ces mêmes rebelles. Il avait même des preuves et les montrerait au monde entier. Trois ans plus tard, nous les attendons toujours. Surtout, les médias ont accueilli avec enthousiasme le rapport établissant que l’avion avait été abattu par un missile de conception soviétique ce qui ne prouve rien puisque l’armée ukrainienne et les séparatistes possèdent ce type d’armement. Pourtant, rien n’y fait, la Russie est toujours le coupable idéal.

Le dernier exemple de ce délire russophobe, voire poutinophobe est l’assassinat de Boris Nemtsov en 2015. Ce dernier, opposant à Poutine, est abattu devant le Kremlin. La presse américaine est alors unanime pour dire que c’est Poutine qui a assassiné Nemtsov. Les médias américains ont ainsi passé en boucle l’interview de la fille de Nemtsov dans laquelle elle affirme clairement que Poutine a donné l’ordre de faire tuer son père. Plus prudent, Andrew Wood dans Newsweek déclarait : « Poutine et son entourage sont clairement responsables du climat politique qui a facilité l’assassinat. » Le problème, c’est que rien ne prouve ni de près ni de loin l’implication de Poutine.

Comme nous pouvons le constater, la propagande anti-poutine et antirusse tourne à plein régime dans les médias américains. Elle y est même devenue endémique. Il nous faut maintenant comprendre pourquoi.

 

II) Les sources de la russophobie en Amérique

C’est en 1945 qu’a débuté véritablement la russophobie. Elle se confond alors avec l’anticommunisme dans un contexte de guerre froide entre l’Occident et l’URSS. Après la disparition de cette dernière en 1991, on aurait pu penser que les américains auraient cessé leur russophobie de principe. Or, il n’en a rien été.

Au contraire même, la russophobie a connu une fortune inattendue à partir de 1996. Cette année-là Boris Eltsine change de politique et expulse les experts américains du FMI dont il faut rappeler que leur « théorie du choc libéral » (Naomi Klein (2)) a conduit au démembrement de l’économie russe. De même, Eltsine met fin aux privatisations qui permettaient aux businessmen américains de faire main basse sur les ressources naturelles du pays. Quelques années plus tard, Poutine empêchera le rachat de la grande entreprise énergétique Ioukos par des investisseurs américains, véritable crime de lèse-majesté pour les capitalistes américains dont la simple notion de « souveraineté nationale » est carrément fasciste.

C’est dans ce contexte que Zbigniew Brzezinski publie Le grand échiquier, L’Amérique et le reste du monde (3). Dans cet ouvrage, l’auteur américain d’origine polonaise fait de la Russie la clé du leadership au niveau mondial. Reprenant la célèbre devise de MacKinder (4) pour qui celui qui contrôle l’Eurasie contrôle le monde, Brzezinski préconise d’élargir l’OTAN le plus possible vers l’Est et créer un cordon sanitaire entre l’Europe et la Russie. Ce que crains le plus l’auteur c’est de voir émerger un vaste ensemble géopolitique allant de Lisbonne à Vladivostok, cette « maison commune européenne » comme l’avait appelé Mitterrand et Gorbatchev, qui serait en mesure de contester le leadership américain. Or, ce programme a été, il faut le dire, scrupuleusement respecté. Depuis 2004, les troupes de l’OTAN ont avancé dans l’Est de l’Europe au point d’être à une heure et demie de St-Pétersbourg tandis que l’administration américaine s’attachait avec réussite à faire de l’Europe le vassal de l’Amérique. Il faut dire que Brzezinski jouit d’une influence considérable à Washington. Ancien conseiller de Jimmy Carter, il est devenu le conseiller aux affaires étrangères de Barack Obama lors de la campagne de 2008 avant de conseiller le vice-président démocrate Joe Biden. C’est aujourd’hui la référence intellectuelle d’une grande partie de la classe politique américaine, surtout chez les démocrates.

Or, Brzezinski n’est pas le seul à Washington à détester la Russie. La capitale américaine fourmille ainsi de lobbystes, d’ONG et de Think tank en tous genres dont la caractéristique commune est de renvoyer une image négative de la Russie (5). Parmi eux, on retrouve le spéculateur George Soros dont la fondation a financé les partis néo-nazis ukrainiens mais aussi le sénateur John Mcain qui intervient régulièrement dans les médias sans compter Victoria Nuland, acteur clé du dispositif anti-russe dont le mari Robert Kagan est président du Think Tank « Project for the new american century », organe de référence des « néo-conservateurs » américains. Jouissant d’une influence considérable au sein des médias et de l’administration, le lobby anti-russe a été particulièrement actif ces dernières semaines pour disqualifier la tentative de rapprochement entre la Russie et les Etats-Unis. Il joue également un rôle considérable dans l’affaire Comey.

