Le Roman de Bonaparte (13/15): le désastre des cent-jours (Mars-Juin 1815)

Le Roman de Bonaparte (13/15): le désastre des cent-jours (Mars-Juin 1815)

“Waterloo! Waterloo! Waterloo! morne plaine!

Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,

Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,

La pâle mort mêlait les sombres bataillons.

D’un côté c’est l’Europe et de l’autre la France.

Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l’espérance ;

Tu désertais, victoire, et le sort était las.

Ô Waterloo ! je pleure et je m’arrête, hélas ! »

Victor Hugo, Les Châtiments, L’expiation (1853)

 

« Cent jours : l’aventure ne dura pas davantage et ce fut assez pour causer des dégâts incalculables. A l’intérieur d’abord, en rendant plus difficile la réconciliation des français. Napoléon ne savait pas seulement le métier de la guerre. Il savait celui de la politique qu’il avait appris, exercé pendant la Révolution. C’est de la Révolution surtout qu’il réveilla le souvenir, parlant gloire aux soldats, paix et liberté au peuple. L’Empereur autoritaire était revenu en démagogue. »

Jacques Bainville, Histoire de France (1924)

 

La nouvelle sonna comme un coup de tonnerre. Ce 3 Mars 1815, « le télégraphe annonça aux braves et aux incrédules le débarquement de l’homme » *. Bonaparte était en effet rentré en France le 1er Mars entre Cannes et Antibes, entreprise considérée par Chateaubriand « comme le crime irrémissible et la faute capitale de Napoléon » *. La nouvelle de ce retour fit rapidement le tour des capitales européennes.

A vienne, où étaient réunis les souverains de l’Europe, le débarquement de l’Empereur entraîna le branle-bas de combat des puissances alliées. Signant une déclaration commune, les alliés qualifièrent la fuite de Bonaparte comme un « délire criminel et impuissant » ajoutant de Napoléon qu’il était « l’ennemi et le perturbateur du repos du monde ».  A Paris, une forme de torpeur saisit les autorités de la Restauration.

Napoléon venait en fait de réaliser un coup de poker digne d’un récit romanesque, un « coup de maître » pour Talleyrand qui s’y connait en la matière. Prenant dans la clandestinité un navire militaire, il a réussi à sortir de son « île-prison » en traversant la Méditerranée sans être aperçu par la flotte anglaise. Ce coup de génie fait d’ailleurs écho à sa fuite d’Egypte en 1799. Pour la deuxième fois en 15 ans, l’Empereur venait d’échapper à la vigilance des anglais. A Sainte-Hélène, ces derniers s’en souviendront.

Plus tard, au cours du XIXème siècle, les historiens se déchireront sur les raisons réelles qui ont poussé Bonaparte à franchir le Rubicon d’un retour sur la terre de France. Après tout, pourquoi l’Empereur a-t-il tout risqué pour revenir à Paris ? Quelles ont été ses véritables motivations dans cette affaire ?

napoléon golfe juan

 

Les motivations de Bonaparte

L’historiographie française présente souvent le geste de Napoléon comme étant l’action d’un désespéré contraint pour sa survie à quitter l’île d’Elbe. Geste de soutien à la Révolution, étouffement financier, menaces d’assassinat, tout y passe pour justifier le comportement de l’Empereur.

Pour l’historiographie révolutionnaire républicaine, c’est-à-dire l’historiographie officielle, ce sont les circonstances extérieures qui ont poussé Bonaparte. Tout d’abord, selon eux, Napoléon n’aurait agi de la sorte que pour protéger l’héritage révolutionnaire soi-disant menacé par la Restauration. Autant le dire toute de suite, cette thèse n’a strictement aucun sens.

La France de la première Restauration était en effet fondée sur un compromis entre les avancées révolutionnaires et la monarchie symbolisée par la charte constitutionnelle. Non seulement les biens nationaux et tous les acquis de la Révolution avaient été maintenus mais les élites issues de la Révolution et de l’Empire avaient également conservé leurs positions dominantes. Même les régicides et les assassins du Duc D’Enghien s’étaient vus octroyer une immunité bienveillante.

