Boris Johnson logera-t-il au 10 Downing Street le soir du 23 juillet prochain ? C’est du moins la tendance qui se dessine après les premiers tours d’une élection interne qui voit l’ancien maire de Londres et le patron du Foreign Office Jeremy Hunt s’affronter pour prendre la tête du parti conservateur. Du fait que le prochain premier ministre sera choisi par quelque 160 000 militants, en majorité « pro-Leave », Johnson semble en tout cas avoir une longueur d’avance sur son rival.

Mais si le résultat final ne fait plus guère de doute, la politique du nouveau leader britannique reste quant à elle remplie d’incertitudes, notamment sur la question du Brexit qui divise le royaume depuis trois ans. Ayant fait campagne pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, Boris Johnson apparaît ainsi d’un côté le plus apte à accomplir cette promesse. Pourtant, ses déclarations médiatiques et son programme sont tellement flous et vagues qu’il est presque impossible pour un observateur de prévoir la stratégie qui sera suivie par son cabinet.

Pourra-t-il dès lors mener son pays hors de l’Union ? Ou sera-t-il à l’inverse totalement avalé par le Brexit comme l’ont été ses prédécesseurs David Cameron et Theresa May ?

 

L’impasse du Brexit

Pour l’ancien maire de Londres, la première des priorités sera de débloquer une situation politique en grande partie gelée. En effet, depuis le référendum de 2016, le pays est incapable de s’accorder sur un plan de sortie viable économiquement et acceptable pour ses partenaires européens et la majorité des citoyens du royaume. C’est que l’équation du Brexit semble pour l’heure insoluble tant les demandes des britanniques semblent contradictoires, voire irréconciliables entre elles.

D’un côté, une bonne moitié de la population s’oppose catégoriquement à tout accord de sortie et réclame un second référendum qui espère-t-elle renversera les résultats de 2016. D’un autre côté, un camp du Brexit divisé qui n’a absolument pas mesuré les conséquences (de l’interdépendance économique à la question nord-irlandaise) d’une rupture de près de cinq décennies d’association avec l’Europe et qui se radicalise avec la montée du parti du Brexit de Nigel Farage.

Durant trois ans, Theresa May a tenté de concilier ces deux camps par un accord de compromis qui finalement s’est vu rejeté par quasiment l’ensemble des parties. Boris Johnson sera-t-il à l’inverse le réconciliateur d’un Royaume-Uni au bord de l’implosion ? On peine à le croire quant on connaît le caractère extrêmement clivant de sa personnalité, sans compter son orientation « hard Brexit » qui va lui aliéner une grande partie de la population.

 

Quelles sont les options pour Boris Johnson ?

Durant sa campagne, Johnson a promis qu’il tenterait de renégocier un nouvel accord plus avantageux avec l’Europe tout en maintenant fermement que le royaume quitterait au plus tard l’Union européenne le 31 octobre prochain, « deal or no-deal ». On voit pourtant mal l’UE se plier aux exigences britanniques et abandonner les lignes rouges de sa négociation : le non-rétablissement de la frontière entre les deux Irlandes grâce au « Backstop » *, le respect des engagements budgétaires pris par les britanniques lors du budget pluriannuel de l’Union et le maintien des droits des expatriés européens au Royaume-Uni. Si Theresa May n’a pu obtenir des concessions sur ces points, par quel magie Boris Johnson serait-il en mesure de convaincre les 27 sachant que ces derniers ont fait preuve d’une unité remarquable depuis le début des négociations ?

Peut-être que souhaitant tourner la page du Brexit tout en étant enclin à sortir avec un « deal », ce dernier pourrait céder aux arguments de ceux qui prônent un « soft Brexit » mais cette situation me paraît hautement improbable. D’une part, en tant que partisan du « Global Britain » ** et du projet fantasmagorique de faire du pays un nouveau « Singapour », Boris Johnson ne pourra jamais accepter de rester dans l’union douanière ou dans le marché unique européen et ainsi perdre toute souveraineté sur la politique commerciale. D’autre part, sa majorité parlementaire ne tenant qu’au parti unioniste nord-irlandais DUP, il ne sera pas en mesure d’appuyer un accord mentionnant la solution du « Backstop ».

Par conséquent, ne pouvant concevoir un plan plus « hard Brexit » ou plus « soft Brexit », je vois mal l’ancien maire de Londres proposer autre chose qu’une version légèrement modifiée du plan May déjà rejeté trois fois à la Chambre des communes. En cas de nouveau rejet, Boris Johnson a promis de sortir sans accord mais là aussi il risque d’avoir du mal à respecter ses engagements de campagne. Le parlement, en effet, est farouchement hostile à un no-deal et fera tout pour empêcher ce scénario catastrophique pour l’économie britannique et européenne. De même, étant élu par simplement 160 000 militants du parti conservateur, Johnson n’a absolument pas la légitimité politique suffisante pour prendre une telle décision qui pourrait conditionner l’unité même du Royaume-Uni. Faut-il rappeler qu’en cas de « no-deal » le 31 octobre, les autorités écossaises ont déjà annoncé la tenue d’un référendum d’indépendance.

 

Un choix entre l’unité du royaume et la survie du parti conservateur ?

Boris Johnson va donc se retrouver dans une situation inextricable dès sa prise de fonction. D’un côté, il doit mettre fin à l’émigration des électeurs conservateurs vers Nigel Farage en adoptant une ligne dure sur le Brexit. D’un autre côté, cette ligne dure renforce la division du pays et menace l’unité du royaume. En d’autres termes, le prochain locataire du 10 Downing Street aura à choisir entre la survie de son parti et celle du Royaume-Uni.

La probabilité, dès lors, est grande de voir le blocage politique se poursuivre d’autant plus qu’on voit mal Boris Johnson appeler une nouvelle élection qui verrait les conservateurs se faire balayer dans les urnes. L’ancien maire de Londres ne dispose en tout cas que d’une marge de manœuvre limitée s’il veut sortir son pays et son parti du piège du Brexit. Pour l’heure, rien n’indique qu’il soit en mesure de faire mieux que ses prédécesseurs afin d’accomplir cette promesse.

 

« Backstop » : Ce terme renvoie à la solution proposée par le négociateur européen Michel Barnier pour éviter le rétablissement d’une frontière entre les deux Irlandes comme prévu par l’accord de paix du Vendredi Saint de 1998 qui avait mis fin à des décennies de guerre civile en Irlande du Nord. Souhaitant quitter l’UE, l’union douanière et le marché unique, le gouvernement de Theresa May imposait de facto le retour d’une frontière physique entre la République d’Irlande, membre de l’UE, et l’Irlande du Nord, partie intégrante du Royaume-Uni. Pour remédier à ce problème, Michel Barnier avait proposé que le Nord de l’île soit maintenu dans l’espace réglementaire européen jusqu’à ce qu’un accord d’association soit trouvé entre Londres et Bruxelles. Acceptée par Theresa May et une partie des conservateurs, cette solution est néanmoins contestée par un grand nombre de parlementaires et le parti unioniste DUP au nom de l’unité législatif du Royaume-Uni.

 

**Global Britain : Idéologie promue par une minorité de conservateurs et qui vise à faire du Royaume-Uni le centre du commerce international par le biais d’une politique agressive d’ouverture des échanges et de libéralisation de l’économie.

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