 

III) La fabrication d’un ennemi

Si l’URSS constituait l’ennemi naturel des Etats-Unis, on voit mal ce qui pourrait justifier que la Russie soit encore cet « ennemi » comme elle l’est aujourd’hui. Que ce soit sur le plan économique, démographique, militaire et idéologique, la Russie ne fait plus le poids face à l’Amérique. Au contraire, c’est la Chine qui semble contester le leadership américain. Cependant, la Chine étant le principal créancier des Etats-Unis, ces derniers n’osent pas qualifier la Chine d’ennemi. De même, l’Islamisme radical a tué plus d’américains lors du 11 septembre que la Russie n’en a tué dans son histoire. Pourtant, là encore ce dernier n’est pas « l’ennemi principal ». Il est vrai que ce même islamisme a été alimenté par les américains en Afghanistan pour « saigner à blanc » l’armée soviétique. De même, faire de l’islamisme radical « l’ennemi » au sens propre du terme c’est se mettre en contradiction avec ses alliés saoudiens et pakistanais, promoteurs du wahhabisme dans le monde entier.

Non, ni l’islamisme radical, ni la Chine ne peuvent être cet ennemi. Ce rôle doit être dévolu à la seule menace qui vaille : la Russie de Poutine. Manipulés par 45 ans de propagande antisoviétique, les américains n’ont jamais fait la distinction entre l’URSS et la Russie. Les images à la télévision ne montrent-elles pas des défilés militaires sur la place rouge avec un Poutine effrayant en costumes et lunettes sombres, en sortes d’imprimer l’image d’une Russie restée au temps de Brejnev et d’Andropov ! Ces techniques de manipulation permettent de faire de la Russie un pays militariste prêt à conquérir le monde. En martelant le même message, les médias américains créent ce que Chomsky et Herman (6) appelaient « la fabrique du consentement ». En réalité, la Russie n’est pas la caricature qu’en donne la médiasphère américaine, loin de là. Le seul tort de la Russie de Poutine est de défendre ses valeurs, sa culture, sa souveraineté nationale, tout ce que déteste en somme l’élite américaine pour qui seul compte l’instauration d’un monde où le marché ferait la loi. Au fond, les américains ne reprochent aux russes qu’une chose : de rester fière d’être russe.

L’ennemi russe renvoie en fait les américains à leur propre culture. La Russie est son double inversé. La nation russe contre l’universalisme américain, l’attachement à la terre du peuple russe contre la mobilité permanente des américains, tout sépare culturellement les deux pays. Mathieu Slama y voyait là une guerre entre deux mondes (7). Le grand juriste allemand Carl Schmitt (8) ne disait-il pas que « l’ennemi est la figure de notre propre question ». Il ajoutait que désigner un ennemi était l’essence même d’une communauté politique. C’est donc l’existence même de cet ennemi, en distinguant le « eux » et « nous », qui assure la cohésion d’une société. On comprend mieux dès lors le réflexe russophobe, l’ennemi russe est en quelque sorte le garant de l’identité américaine.

 

La fin de mandat de Barack Obama a donc déchainé une paranoïa russophobe aux Etats-Unis qui se prolonge aujourd’hui avec l’affaire Comey. Chaque évènement est ainsi perçu comme la manifestation d’une Russie malveillante prête à abattre les démocraties occidentales. Cette simplification a évidemment des avantages à court-terme. Elle permet par exemple au parti démocrate de trouver un bouc émissaire à sa défaite sans s’interroger un seul instant sur les causes de cette dernière. De même, le complotisme russophobe a l’avantage de masquer les errements de la politique américaine depuis 30 ans qui ont fait le lit de Trump. La Russie est le bouc émissaire tout trouvé, bouc émissaire dont René Girard (9) avait montré que sa simple existence permet aux individus de ne jamais se questionner sur eux-mêmes. Au fond, l’Amérique n’a pas besoin de la russophobie pour expier ses démons, c’est sur elle-même qu’elle doit s’interroger.

 

(1) Lettre de 115 atlantistes contre la Russie (2004)

(2) Voir l’ouvrage de Naomi Klein, La stratégie du choc (2007), critique acerbe des politiques d’ajustement structurel du FMI.

(3) Ce livre est à lire absolument pour comprendre la politique étrangère des Etats-Unis.

(4) Citation de MacKinder : « qui tient l’Europe orientale tient le heartland, qui tient le heartland domine l’île mondiale, qui domine l’île mondiale domine le monde ».