Chateaubriand lui-même exprimait bien cette complaisance du Roi vis-à-vis des anciens hommes de l’Empire : « Qui composait ces proclamations, ces adresses accusatrices et outrageantes pour Napoléon dont la France était inondée ? des royalistes ? Non : les ministres, les généraux, les autorités, choisis et maintenus par Bonaparte. Ou se tripotait la Restauration ? chez des royalistes ? Non : chez M.de Talleyrand. Avec qui ? avec M. de Pradt, aumônier du Dieu Mars et saltimbanque mitré. » *

Il n’y avait donc absolument pas, comme le prétend l’histoire officielle, une persécution des révolutionnaires ni même une « Terreur blanche » fomentée par des aristocrates contre le peuple français. Au contraire, il n’y a jamais eu autant de libertés que sous la Restauration. Même les jacobins furent mieux traités sous Louis XVIII que sous Napoléon. La France était de plus sur le point de se redresser profitant d’une paix intérieure et extérieure qu’elle n’avait pas connu depuis 1789. Sur le plan diplomatique, Talleyrand avait réussi à replacer la France au cœur du concert européen des nations. Chateaubriand avait donc raison quand il disait à propos du retour de l’Empereur qu’« il y eut dans cette conception fantastique un égoïsme féroce, un manque effroyable de reconnaissance et de générosité envers la France ». *

restauration

 

Un autre argument avancé fait état de multiples complots visant à assassiner l’Empereur. S’il est vrai que certains y ont sans doute pensé, il n’existe encore aujourd’hui aucune preuve tangible pour confirmer ces affirmations. D’ailleurs, les puissances alliées étant garantes du Traité de Fontainebleau, il parait plus qu’improbable qu’elles eussent envisagé d’assassiner Bonaparte.

Non, la seule et unique raison qui a poussé Bonaparte à quitter son exile fut son caractère. Animé par un puissant esprit de revanche, l’homme qui s’est toujours senti, après son abdication, non pas vaincu mais trahi, n’a eu de cesse de penser à son retour. Mais ce fut lorsqu’il sentit une opportunité qu’il se décida à agir.

Stratège de génie, il avait vu que les alliés étaient paralysés par leurs dissensions au Congrès de Vienne. De même, il était informé que l’armée était mécontente de son traitement financier, ce qui d’ailleurs ne venait pas d’une stratégie délibérée de la part de la Monarchie pour punir les militaires comme on l’entend souvent mais était le prix à payer pour renflouer les caisses de l’Etat.

Loin d’avoir répondu aux demandes du peuple pour sauver la Révolution ni même quitter l’île d’Elbe pour sauver sa vie, Napoléon a simplement fait le pari risqué d’une reconquête du pouvoir en misant sur le soutien de l’armée. Dans tous les cas, ce pari fut gagné d’une manière tellement inattendue que, même Bonaparte, fut surpris de sa réussite.

 

Le Vol de l’Aigle

Durant 20 jours, après son débarquement à Golfe-Juan, « l’aigle Napoléon vola de clocher en clocher » ne trouvant face à lui qu’un pouvoir faible et incapable de prendre la moindre disposition pour l’arrêter. Ce fut en effet la torpeur du gouvernement de Paris qui in fine donnera à Napoléon l’avantage stratégique. Au courant depuis le 3 Mars du retour de Bonaparte, Paris ne prend des mesures que le 8 par le Maréchal Soult, ministre de la guerre.

maréchal soult

 

Ce dernier, dans un discours, exhortait ses soldats à combattre le « tyran » : « Cet homme qui naguère abdiqua aux yeux de l’Europe un pouvoir usurpé, dont il avait fait un si fatal usage, est descendu sur le sol français qu’il ne devait plus revoir. Que veut-il ? La guerre civile : que cherche-t-il ? des traîtres : où les trouvera-t-il ? Serait-ce parmi ces soldats qu’il a trompés et sacrifiés tant de fois, en égarant leur bravoure ? Serait-ce au sein de ces familles que son nom seul remplit encore d’effroi ? »

Napoléon n’avait en fait que très peu de soldats avec lui et son retour n’a jamais été populaire auprès des français. C’est pourquoi d’ailleurs il décida d’éviter les grandes concentrations urbaines jusqu’à Grenoble où il fut accueilli triomphalement le 8 Mars. Cette ville, depuis la journée des tuiles (7 Juin 1788), fut de toute façon allergique à la monarchie. Pourtant, hormis à Grenoble, l’accueil des français ne fut pas chaleureux, mais même parfois hostile.

