“Waterloo! Waterloo! Waterloo! morne plaine!
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons.
D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France.
Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l’espérance ;
Tu désertais, victoire, et le sort était las.
Ô Waterloo ! je pleure et je m’arrête, hélas ! »
Victor Hugo, Les Châtiments, L’expiation (1853)
« Cent jours : l’aventure ne dura pas davantage et ce fut assez pour causer des dégâts incalculables. A l’intérieur d’abord, en rendant plus difficile la réconciliation des français. Napoléon ne savait pas seulement le métier de la guerre. Il savait celui de la politique qu’il avait appris, exercé pendant la Révolution. C’est de la Révolution surtout qu’il réveilla le souvenir, parlant gloire aux soldats, paix et liberté au peuple. L’Empereur autoritaire était revenu en démagogue. »
Jacques Bainville, Histoire de France (1924)
La nouvelle sonna comme un coup de tonnerre. Ce 3 Mars 1815, « le télégraphe annonça aux braves et aux incrédules le débarquement de l’homme » *. Bonaparte était en effet rentré en France le 1er Mars entre Cannes et Antibes, entreprise considérée par Chateaubriand « comme le crime irrémissible et la faute capitale de Napoléon » *. La nouvelle de ce retour fit rapidement le tour des capitales européennes.
A vienne, où étaient réunis les souverains de l’Europe, le débarquement de l’Empereur entraîna le branle-bas de combat des puissances alliées. Signant une déclaration commune, les alliés qualifièrent la fuite de Bonaparte comme un « délire criminel et impuissant » ajoutant de Napoléon qu’il était « l’ennemi et le perturbateur du repos du monde ». A Paris, une forme de torpeur saisit les autorités de la Restauration.
Napoléon venait en fait de réaliser un coup de poker digne d’un récit romanesque, un « coup de maître » pour Talleyrand qui s’y connait en la matière. Prenant dans la clandestinité un navire militaire, il a réussi à sortir de son « île-prison » en traversant la Méditerranée sans être aperçu par la flotte anglaise. Ce coup de génie fait d’ailleurs écho à sa fuite d’Egypte en 1799. Pour la deuxième fois en 15 ans, l’Empereur venait d’échapper à la vigilance des anglais. A Sainte-Hélène, ces derniers s’en souviendront.
Plus tard, au cours du XIXème siècle, les historiens se déchireront sur les raisons réelles qui ont poussé Bonaparte à franchir le Rubicon d’un retour sur la terre de France. Après tout, pourquoi l’Empereur a-t-il tout risqué pour revenir à Paris ? Quelles ont été ses véritables motivations dans cette affaire ?
Les motivations de Bonaparte
L’historiographie française présente souvent le geste de Napoléon comme étant l’action d’un désespéré contraint pour sa survie à quitter l’île d’Elbe. Geste de soutien à la Révolution, étouffement financier, menaces d’assassinat, tout y passe pour justifier le comportement de l’Empereur.
Pour l’historiographie révolutionnaire républicaine, c’est-à-dire l’historiographie officielle, ce sont les circonstances extérieures qui ont poussé Bonaparte. Tout d’abord, selon eux, Napoléon n’aurait agi de la sorte que pour protéger l’héritage révolutionnaire soi-disant menacé par la Restauration. Autant le dire toute de suite, cette thèse n’a strictement aucun sens.
La France de la première Restauration était en effet fondée sur un compromis entre les avancées révolutionnaires et la monarchie symbolisée par la charte constitutionnelle. Non seulement les biens nationaux et tous les acquis de la Révolution avaient été maintenus mais les élites issues de la Révolution et de l’Empire avaient également conservé leurs positions dominantes. Même les régicides et les assassins du Duc D’Enghien s’étaient vus octroyer une immunité bienveillante.