(5) Voir l’excellent ouvrage de Guy Mettan, Russie-Occident, une guerre de mille ans : La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne (2015)

(6) La fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie (1988) de Noam Chomsky et Edward Herman

(7) La guerre des mondes : réflexions sur la croisade idéologique de Poutine contre l’Occident de Mathieu Slama (2016)

(8) Théologie politique (1922) de Carl Schmitt

(9) Le bouc émissaire (1982) de René Girard

Macron et la victoire du libéralisme en politique

Macron et la victoire du libéralisme en politique

18 ministres, 9 hommes, 9 femmes, dont la moitié de la société civile, autant dire que le premier gouvernement Macron a coché toutes les cases des lubies médiatiques. Il faut bien admettre que le garçon ne manque pas de talents pour séduire son monde. Avec lui, tout ce que faisaient déjà ses prédécesseurs ont été littéralement effacés des mémoires. Faire entrer la société civile dans le gouvernement, une nouveauté ? Sarkozy l’avait déjà fait avec Kouchner et Fadela Amara. Placer dans le même gouvernement des hommes de droite et de gauche, symbole d’un esprit de renouveau ? Éric Besson et Jean-Pierre Jouyet, hommes de gauche, n’avaient-il pas travailler avec Sarkozy, « le fasciste » de droite ?

Surtout, la radicalité du projet de Macron est totalement passée inaperçue. Captivés par la « macronmania », les journalistes n’ont pas remarqué l’importance de ce qui vient de se passer pour la politique française. Après plus de deux siècles enchaîné dans le clivage droite/gauche, le libéralisme politique vient de l’emporter à plates coutures sans qu’il n’ait plus de contraintes ou de limites à respecter.

Comment sommes-nous arrivés là ?

I) Un libéralisme enchaîné

Depuis Montesquieu et Turgot, qui furent ses premiers représentants, le libéralisme a joui d’une influence déterminante sur la politique française mais cette influence était sans cesse balancée par d’autres forces politiques. Sous la monarchie de Juillet, les libéraux emmenés par Tocqueville sont contraints de s’allier avec les républicains étatistes contre la droite monarchiste ce qui limite leurs marges de manœuvre. En 1848, l’avènement du socialisme de Marx et d’Engels pousse les libéraux à s’allier avec les conservateurs. A chaque fois, les libéraux étaient contraints de s’associer avec d’autres formations politiques qui les dominaient. Ils n’avaient aucunement la capacité d’imposer leurs idées et encore moins d’accéder seuls au pouvoir.

La situation change dans les années 70. Partout, le libéralisme triomphe. Hayek et Friedman deviennent ainsi les nouveaux maîtres à penser de l’économie mondiale tandis que la révolution des mœurs, parangon du libéralisme sociétal, est en train de mettre sous son emprise les sociétés occidentales. C’est un fait aujourd’hui bien établi, le libéralisme est « devenu le principe structurant par lequel la société s’organise » selon l’expression de Marcel Gauchet*.

En France, le libéralisme trouvera à droite et à gauche des partisans convaincus. On peut dire que la droite est le parti du libéralisme économique au moment où la gauche devient celui du libéralisme sociétal, la persistance du clivage gauche/droite empêchant toute réunion entre les deux. Néanmoins, les libéraux de chaque camp ne peuvent l’emporter seuls. Au contraire, ils doivent s’allier avec d’autres forces ce qui empêche le libéralisme de se déployer complètement. Ce dernier est en quelque sorte enchaîné, prisonnier d’un clivage gauche/droite où il ne peut gouverner seul.

A droite, le libéralisme, triomphant depuis Raymond Barre, doit faire face au poids de l’électorat conservateur qui limite sa liberté d’action. A gauche, les libéraux, qu’on appelle d’ailleurs les « sociaux-libéraux » pour les différencier avec les libéraux de droite, sont au pouvoir depuis le tournant de la rigueur en 1983. Mais là aussi, ce libéralisme n’est pas complet puisque cela conduirait à une rupture avec l’autre gauche plus socialiste. Pire, ce « social-libéralisme » n’est jamais assumé en tant que telles. Dans le moule du clivage droite/gauche, le candidat de la gauche ne peut en effet l’emporter sans réunir l’ensemble des voix de gauche d’où la contradiction entre la conquête du pouvoir, faite d’une campagne sur un credo anti-libéral, et l’exercice du pouvoir fait à l’inverse de mesures libérales.

Hollande est l’archétype de cette configuration. Contraint pour l’emporter de faire le discours du Bourget (mon ennemi, c’est la finance), il appliquera une politique « social-libéral » à partir du CICE d’où l’impression pour une grande partie de l’électorat de gauche d’avoir été floué.

Par conséquent, la force du clivage droite/gauche entrave la domination absolue du libéralisme. Contraint de s’associer avec d’autres formations politiques, les libéraux des deux bords ne peuvent appliquer complètement leurs programmes. C’est pourquoi, les « réformes structurelles », qui sont en réalité des réformes libérales, ne peuvent être menées jusqu’au bout.