L’opération fut en réalité un coup d’Etat militaire sur lequel Bonaparte prit appui pour s’emparer du pouvoir. Plusieurs fois, l’armée refusa les ordres de Paris pour arrêter Bonaparte et passa même à l’ennemi. Ce fut notamment le cas du 5ième régiment d’infanterie avant d’entrer à Grenoble avec cette célèbre scène, de Napoléon s’avançant seul contre les militaires, racontée par Stendhal : « Soldats du 5e ! Reconnaissez votre empereur ! S’il en est un qui veut me tuer, me voilà ! ». Finalement, aucun n’a tiré et tous ont rallié l’Empereur.

napoléon cinquième régiment

 

Le 10 Mars près de Lyon le comte d’Artois, frère du Roi, entreprit d’arrêter Napoléon mais ses troupes en le trahissant rejoignirent l’Empereur. Le 15 Mars, le maréchal Ney, qui avait promis à Louis XVIII de « ramener Napoléon dans une cage de fer » se rallia également à l’Empereur. Plus tard, lors de son procès, il dira pour se justifier : « On n’arrête pas l’eau avec ses mains ».

L’annonce de la défection de Ney ne fut reçue que le 16 à Paris mais fit l’effet d’une bombe. Désormais, plus rien ne séparait Bonaparte de Paris. Le Roi, lui-même décida de prendre la parole devant la chambre des députés, presque tous des anciens de l’Empire : « je ne crains donc rien pour moi, mais je crains pour la France : celui qui vient allumer parmi nous les torches de la guerre civile y apporte aussi le fléau de la guerre étrangère ; il vient remettre notre patrie sous son joug de fer ; il vient détruire cette charte constitutionnelle que je vous ai donnée, cette charte, mon plus beau titre aux yeux de la postérité, cette Charte que tous les français chérissent et que je jure ici de maintenir : rallions-nous donc autour d’elle ». *

Néanmoins, le 20 Mars, le roi quitta Paris pour s’enfuir à Gand, en Belgique. Chateaubriand dira plus tard que ce choix délégitima définitivement les Bourbons aux yeux du peuple. Ne trouvant à Paris aucune résistance, Napoléon put reprendre sa place aux Tuileries. Formidable entreprise de ce génie que de prendre le pouvoir sans effusion de sang avec seulement 900 hommes pour l’épauler. Mais pourtant, cet exploit aura de terribles conséquences pour la suite.

 

Les cent-jours

Revenu au pouvoir à la faveur d’un putsch militaire, Napoléon croyait que son simple retour entraînerait de fait le rétablissement des anciennes structures impériales. Il n’en fut rien. Certes, les anciennes élites révolutionnaires et impériales, après l’avoir lâché en 1814 pour la monarchie, l’ont de nouveau appuyé une fois le Roi enfuit. D’autres comme Benjamin Constant qui l’ont qualifié de « tyran » se sont empressés de le rallier dès que Bonaparte posa les pieds à Paris.

benjamin constant

 

Epoque étonnante que la Révolution et l’Empire où des hommes pouvaient soutenir tour à tour la République, l’Empire et la Monarchie en fonction des circonstances. On voit d’ailleurs à quel point la Révolution a enfanté non pas d’un nouvel ordre politique mais d’un désordre politique dans lequel le principe de légitimité est constamment remis en question. C’est de fait à cette époque qu’est publié le dictionnaire des Girouettes, nommant tous les hommes qui ont changé de camp durant cette période. Talleyrand se justifiera plus tard d’être une girouette par cette anecdote pleine d’humour : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ».