Chateaubriand lui-même exprimait bien cette complaisance du Roi vis-à-vis des anciens hommes de l’Empire : « Qui composait ces proclamations, ces adresses accusatrices et outrageantes pour Napoléon dont la France était inondée ? des royalistes ? Non : les ministres, les généraux, les autorités, choisis et maintenus par Bonaparte. Ou se tripotait la Restauration ? chez des royalistes ? Non : chez M.de Talleyrand. Avec qui ? avec M. de Pradt, aumônier du Dieu Mars et saltimbanque mitré. » *
Il n’y avait donc absolument pas, comme le prétend l’histoire officielle, une persécution des révolutionnaires ni même une « Terreur blanche » fomentée par des aristocrates contre le peuple français. Au contraire, il n’y a jamais eu autant de libertés que sous la Restauration. Même les jacobins furent mieux traités sous Louis XVIII que sous Napoléon. La France était de plus sur le point de se redresser profitant d’une paix intérieure et extérieure qu’elle n’avait pas connu depuis 1789. Sur le plan diplomatique, Talleyrand avait réussi à replacer la France au cœur du concert européen des nations. Chateaubriand avait donc raison quand il disait à propos du retour de l’Empereur qu’« il y eut dans cette conception fantastique un égoïsme féroce, un manque effroyable de reconnaissance et de générosité envers la France ». *
Un autre argument avancé fait état de multiples complots visant à assassiner l’Empereur. S’il est vrai que certains y ont sans doute pensé, il n’existe encore aujourd’hui aucune preuve tangible pour confirmer ces affirmations. D’ailleurs, les puissances alliées étant garantes du Traité de Fontainebleau, il parait plus qu’improbable qu’elles eussent envisagé d’assassiner Bonaparte.
Non, la seule et unique raison qui a poussé Bonaparte à quitter son exile fut son caractère. Animé par un puissant esprit de revanche, l’homme qui s’est toujours senti, après son abdication, non pas vaincu mais trahi, n’a eu de cesse de penser à son retour. Mais ce fut lorsqu’il sentit une opportunité qu’il se décida à agir.
Stratège de génie, il avait vu que les alliés étaient paralysés par leurs dissensions au Congrès de Vienne. De même, il était informé que l’armée était mécontente de son traitement financier, ce qui d’ailleurs ne venait pas d’une stratégie délibérée de la part de la Monarchie pour punir les militaires comme on l’entend souvent mais était le prix à payer pour renflouer les caisses de l’Etat.
Loin d’avoir répondu aux demandes du peuple pour sauver la Révolution ni même quitter l’île d’Elbe pour sauver sa vie, Napoléon a simplement fait le pari risqué d’une reconquête du pouvoir en misant sur le soutien de l’armée. Dans tous les cas, ce pari fut gagné d’une manière tellement inattendue que, même Bonaparte, fut surpris de sa réussite.
Le Vol de l’Aigle
Durant 20 jours, après son débarquement à Golfe-Juan, « l’aigle Napoléon vola de clocher en clocher » ne trouvant face à lui qu’un pouvoir faible et incapable de prendre la moindre disposition pour l’arrêter. Ce fut en effet la torpeur du gouvernement de Paris qui in fine donnera à Napoléon l’avantage stratégique. Au courant depuis le 3 Mars du retour de Bonaparte, Paris ne prend des mesures que le 8 par le Maréchal Soult, ministre de la guerre.
Ce dernier, dans un discours, exhortait ses soldats à combattre le « tyran » : « Cet homme qui naguère abdiqua aux yeux de l’Europe un pouvoir usurpé, dont il avait fait un si fatal usage, est descendu sur le sol français qu’il ne devait plus revoir. Que veut-il ? La guerre civile : que cherche-t-il ? des traîtres : où les trouvera-t-il ? Serait-ce parmi ces soldats qu’il a trompés et sacrifiés tant de fois, en égarant leur bravoure ? Serait-ce au sein de ces familles que son nom seul remplit encore d’effroi ? »
Napoléon n’avait en fait que très peu de soldats avec lui et son retour n’a jamais été populaire auprès des français. C’est pourquoi d’ailleurs il décida d’éviter les grandes concentrations urbaines jusqu’à Grenoble où il fut accueilli triomphalement le 8 Mars. Cette ville, depuis la journée des tuiles (7 Juin 1788), fut de toute façon allergique à la monarchie. Pourtant, hormis à Grenoble, l’accueil des français ne fut pas chaleureux, mais même parfois hostile.