 

II) Macron fait la jonction entre les libéraux

C’est dans ce contexte droite/gauche qu’a commencé la présidentielle 2017. A droite, François Fillon a gagné les primaires en se positionnant sur une ligne libéral-conservatrice contradictoire, le conservatisme s’opposant au libéralisme sur bien des points. Il a néanmoins pu conserver le soutien du centre-droit libéral juppéiste et lemairiste. A gauche, la non-candidature de Hollande puis l’élimination de Valls ont poussé naturellement les « sociaux-libéraux » dans les bras de Macron.

Or, du fait de l’élimination de François Fillon au premier tour et la qualification de Marine Le Pen au second, les circonstances ont permis à Macron de faire la grande alliance des libéraux que le clivage habituel droite/gauche rendait impossible. Si Fillon avait été au second tour, Macron aurait ainsi été obligé de revoir son programme libéral pour séduire la gauche. Dès lors, son libéralisme aurait été incomplet, inachevé, voire non assumé. Avec Fillon éliminé, Macron peut déployer complètement son programme libéral.

Macron a donc profité des circonstances pour réaliser la grande union du libéralisme économique et du libéralisme sociétal. Au sein même du nouveau gouvernement se croisent des juppéistes (Edouard Philippe), des lemairistes (Bruno Le Maire) et des « sociaux-libéraux » (Collomb, Le Drian). Macron réalise en quelques sortes la prophétie de Jean-Claude Michéa pour qui « le libéralisme culturel n’est que le corollaire du libéralisme économique ».

 

Sous Macron, le libéralisme connaît donc son véritable triomphe politique. Après avoir remporté la bataille idéologique et culturelle, il ne lui restait plus qu’à faire sauter le verrou politique. Le clivage droite/gauche avait en effet pour conséquences de rendre minoritaires les libéraux de chaque camp. Dorénavant, muni enfin d’une force politique indépendante possédant tous les leviers du pouvoir, le libéralisme qu’il soit économique ou sociétal, peut se déployer intégralement.

Seule l’opinion publique pourrait faire flancher le gouvernement. C’est pourquoi il reste encore très prudent masquant la radicalité de son projet. De la réforme du code et du marché du travail (ce qui signifie tout bonnement moins de droit pour les travailleurs) à l’éloge de la mobilité permanente des individus en passant par la promotion de la PMA et la GPA, prélude à la marchandisation des corps, le programme macronien porte en lui les germes d’une « authentique révolution libérale ». Débarrassée des obstacles qui l’entravaient, le libéralisme est maintenant seule aux commandes. Je crains, hélas, que la France n’y fasse bientôt les frais.

* Voir le dernier ouvrage de Marcel Gauchet, Le nouveau monde, dans lequel le philosophe décrit les ressorts de l’hégémonie libérale.

**Voir l’ouvrage de Jean-Pierre Chevènement, Un défi de civilisation, dans lequel il décrit avec précision (il en fut un témoin-clé) le tournant de la rigueur de 1983.

Macron à Berlin : Pourquoi le programme européen d’Emmanuel Macron est-il impossible à mettre en oeuvre?

Macron à Berlin : Pourquoi le programme européen d’Emmanuel Macron est-il impossible à mettre en oeuvre?

15 mai 2012. François Hollande était depuis quelques heures le septième président de la république. Jean-Marc Ayrault s’installait à peine à Matignon. Ce jour-là un terrible orage s’était abattu sur la région parisienne, triste présage d’un quinquennat désastreux. Malgré les avertissements, Hollande était resté ferme, il ira à Berlin quoiqu’il arrive. C’est qu’il était confiant « le président normal ». Élu avec 52% des voix, il arrivait à Berlin pour « faire entendre raison » à la chancelière. La France avait voté, elle exigeait une transformation de l’Europe. Si le voyage s’était passé à peu près convenablement (un éclair a néanmoins frappé l’avion du président comme quoi Zeus lui-même a tenté d’éviter le pire pour la France !), la rencontre entre les deux chefs d’Etat fut une douche froide. Revenu avec presque rien dans ses poches, Hollande l’ambitieux était déjà à terre. Bientôt viendra Hollande le gestionnaire.

 5 ans plus tard, rebelote. Macron va à Berlin avec un projet ambitieux tout auréolé de sa victoire. Merkel, elle, attend devant le palais du Reichstag. Habituée, Macron est le quatrième président qu’elle a connu, elle sait calmer les ardeurs du coq français. Mais, cette fois, nous-dit-on, c’est différent. Macron sera celui qui replacera la France en Europe comme si Sarkozy et Hollande étaient des anti-européens convaincus. Cette vision manichéenne m’exaspère. En plus d’être simpliste, elle masque la réalité. Tout serait en somme une question de volonté. On se croirait revenu au temps de Leni Riefenstdhal, qui tourna pour les nazis le célèbre Triomphe de la volonté. Non, la volonté ne suffit pas, surtout quand les propositions ne sont tout simplement pas réalistes. Je vais prendre deux exemples.