La France sous les cent-jours ressemblait sur la forme à l’Empire d’avant 1814. Cependant, sur le fond tout ou presque avait changé. Ce furent les mêmes hommes mais pas le même esprit. Au fond, la Restauration avait donné aux français le goût de la liberté et de la paix, c’est-à-dire toute chose que Napoléon avait abhorré tout au long de sa vie. Dans son étonnement, il disait : « Comme les Bourbons m’ont arrangé la France en quelques mois ! il me faudra des années pour la refaire ! »

Ce pays, qu’il avait dominé pendant quinze longe années, il ne le reconnaissait plus. Prenant acte du changement de mentalité, Napoléon tenta de se faire le chantre de la liberté. « Lui, qui avait foulé le peuple en maître, écrivait Chateaubriand, fut réduit à se refaire tribun du peuple, à courtiser la faveur des faubourgs, à parodier l’enfance révolutionnaire, à bégayer un vieux langage de liberté qui faisait grimacer ses lèvres et dont chaque syllabe mettait en colère son épée ». *

Le problème de ce discours c’est qu’en se faisant le héraut du libéralisme, Napoléon de 1815 critiquait Napoléon d’avant son abdication dans un dédoublement permanent de sa personnalité. Cette situation créait un malaise structurel comme si l’Empereur n’était plus capable de comprendre les français. Elle imposait surtout à Napoléon de négocier avec des forces qu’il a jusqu’ici toujours méprisé voire persécuté comme les libéraux, emmenés par Constant, et les jacobins.

De même, la liberté de la presse permettait à des écrivains d’écrire des pamphlets contre sa personne, et on voyait même des caricatures se moquant ouvertement de l’Empereur. Ce fut au fond tout son prestige qui fut écorné, à peine revenu à Paris.

Voulant par la suite reprendre la main en proclamant les actes additionnels aux constitutions de l’Empire, actes qui lui redonnaient une forme d’autorité perdue, Napoléon a été abandonné en rase campagne par les élites du régime et a dû faire marche arrière comme un vulgaire politicien. Déjà, certains ministres comme Fouché complotaient avec les autrichiens pour le faire abdiquer en faveur de son fils. Napoléon n’avait pas oublié également que ce fut cette même élite qui l’abandonna en Avril 1814.

Et puis les élections du corps législatif n’avaient pas arrangé les choses. En votant, en effet, pour une majorité libérale, les français avaient fait comprendre à Napoléon qu’ils ne voulaient en aucun cas concéder à l’Empereur leurs libertés acquises sous la Restauration.

Napoléon, « grand homme vieilli, seul au milieu de tous ces traîtres, hommes et sort, sur une terre chancelante » *, fut de fait gagné par la mélancolie et la dépression. Chaque jour, les personnes qui l’apercevaient étaient surpris par son visage emprunté et par son embonpoint qui grossissait à vue d’œil. En quelques sorte, l’Empereur ressemblait à un cadavre ambulant. Lui qui était d’habitude si fringant en était réduit à un homme abîmé, dépouillé de tout prestige.

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Mais si le front intérieur semblait échapper au jugement de Bonaparte, le front extérieur continuait lui à empoisonner ses pensées. Encerclée de toutes parts par les puissances alliées, la France napoléonienne, dont les frontières furent celles de 1792, leva en masse de nouveaux soldats dans l’objectif d’une énième campagne militaire. L’Empereur jeta son dévolu sur la Belgique protégée par les anglais et les prussiens. Ce fut donc en état d’agonie que Napoléon marcha pour la dernière fois vers son destin.

 

Waterloo

En grande difficulté politique sur le plan intérieur, l’Empereur était soulagé d’entrer en campagne là ou d’habitude il excelle. Son plan consistait à battre successivement les armées prussiennes puis les troupes anglaises de Wellington avant qu’elles ne se rejoignent. Le 15 Juin 1815, l’Empereur fait tomber Charleroi et repousse les prussiens de Blücher. Le lendemain, il tombe sur les anglais à Quatre-Bras et sur les prussiens à Ligny. Dans cette dernière ville, Napoléon remporte la bataille et voit l’armée prussienne se retirer précipitamment. A ce moment, il en est convaincu, les prussiens sont défaits et ne pourront aider les anglais. Il commande d’ailleurs au maréchal Grouchy de les poursuivre et de les écraser.