L’opération fut en réalité un coup d’Etat militaire sur lequel Bonaparte prit appui pour s’emparer du pouvoir. Plusieurs fois, l’armée refusa les ordres de Paris pour arrêter Bonaparte et passa même à l’ennemi. Ce fut notamment le cas du 5ième régiment d’infanterie avant d’entrer à Grenoble avec cette célèbre scène, de Napoléon s’avançant seul contre les militaires, racontée par Stendhal : « Soldats du 5e ! Reconnaissez votre empereur ! S’il en est un qui veut me tuer, me voilà ! ». Finalement, aucun n’a tiré et tous ont rallié l’Empereur.
Le 10 Mars près de Lyon le comte d’Artois, frère du Roi, entreprit d’arrêter Napoléon mais ses troupes en le trahissant rejoignirent l’Empereur. Le 15 Mars, le maréchal Ney, qui avait promis à Louis XVIII de « ramener Napoléon dans une cage de fer » se rallia également à l’Empereur. Plus tard, lors de son procès, il dira pour se justifier : « On n’arrête pas l’eau avec ses mains ».
L’annonce de la défection de Ney ne fut reçue que le 16 à Paris mais fit l’effet d’une bombe. Désormais, plus rien ne séparait Bonaparte de Paris. Le Roi, lui-même décida de prendre la parole devant la chambre des députés, presque tous des anciens de l’Empire : « je ne crains donc rien pour moi, mais je crains pour la France : celui qui vient allumer parmi nous les torches de la guerre civile y apporte aussi le fléau de la guerre étrangère ; il vient remettre notre patrie sous son joug de fer ; il vient détruire cette charte constitutionnelle que je vous ai donnée, cette charte, mon plus beau titre aux yeux de la postérité, cette Charte que tous les français chérissent et que je jure ici de maintenir : rallions-nous donc autour d’elle ». *
Néanmoins, le 20 Mars, le roi quitta Paris pour s’enfuir à Gand, en Belgique. Chateaubriand dira plus tard que ce choix délégitima définitivement les Bourbons aux yeux du peuple. Ne trouvant à Paris aucune résistance, Napoléon put reprendre sa place aux Tuileries. Formidable entreprise de ce génie que de prendre le pouvoir sans effusion de sang avec seulement 900 hommes pour l’épauler. Mais pourtant, cet exploit aura de terribles conséquences pour la suite.
Les cent-jours
Revenu au pouvoir à la faveur d’un putsch militaire, Napoléon croyait que son simple retour entraînerait de fait le rétablissement des anciennes structures impériales. Il n’en fut rien. Certes, les anciennes élites révolutionnaires et impériales, après l’avoir lâché en 1814 pour la monarchie, l’ont de nouveau appuyé une fois le Roi enfuit. D’autres comme Benjamin Constant qui l’ont qualifié de « tyran » se sont empressés de le rallier dès que Bonaparte posa les pieds à Paris.
Epoque étonnante que la Révolution et l’Empire où des hommes pouvaient soutenir tour à tour la République, l’Empire et la Monarchie en fonction des circonstances. On voit d’ailleurs à quel point la Révolution a enfanté non pas d’un nouvel ordre politique mais d’un désordre politique dans lequel le principe de légitimité est constamment remis en question. C’est de fait à cette époque qu’est publié le dictionnaire des Girouettes, nommant tous les hommes qui ont changé de camp durant cette période. Talleyrand se justifiera plus tard d’être une girouette par cette anecdote pleine d’humour : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ».