 

1) Le mythe de l’Europe sociale

En 1957, Pierre Mendès France votait contre le Traité de Rome en raison de l’absence de mesures sociales. En 1992, pour convaincre les français d’approuver le traité de Maastricht, Jacques Delors inventait « l’Europe sociale ». Mot-valise s’il en est, Delors ne concevait sans doute pas cette « Europe sociale » de la même manière qu’un ouvrier lorrain. Il n’est en tout cas pas un jour sans que l’on entende la nécessité d’harmoniser les modèles sociaux et fiscaux au sein de l’union européenne, en clair, de créer « l’Europe sociale ». Macron lui-même en a fait un objectif programmatique : « Nous exigerons que soit mis en place un socle de droits sociaux européens, en définissant des standards minimums en matière de droits à la formation, de couverture santé, d’assurance chômage ou de salaire minimum. »

Au départ, l’idée est séduisante. Entre la Bulgarie, dont le salaire minimum est de 215 euros et le Luxembourg, dont ce même salaire minimum est de 2000 euros, les écarts sont tels qu’il est tentant pour réduire les coûts de délocaliser en Bulgarie. Pour éviter ce type de comportement, il est logique de considérer que faire converger les droits sociaux et fiscaux soit une bonne chose. Le petit hic, c’est que c’est impossible.

En effet, premièrement, chaque pays possède son propre modèle social et fiscal. La France a par exemple un système social très généreux et protecteur qui à lui-seul représente 15% des dépenses sociales du globe. Ce modèle est le fruit d’une histoire particulière dans laquelle le général De Gaulle avait dû céder devant la puissance des communistes en 1945. Il est intransposable dans d’autres pays qui n’ont pas la même culture historique et ceux d’autant plus qu’il ruinerait leur compétitivité à l’international. En matière fiscale, le Luxembourg et l’Irlande vivent de leur dumping et donc n’accepteront jamais une harmonisation des taux d’imposition.

Deuxièmement, une telle harmonisation suppose un consensus entre les 27. Si admettons qu’il puisse exister, le curseur social serait dans une moyenne des pays de l’Union européenne. Or, la France qui est la plus généreuse avec le Danemark serait de facto perdante. L’harmonisation tant vantée ne serait donc pas la transposition du modèle social français à l’ensemble de l’Europe mais la fin même de son existence.

Enfin, le pays le plus puissant d’Europe l’Allemagne ne souhaite surtout pas cette harmonisation. Sa compétitivité à l’international dépend en effet entièrement de la main d’œuvre à bas coût de son hinterland d’Europe de l’Est comme l’avait très bien montré l’économiste Guillaume Duval*. L’Europe sociale serait un suicide pour l’Allemagne.

« L’Europe sociale » apparaît donc comme ce qu’elle est, un enfumage servant à faire croire aux peuples européens à « des lendemains qui chantent » aussi illusoires que mensongers.

 

2)L’invraisemblable budget européen et l’inutile parlement de la zone euro

Dans son programme, Macron souhaite mettre en œuvre un budget et un parlement de la zone euro : « Nous proposerons de créer un budget pour la zone euro avec 3 fonctions (investissements d’avenir, assistance financière d’urgence et réponse aux crises économiques). Nous proposerons de créer un poste de ministre de l’Economie et des Finances de la zone euro, qui aura la responsabilité du budget de la zone euro, sous le contrôle d’un Parlement de la zone euro, rassemblant les parlementaires européens des Etats membres. »

Pour le budget européen, sachez qu’il en existe déjà un. Bien sûr, l’objectif est de l’augmenter de manière à le faire passer de moins de 2% du PIB (aujourd’hui) à plus de 20% comme l’est le budget fédéral américain. Cela permettrait en effet de fonder cette union de transfert allant des pays excédentaires aux pays déficitaires. Ce serait la seule solution pour lutter contre la tendance à l’hétérogénéisation de la zone euro comme l’avait brillamment montré l’économiste canadien Robert Mundell. Cependant, pour qu’il existe un tel budget, il faudrait des transferts budgétaires d’un niveau tellement importants, de l’ordre de 8 à 10% du PIB allemand selon Patrick Artus, que l’Allemagne n’acceptera jamais. Un tel niveau n’est d’ailleurs possible que s’il existe « un peuple européen » qui demeure pour l’heure introuvable.