Portrait Grouchy

 

Le 17, informé de la retraite de Blücher, Wellington quitte ses positions de Quatre-Bras pour se replier sur une position plus tenable au Mont Saint-Jean en face de la plaine de Waterloo. L’objectif de Wellington est de défendre la position le plus longtemps possible avant l’arrivée des prussiens puis de profiter de l’avantage numérique pour emporter la bataille. Pour protéger sa position, le Duc peut compter sur trois points d’appui défensif, les fermes d’Hougoumont, de la Haie Sainte et de la Papelotte.

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Pour Napoléon, les prussiens grâce à Grouchy ne pourront pas revenir pour aider Wellington. Il pense alors que sa supériorité numérique suffit pour vaincre les anglais souhaitant s’attaquer au centre du dispositif anglais à la ferme de la Haye Sainte. Il compte également sur une diversion menée par la division Jérôme (du nom du frère de l’Empereur et ancien Roi de Hollande) pour attirer les anglais dans la défense de la ferme d’Hougoumont. L’avantage de Napoléon est d’avoir davantage de pièces d’artillerie et une cavalerie nettement plus puissante que celle de Wellington.

Le soir, un terrible orage s’abat sur la « morne plaine » (Victor Hugo) contraignant l’Empereur a repoussé l’attaque, le sol boueux étant défavorable aux canons et à la cavalerie. Le 18 Juin, à 11h 30, Napoléon donne l’assaut. Comme prévu, c’est la division Jérôme qui attaque la ferme d’Hougoumont. Pendant deux heures, les français attaquent mais sont à chaque fois repoussés par une solide organisation défensive anglaise. Durant les assauts répétés contre la ferme, le général Bauduin est tué.

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A 13h, l’artillerie française commence à bombarder les positions anglaises mais le sol pluvieux limite sa portée. A 13h30, la préparation d’artillerie qui avait détruit le corps hollandais rendait possible la charge de la cavalerie commandée par le maréchal Ney soutenue par l’infanterie du général d’Erlon. Ce dernier peut compter sur quatre divisions. La division Quiot doit prendre la ferme de la Haye-Sainte, la division Durutte doit prendre quant à elle la ferme de Papelotte tandis que les divisions Donzelot et Marcognet ont pour objectif de prendre pied sur le plateau.

Au cours de la bataille, Durutte prend facilement le contrôle de Papelotte défendue par une brigade de Saxe. Donzelot et Marcognet avancent rapidement sur le plateau mais sont surpris par une contre-offensive anglaise. Incapable de reformer la ligne, ces deux divisions sont sur le point d’être anéanties mais sont sauvées in extrémis par la cavalerie française. Enfin, Quiot tombe sur une ligne défensive à la Ferme Haye-Sainte extrêmement compacte et disciplinée.

A 15h, voyant la résistance anglaise devant la ferme Haye-Sainte, cœur du dispositif anglais, le maréchal Ney ordonne à sa cavalerie de prendre la ferme. Habilement, Wellington ordonne à ses hommes de se replier sur une ligne formée entre Hougoumont et la Haye-Sainte. Ney décide alors contre l’avis de l’Empereur de mobiliser tous ses hommes pour enlever la position. C’est un massacre.

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Les anglais, formés en carrés déciment la cavalerie française qui multiplie pourtant les assauts. La cavalerie tombe également sur le fossé du chemin d’Ohain. Victor Hugo dans Les Misérables en fera des pages mémorables :

 « Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la crête, et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises criant : vive l’empereur ! Toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l’entrée d’un tremblement de terre. Tout à coup, chose tragique, à la gauche des Anglais, à notre droite, la tête de colonne des cuirassiers se cabra avec une clameur effroyable. Parvenus au point culminant de la crête, effrénés, tout à leur furie et à leur course d’extermination sur les carrés et les canons, les cuirassiers venaient d’apercevoir entre eux et les Anglais un fossé, une fosse. C’était le chemin creux d’Ohain. L’instant fut épouvantable. Le ravin était là, inattendu, béant, à pic sous les pieds des chevaux, profond de deux toises entre son double talus ; le second rang y poussa le premier, et le troisième y poussa le second ; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l’air, pilant et bouleversant les cavaliers, aucun moyen de reculer, toute la colonne n’était plus qu’un projectile, la force acquise pour écraser les Anglais écrasa les Français, le ravin inexorable ne pouvait se rendre que comblé, cavaliers et chevaux y roulèrent pêle-mêle se broyant les uns sur les autres, ne faisant qu’une chair dans ce gouffre, et, quand cette fosse fut pleine d’hommes vivants, on marcha dessus et le reste passa. Presque un tiers de la brigade Dubois croula dans cet abîme. »**