La France sous les cent-jours ressemblait sur la forme à l’Empire d’avant 1814. Cependant, sur le fond tout ou presque avait changé. Ce furent les mêmes hommes mais pas le même esprit. Au fond, la Restauration avait donné aux français le goût de la liberté et de la paix, c’est-à-dire toute chose que Napoléon avait abhorré tout au long de sa vie. Dans son étonnement, il disait : « Comme les Bourbons m’ont arrangé la France en quelques mois ! il me faudra des années pour la refaire ! »
Ce pays, qu’il avait dominé pendant quinze longe années, il ne le reconnaissait plus. Prenant acte du changement de mentalité, Napoléon tenta de se faire le chantre de la liberté. « Lui, qui avait foulé le peuple en maître, écrivait Chateaubriand, fut réduit à se refaire tribun du peuple, à courtiser la faveur des faubourgs, à parodier l’enfance révolutionnaire, à bégayer un vieux langage de liberté qui faisait grimacer ses lèvres et dont chaque syllabe mettait en colère son épée ». *
Le problème de ce discours c’est qu’en se faisant le héraut du libéralisme, Napoléon de 1815 critiquait Napoléon d’avant son abdication dans un dédoublement permanent de sa personnalité. Cette situation créait un malaise structurel comme si l’Empereur n’était plus capable de comprendre les français. Elle imposait surtout à Napoléon de négocier avec des forces qu’il a jusqu’ici toujours méprisé voire persécuté comme les libéraux, emmenés par Constant, et les jacobins.
De même, la liberté de la presse permettait à des écrivains d’écrire des pamphlets contre sa personne, et on voyait même des caricatures se moquant ouvertement de l’Empereur. Ce fut au fond tout son prestige qui fut écorné, à peine revenu à Paris.
Voulant par la suite reprendre la main en proclamant les actes additionnels aux constitutions de l’Empire, actes qui lui redonnaient une forme d’autorité perdue, Napoléon a été abandonné en rase campagne par les élites du régime et a dû faire marche arrière comme un vulgaire politicien. Déjà, certains ministres comme Fouché complotaient avec les autrichiens pour le faire abdiquer en faveur de son fils. Napoléon n’avait pas oublié également que ce fut cette même élite qui l’abandonna en Avril 1814.
Et puis les élections du corps législatif n’avaient pas arrangé les choses. En votant, en effet, pour une majorité libérale, les français avaient fait comprendre à Napoléon qu’ils ne voulaient en aucun cas concéder à l’Empereur leurs libertés acquises sous la Restauration.
Napoléon, « grand homme vieilli, seul au milieu de tous ces traîtres, hommes et sort, sur une terre chancelante » *, fut de fait gagné par la mélancolie et la dépression. Chaque jour, les personnes qui l’apercevaient étaient surpris par son visage emprunté et par son embonpoint qui grossissait à vue d’œil. En quelques sorte, l’Empereur ressemblait à un cadavre ambulant. Lui qui était d’habitude si fringant en était réduit à un homme abîmé, dépouillé de tout prestige.
Mais si le front intérieur semblait échapper au jugement de Bonaparte, le front extérieur continuait lui à empoisonner ses pensées. Encerclée de toutes parts par les puissances alliées, la France napoléonienne, dont les frontières furent celles de 1792, leva en masse de nouveaux soldats dans l’objectif d’une énième campagne militaire. L’Empereur jeta son dévolu sur la Belgique protégée par les anglais et les prussiens. Ce fut donc en état d’agonie que Napoléon marcha pour la dernière fois vers son destin.