De plus, Macron souhaite créer un parlement de la zone euro. Celui-ci n’est absolument pas impossible à mettre en œuvre mais il est inutile. En effet, comme le parlement européen dont il serait issu, le parlement de la zone euro n’aurait aucun pouvoir décisionnel d’une part, et n’aurait aucune légitimité d’autre part. En effet, comme le répète avec insistance J-P Chevènement**, « la légitimité démocratique repose dans les nations ». Nous oublions à tort la leçon de Raymond Aron pour qui des institutions n’effacent jamais mille ans d’histoire nationale. Au lieu donc de créer un parlement de la zone euro, il faudrait au contraire renforcer le conseil des chefs d’Etat et de gouvernement, seul organe issu d’une vraie légitimité démocratique. De même, l’idée de David Cameron de créer un droit de veto des parlements nationaux sur toute décision européenne me paraît de bon sens. Un parlement de la zone euro serait donc inutile et créerait une usine à gaz supplémentaire dans une institution qui n’en manque déjà pas.

 

Par conséquent, comme vous pouvez le remarquer, je ne me joins aucunement à la doxa médiatique qui voudrait faire de Macron le nouveau sauveur de l’Europe. Au contraire ces propositions sont soit impossibles à mettre en œuvre comme « l’Europe sociale » ou l’élévation du budget européen, soit tout simplement inutiles comme la création d’un parlement de la zone euro. Mendès France disait que « s’il n’y a pas de politiques sans risques, il y a des politiques sans chance. » Avec Macron, nous sommes en plein dedans.

*Guillaume Duval, Made in Germany, le modèle allemand au-delà des mythes (2013)

*Jean-Pierre Chevènement, L’Europe sortie de l’histoire?  (2015)

Présidentielles 2017 : quels bilans pour les prochaines années ?

Présidentielles 2017 : quels bilans pour les prochaines années ?

Ça y est. C’est fait. Emmanuel Macron est le nouveau président de la république. Aux termes d’une campagne épuisante marquée par les scandales judiciaires de Fillon et de Le Pen, la France a choisi de mettre son destin entre les mains d’un jeune énarque de 39 ans passé par la banque Rothschild et par Bercy. Inconnu il y a encore 3 ans, cet amiénois d’origine, a réussi à incarner le renouveau face à une classe politique en bout de souffle après un quinquennat dont beaucoup juge qu’il est le pire de l’histoire.

C’est la principale leçon de cette campagne. Les équilibres ont sensiblement évolué sans pour autant que cette évolution apporte davantage de lisibilité au débat idéologique. Car là, est le paradoxe de cette élection, le débat de fond n’a jamais été vraiment abordé.

L’élection ne s’est en effet jouée ni sur l’économie, ni sur les questions sociales, ni sur l’identité mais sur les affaires judiciaires et donc sur le rapport entre gouvernants et gouvernés. Si évidemment ce débat n’a pas à être sous-estimé, il faut tout de même dire qu’il n’est pas à la hauteur de l’enjeu présidentiel.

Dans tous les cas, cette présidentielle a renforcé l’impression de flou politique et idéologique dont souffre la vie politique française depuis plusieurs années.

Quels bilans peut-on tirer de cette présidentielle ?

I) Macron et En Marche comme force politique centrale

Le premier enseignement à tirer est la réussite extraordinaire du mouvement En Marche d’Emmanuel Macron. Lancé en 2016, ce mouvement a su renouveler les codes des appareils politiques face à un PS et aux Républicains enferrés dans une vision dépassée de faire de la politique. En quelque sorte, Macron a pris exemple sur le général De Gaulle pour qui les partis sont un obstacle au lien entre le candidat et le peuple.

L’autre atout de ce mouvement réside dans la personnalité d’Emmanuel Macron. A 39 ans, il incarne la figure du renouveau avec qui plus est un profil très peu politique au moment où toute la classe politique est rejetée massivement par les français. Sachant utiliser cette image de renouveau, Emmanuel Macron a eu l’intelligence d’apparaître en rupture avec le quinquennat Hollande alors même qu’il fut secrétaire général adjoint de l’Elysée pendant 2 ans puis ministre de l’économie là aussi pendant deux années. En utilisant cette stratégie, il s’est clairement inspiré de Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci proposait de rompre avec l’ère Chirac.

N’ayant pas à assumer la responsabilité de l’échec de Hollande contrairement à Valls, il a su attirer des hommes de droite et de gauche séduits par son projet libéral. Il faut dire également que les événements lui ont été particulièrement favorables. L’élimination de Juppé à la primaire de la droite puis celle de Valls à la primaire de gauche et enfin le ralliement de Bayrou ont libéré un espace central à Macron allant du centre gauche au centre droit.

Cependant, plusieurs zones d’ombre subsistent. Premièrement, son programme que ce soit sur l’économie, l’Europe, l’immigration ou sur le régalien reste encore mal défini et peut prêter de ce fait à de sérieuses déceptions chez une partie des français.