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A 16h 30, les prussiens arrivent sur le flanc Est du dispositif français. La surprise est de taille pour Napoléon qui accuse immédiatement Grouchy de l’avoir trahi. Il doit utiliser les réserves pour protéger son flanc droit puis à 17 h décide d’envoyer toutes ses forces encore disponibles pour prendre les positions anglaises avant que son flanc Est ne tombe. A 18h30, Ney emporte finalement la ferme de Haye-Sainte. La situation est alors critique pour Wellington qui voit s’effondrer tout son pivot défensif.

Ney réclame plus d’hommes pour en finir définitivement avec les anglais mais Napoléon refuse par peur des prussiens. C’est à ce moment-là que l’Empereur commet l’erreur fatale qui lui coûte la victoire. Pendant une heure en effet, Napoléon reste attentiste permettant à Wellington de reconstituer une ligne défensive solide. A 19h30, finalement, la garde impériale de Cambronne est mise à disposition de Ney mais il est déjà trop tard. Elle ne parvient pas à briser les lignes anglaises et est même contrainte de se replier. Voyant l’élite de l’armée française reculer, les soldats de l’Empereur sont pris de panique et commencent à fuir le champ de bataille.

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A partir de 20h30, une à une, les positions françaises tombent aux mains de l’ennemi. C’est la débandade. Les soldats français sont massacrés tandis que Napoléon quitte le champ de bataille protégé par sa garde.  Seules les forces de Cambronne résistent héroïquement. Aux anglais qui le somment de se rendre, Cambronne dit : « La garde meurt mais ne se rend pas ». Plus tard, il dira à ces mêmes anglais : « merde » en guise de réponse à leurs injonctions. Finalement, il sera grièvement blessé et capturé mais son héroïsme est entré dans la légende. Victor Hugo dira de lui : « l’homme qui a gagné la bataille de Waterloo, c’est Cambronne. Foudroyer d’un tel mot le tonnerre qui vous tue, c’est vaincre. » **

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Au final, Waterloo représenta le plus grand désastre militaire de l’histoire de France. Toute l’armée française fut mise hors de combat en moins d’un jour à Waterloo. Pourtant, Napoléon était proche de la victoire mais il a commis des erreurs inhabituelles pour ce génie militaire. Cette bataille fut en tout cas le champ de cygne des ambitions de Napoléon. Ce dernier, revenu à Paris le 21 Juin, abdique une seconde fois le 22. Les cent-jours de Napoléon s’achevèrent donc dans une débâcle absolue. Expérience désastreuse pour les uns, épopée romanesque pour d’autres, l’expérience des cent-jours fut sans nul doute le combat de trop pour Bonaparte.

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*Chateaubriand, Les mémoires d’outre-tombe

**Victor Hugo, Les misérables

Macron et la soumission à la société liquide

Macron et la soumission à la société liquide

« La vie dans une société moderne liquide ne peut rester immobile. Elle doit se moderniser ou périr. Poussée par l’horreur de l’expiration, la vie dans une société moderne liquide n’a plus besoin d’être attirée par des merveilles imaginées à l’autre bout des travaux de la modernisation. Ici, on est obligé de courir aussi vite qu’on peut pour rester au même endroit, à l’écart de la poubelle où les derniers sont condamnés à atterrir. »

Zygmunt Bauman, La Vie liquide

 

Depuis son élection, Emmanuel Macron multiplie les initiatives pour favoriser « la mobilité » et « l’innovation » dans tous les secteurs d’activité. Il prévoit d’ailleurs de mettre en œuvre une grande loi sur la mobilité au cours de l’année 2018. Lors d’un discours de campagne, il assurait que son ennemi était « l’assignation à résidence des français ».