Waterloo
En grande difficulté politique sur le plan intérieur, l’Empereur était soulagé d’entrer en campagne là ou d’habitude il excelle. Son plan consistait à battre successivement les armées prussiennes puis les troupes anglaises de Wellington avant qu’elles ne se rejoignent. Le 15 Juin 1815, l’Empereur fait tomber Charleroi et repousse les prussiens de Blücher. Le lendemain, il tombe sur les anglais à Quatre-Bras et sur les prussiens à Ligny. Dans cette dernière ville, Napoléon remporte la bataille et voit l’armée prussienne se retirer précipitamment. A ce moment, il en est convaincu, les prussiens sont défaits et ne pourront aider les anglais. Il commande d’ailleurs au maréchal Grouchy de les poursuivre et de les écraser.
Le 17, informé de la retraite de Blücher, Wellington quitte ses positions de Quatre-Bras pour se replier sur une position plus tenable au Mont Saint-Jean en face de la plaine de Waterloo. L’objectif de Wellington est de défendre la position le plus longtemps possible avant l’arrivée des prussiens puis de profiter de l’avantage numérique pour emporter la bataille. Pour protéger sa position, le Duc peut compter sur trois points d’appui défensif, les fermes d’Hougoumont, de la Haie Sainte et de la Papelotte.
Pour Napoléon, les prussiens grâce à Grouchy ne pourront pas revenir pour aider Wellington. Il pense alors que sa supériorité numérique suffit pour vaincre les anglais souhaitant s’attaquer au centre du dispositif anglais à la ferme de la Haye Sainte. Il compte également sur une diversion menée par la division Jérôme (du nom du frère de l’Empereur et ancien Roi de Hollande) pour attirer les anglais dans la défense de la ferme d’Hougoumont. L’avantage de Napoléon est d’avoir davantage de pièces d’artillerie et une cavalerie nettement plus puissante que celle de Wellington.
Le soir, un terrible orage s’abat sur la « morne plaine » (Victor Hugo) contraignant l’Empereur a repoussé l’attaque, le sol boueux étant défavorable aux canons et à la cavalerie. Le 18 Juin, à 11h 30, Napoléon donne l’assaut. Comme prévu, c’est la division Jérôme qui attaque la ferme d’Hougoumont. Pendant deux heures, les français attaquent mais sont à chaque fois repoussés par une solide organisation défensive anglaise. Durant les assauts répétés contre la ferme, le général Bauduin est tué.
A 13h, l’artillerie française commence à bombarder les positions anglaises mais le sol pluvieux limite sa portée. A 13h30, la préparation d’artillerie qui avait détruit le corps hollandais rendait possible la charge de la cavalerie commandée par le maréchal Ney soutenue par l’infanterie du général d’Erlon. Ce dernier peut compter sur quatre divisions. La division Quiot doit prendre la ferme de la Haye-Sainte, la division Durutte doit prendre quant à elle la ferme de Papelotte tandis que les divisions Donzelot et Marcognet ont pour objectif de prendre pied sur le plateau.
Au cours de la bataille, Durutte prend facilement le contrôle de Papelotte défendue par une brigade de Saxe. Donzelot et Marcognet avancent rapidement sur le plateau mais sont surpris par une contre-offensive anglaise. Incapable de reformer la ligne, ces deux divisions sont sur le point d’être anéanties mais sont sauvées in extrémis par la cavalerie française. Enfin, Quiot tombe sur une ligne défensive à la Ferme Haye-Sainte extrêmement compacte et disciplinée.
A 15h, voyant la résistance anglaise devant la ferme Haye-Sainte, cœur du dispositif anglais, le maréchal Ney ordonne à sa cavalerie de prendre la ferme. Habilement, Wellington ordonne à ses hommes de se replier sur une ligne formée entre Hougoumont et la Haye-Sainte. Ney décide alors contre l’avis de l’Empereur de mobiliser tous ses hommes pour enlever la position. C’est un massacre.