Deuxièmement, sa personnalité inquiète. Jeune, dynamique, moderne, il ressemble beaucoup à Valérie Giscard d’Estaing en 1974 mais pourra-t-il entrer dans la fonction présidentielle ? Ce point est fondamental car contrairement à la vulgate moderne qui voudrait que ce soient les résultats économiques qui déterminent la popularité du président, le ressort fondamental de cette dernière repose en fait sur l’incarnation présidentielle. J’avais déjà montré dans un article précédent la culture française du pouvoir pour laquelle la présidentialité repose sur un mélange complexe de proximité et d’éloignement.

Comme les successeurs de Louis XIV qui n’étaient jamais parvenu à porter l’habit du monarque absolu, les successeurs du Général de Gaulle, hormis Mitterrand, ne sont pas arrivés à endosser le costume de l’homme du 18 juin. Macron devrait d’ailleurs tirer les leçons des échecs de l’hyperprésidence sarkozyste et de la « présidence normale » de Hollande. Cette capacité à incarner la fonction présidentielle sera la clé du prochain quinquennat.

Enfin, Macron aura besoin d’une majorité solide et unie. Il ne fait de mon point de vue aucun doute qu’En Marche remportera les législatives étant donné la logique des institutions. Cependant, la majorité absolue n’est pas certaine ce qui impliquera la formation d’alliances. Macron pourra trouver certains alliés chez les républicains ou au PS. Il aura donc besoin d’hommes politiques expérimentés habitués des joutes parlementaires tout en faisant confiance à de nouveaux visages comme il l’a promis dans son programme. C’est pourquoi la nomination du premier ministre et de son gouvernement sera décisif pour entamer la reconfiguration politique qu’il aspire.

II) Un FN enraciné mais encore loin du pouvoir

Le second enseignement de la campagne est le score élevé du Front national. Avec 7 millions de voix au premier tour puis 11 millions au second, le FN jouit d’une solide assise populaire bien qu’elle ne permet pas d’accéder au pouvoir.

En réalité, la campagne de Marine Le Pen a été décevante. Engluée dans les affaires et souffrant de la comparaison avec le charisme de Mélenchon, Le Pen a perdu beaucoup de voix dans les dernières semaines de campagne. Cette dynamique négative n’a pas pu être corrigée au second tour malgré une première semaine de campagne menée tambour battant condamnant le FN à un score décevant de 34% des voix. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce demi-échec.

D’abord, les thèmes chères au FN, l’immigration et le régalien, n’ont quasiment pas été abordés pendant cette campagne.

Ensuite, la sortie de l’euro a été un caillou dans la chaussure de Marine Le Pen. Elle savait parfaitement que son programme économique ne pouvait pas être mis en œuvre au sein de la zone euro. Cependant, plus de deux-tiers des français ne veulent pas changer de monnaie. C’est pourquoi, Marine Le Pen a changé son programme en pleine campagne en ressortant des cartons l’idée de la monnaie commune et non unique défendue autrefois par Balladur et Chevènement.

Seulement, elle n’a jamais réussi à expliquer ce projet aux français, n’y croyant sans doute pas elle-même. On voit à travers la question européenne que le FN manque de cadres diplômés et surtout de spécialistes donnant une assise plus intellectuelle à son programme. Un économiste comme Jacques Sapir, par exemple, qui est très critique sur l’Europe, aurait été d’une aide précieuse.

Enfin, le débat d’entre deux tours a été fatal à Marine Le Pen. Trop agressive, pas assez précise sur ses dossiers, la candidate du FN n’a pas su montrer une véritable posture présidentielle. Au contraire, elle est apparue en dessous du niveau requis ne tenant tête à Macron que sur le régalien. Cette mauvaise prestation a coûté sans aucun doute entre 3 et 5% des voix au second tour.

On voit donc que si le FN s’est enraciné dans le paysage politique français, il souffre de plusieurs maux l’empêchant de briser le « plafond de verre ». Les législatives devraient confirmer cette impression. Etant donné la forte abstention des classes populaires à ce scrutin, le FN devrait remporter entre 20 et 50 sièges. Une fois passées les législatives, le parti entrera dans une phase d’auto-critique où la ligne devrait être modifiée même s’il y a peu de chances pour que Marine Le Pen ne soit plus la présidente du mouvement.

III) Une droite en crise

Le grand perdant de l’élection fut sans nul doute François Fillon. Donné gagnant à la sortie des primaires, il n’a terminé que troisième avec 20% des voix. Si les affaires ont joué un rôle considérable pour décrédibiliser le candidat, la droite a avant tout perdu car elle n’a pas su s’adresser à un électorat autre que son électorat traditionnel de retraités et de chefs d’entreprise.

Patrick buisson disait que le malheur de la droite c’est qu’elle compte au lieu de réfléchir. C’est vrai. Sarkozy avait réussi en 2007 à désenclaver l’électorat de droite en direction des classes populaires.