Les anglais, formés en carrés déciment la cavalerie française qui multiplie pourtant les assauts. La cavalerie tombe également sur le fossé du chemin d’Ohain. Victor Hugo dans Les Misérables en fera des pages mémorables :
« Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la crête, et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises criant : vive l’empereur ! Toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l’entrée d’un tremblement de terre. Tout à coup, chose tragique, à la gauche des Anglais, à notre droite, la tête de colonne des cuirassiers se cabra avec une clameur effroyable. Parvenus au point culminant de la crête, effrénés, tout à leur furie et à leur course d’extermination sur les carrés et les canons, les cuirassiers venaient d’apercevoir entre eux et les Anglais un fossé, une fosse. C’était le chemin creux d’Ohain. L’instant fut épouvantable. Le ravin était là, inattendu, béant, à pic sous les pieds des chevaux, profond de deux toises entre son double talus ; le second rang y poussa le premier, et le troisième y poussa le second ; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l’air, pilant et bouleversant les cavaliers, aucun moyen de reculer, toute la colonne n’était plus qu’un projectile, la force acquise pour écraser les Anglais écrasa les Français, le ravin inexorable ne pouvait se rendre que comblé, cavaliers et chevaux y roulèrent pêle-mêle se broyant les uns sur les autres, ne faisant qu’une chair dans ce gouffre, et, quand cette fosse fut pleine d’hommes vivants, on marcha dessus et le reste passa. Presque un tiers de la brigade Dubois croula dans cet abîme. »**
A 16h 30, les prussiens arrivent sur le flanc Est du dispositif français. La surprise est de taille pour Napoléon qui accuse immédiatement Grouchy de l’avoir trahi. Il doit utiliser les réserves pour protéger son flanc droit puis à 17 h décide d’envoyer toutes ses forces encore disponibles pour prendre les positions anglaises avant que son flanc Est ne tombe. A 18h30, Ney emporte finalement la ferme de Haye-Sainte. La situation est alors critique pour Wellington qui voit s’effondrer tout son pivot défensif.
Ney réclame plus d’hommes pour en finir définitivement avec les anglais mais Napoléon refuse par peur des prussiens. C’est à ce moment-là que l’Empereur commet l’erreur fatale qui lui coûte la victoire. Pendant une heure en effet, Napoléon reste attentiste permettant à Wellington de reconstituer une ligne défensive solide. A 19h30, finalement, la garde impériale de Cambronne est mise à disposition de Ney mais il est déjà trop tard. Elle ne parvient pas à briser les lignes anglaises et est même contrainte de se replier. Voyant l’élite de l’armée française reculer, les soldats de l’Empereur sont pris de panique et commencent à fuir le champ de bataille.
A partir de 20h30, une à une, les positions françaises tombent aux mains de l’ennemi. C’est la débandade. Les soldats français sont massacrés tandis que Napoléon quitte le champ de bataille protégé par sa garde. Seules les forces de Cambronne résistent héroïquement. Aux anglais qui le somment de se rendre, Cambronne dit : « La garde meurt mais ne se rend pas ». Plus tard, il dira à ces mêmes anglais : « merde » en guise de réponse à leurs injonctions. Finalement, il sera grièvement blessé et capturé mais son héroïsme est entré dans la légende. Victor Hugo dira de lui : « l’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne. Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. » **
Au final, Waterloo représenta le plus grand désastre militaire de l’histoire de France. Toute l’armée française fut mise hors de combat en moins d’un jour à Waterloo. Pourtant, Napoléon était proche de la victoire mais il a commis des erreurs inhabituelles pour ce génie militaire. Cette bataille fut en tout cas le champ de cygne des ambitions de Napoléon. Ce dernier, revenu à Paris le 21 Juin, abdique une seconde fois le 22. Les cent-jours de Napoléon s’achevèrent donc dans une débâcle absolue. Expérience désastreuse pour les uns, épopée romanesque pour d’autres, l’expérience des cent-jours fut sans nul doute le combat de trop pour Bonaparte.
*Chateaubriand, Les mémoires d’outre-tombe
**Victor Hugo, Les misérables