Depuis, la droite a attendu que l’alternance élimine le PS sans voir à la fois la montée du FN et l’ascension de Macron. Pire, Fillon avait élaboré un programme libéral sur le plan économique et conservateur sur le plan des mœurs ce qui n’a pas manqué de faire émerger des contradictions car comme le souligne Jean-Claude Michéa* le libéralisme est « une totalité dialectique » dans laquelle le social ne peut pas être détaché de l’économie.

Cette contradiction n’a rien d’anodin, elle traduit la division profonde de la droite française entre ce que René Rémond** appelait la droite orléaniste (libérale) et la droite légitimiste (conservatrice).

L’UMP, crée en 2002 par Alain Juppé pour unir ces familles politiques, a donc montré ses limites. Certains rêvent d’une victoire aux législatives et d’une cohabitation ce qui pour ma part me paraît improbable. Au plus, la droite pourrait avoir 200 députés à la chambre.

La droite aura donc dans tous les cas à faire son examen de conscience et refonder ce parti si elle veut se désenclaver d’une position électorale non seulement minoritaire mais déclinante.

IV) Une gauche complètement fragmentée

Le dernier enseignement de cette campagne est l’effondrement du parti socialiste. En tête au premier tour de 2012 avec 28% des suffrages, il ne fait que 6% en 2017. La responsabilité de cet échec n’est pas le fait de Benoit Hamon même si son profil d’apparatchik n’a pas joué en sa faveur.

Le problème est plus profond, il est structurel et non pas conjoncturel, il dépend plus de l’idéologie que de l’échec de Hollande. On le voit en Europe, la social-démocratie est partout en crise. Cette crise idéologique du socialisme fera l’objet plus tard d’un article plus complet, je ne m’y attarderai pas ici.

En réalité, la gauche est divisée entre une branche social-libérale et une branche anti-libérale. Hollande avait su unir ces forces en utilisant l’anti-sarkozysme mais une fois au pouvoir la gauche s’est fracturée. Enfermé dans une logique droite/gauche, Hollande n’a jamais trouvé la majorité politique pour gouverner au centre gauche. Macron a quant à lui abandonné cette logique pour fusionner le centre gauche et le centre droit ce qui laisse au PS un espace très restreint.

En effet, la gauche social-libérale sera inexorablement attirée par En Marche, comme le montre le ralliement de Valls ou de Le Drian, tandis que la gauche anti-libérale ne fait plus confiance au PS après Hollande. Cette gauche a en plus trouvé un leader en la personne de Jean-Luc Mélenchon qui a réalisé une campagne remarquable. Mélenchon a ainsi réussi l’exploit de mettre fin au cycle engagé par le congrès d’Epinay en 1971 qui voyait les socialistes marginaliser le parti communiste.

Néanmoins, le scrutin législatif, très favorable aux partis classiques, risque de fragmenter encore un peu plus la gauche. La France insoumise, en effet, aura sans doute moins de députés que le parti socialiste avec au plus 25 députés contre moins de 50 pour le PS. Cette situation paradoxale, due au mode de scrutin, entraînera un équilibre des forces entre les deux mouvements empêchant la formation d’une dynamique pro-Mélenchon pour devenir le leader incontesté de la gauche.

Par conséquent, malgré un score impressionnant, la gauche mélanchonienne aura du mal à s’imposer comme la force dominante à gauche. Cette neutralisation entre France Insoumise et PS aura pour effet de marginaliser durablement la gauche.

 

Le président Macron arrive donc dans un paysage politique en pleine décomposition. A droite, le FN connaît une dynamique négative avec un score décevant au second tour malgré un certain enracinement national. La question du leadership de Marine Le Pen sera de fait posé.

Du côté des républicains, les législatives seront décisives. Fort du fait qu’un électeur sur deux à cette élection est un retraité, la droite peut compter sur un score élevé qui serait un score en trompe-l’œil. Si même dans ce scrutin, le score est décevant, la droite se décomposera entre une droite lemairiste et juppéiste qui pourrait rejoindre la majorité présidentielle et une droite plus conservatrice qui garderait dès lors l’ancien parti.

Enfin, à gauche le PS pourrait survivre aux législatives mais serait réduit à un espace politique très limité entre Macron et Mélenchon tandis que la France insoumise aura du mal à conserver sa dynamique présidentielle et pourrait ne pas transformer l’essai.

Si le paysage politique semble assez rose pour Macron, attendons tout de même les législatives, le plus dur commence tant le programme du candidat n’a pas fait l’objet d’une réelle adhésion populaire. Il devra surtout montrer qu’il est digne de la fonction présidentielle et de la représentation qu’en font les français. Comme toujours, le plus dur ne fait que commencer.

* Lire l’excellent ouvrage de Jean-Claude Michéa, Le complexe d’Orphée, La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès, livre indispensable pour comprendre les rouages du libéralisme

**Voir l’ouvrage de René Remond, Les droites en France