 

Avec Macron, le changement c’est maintenant

« L’immobilisme », « le conservatisme », « le scepticisme face au changement », voilà les nouveaux ennemis de la France selon Macron. Il n’y a d’ailleurs pas un seul jour sans que le président s’en prenne à tous ces obstacles au « nécessaire changement pour le progrès », vieilleries d’un « ancien monde » vouées aux gémonies par le macronisme triomphant. Avec Macron, le changement c’est maintenant ou plutôt le changement c’est tout le temps.

Pour lui, il ne faut jamais cesser « d’innover », de « se transformer » ou de « faire bouger les lignes » dans un éloge permanent pour le mouvement paraphrasant avec son slogan « En Marche » la célèbre citation d’Eduard Bernstein pour qui « le but quel qu’il soit ne signifie rien, le mouvement est tout ».

Taguieff fut le premier à caractériser ce qu’il nomme « le bougisme »* comme le nouvel impératif catégorique des sociétés modernes. Par la même, ces sociétés sont entrées dans une course perpétuelle au changement que Zygmunt Bauman** décrivait comme « une vie liquide », c’est-à-dire « une vie prise dans le flux incessant de la mobilité et de la vitesse ».

En d’autres termes, l’homme moderne se voit constamment incité à se soumettre aux impératifs d’instabilité et de précarité, qui seules peuvent lui permettre de s’adapter à la révolution permanente engendrée par la vie liquide. Or, cette société liquide en est venue à contaminer tous les aspects de la vie humaine.

 

Macronisme et société liquide

En termes économiques, la vie liquide transforme en effet le cycle de production en une entreprise permanente schumpétérienne de « destruction créatrice » dans laquelle l’innovation vient se substituer aux anciens modes de production. Il n’est dès lors pas étonnant de voir les entreprises demander à leurs employés de « faciliter la conduite du changement » et de se former régulièrement pour « être remis à niveau ».

L’innovation devient aujourd’hui la variable clé du management des entreprises. Macron lui-même souhaite faire de la France une « nation de start-ups », ces dernières représentant justement parfaitement le modèle schumpétérien de cette « course à l’innovation ».

En termes de consommation d’objets, tout doit être fait pour que leurs espérances de vie soient faibles et limitées de telle sorte que le consommateur soit dans l’obligation constante de les renouveler. C’est la fameuse « obsolescence programmée » mise en lumière par Serge Latouche. « L’effet de mode » et « la propagande marketing » feront de toute façon le reste pour vous faire croire qu’il est plus qu’urgent de renouveler votre stock d’objets.

Mais si la vie liquide a un impact certain sur l’économie en général, l’impact le plus désastreux à terme consiste dans la transformation du comportement humain. Dans la vie liquide, en effet, l’homme lui-même devient un objet de consommation renouvelable à souhait et jetable s’il ne réussit pas à s’adapter. Car là se situe le coût humain de la société liquide, en prônant un changement permanent, celui qui n’est pas assez souple pour s’adapter devient tout bonnement inutilisable comme une chaussure hors d’usage.

Aujourd’hui, ce sont par exemple les ouvriers des anciens bassins industriels qui subissent cette relégation dans le domaine terrible de l’obsolescence. Pour le gouvernement, la France doit s’adapter à cette contrainte du changement notamment en facilitant la flexibilité du marché du travail, c’est-à-dire en précarisant tous les contrats de travail pour rendre sa « fluidité » au marché de l’emploi.

Le problème se pose également pour les personnes âgées. La société liquide est en effet une société misant absolument tout sur le « dynamisme, « le renouveau » ou encore « la nouveauté », caractéristiques dont est affublée la jeunesse. C’est pourquoi, la figure du « jeune » devient la référence centrale des sociétés liquides. Par peur de se faire taxer d’obsolescence, les hommes combattent ainsi coûte que coûte la vieillesse souhaitant toute leur vie rester jeune comme des enfants n’ayant pas envie de grandir.

La société liquide favorise donc de fait une gérontophobie sociale dans lequel seule est valorisée l’image du jeune comme incarnation du renouvellement permanent. Macron, lui-même, joue sur sa jeunesse pour apparaître comme l’image du « renouveau » de sorte que le président est à la fois le promoteur et le produit de la « société liquide ».

 

Société liquide et le vertige de la désappartenance

Plus grave encore, du fait que « la vie dans une société moderne liquide ne peut rester immobile », l’homme doit se délester à la fois d’un héritage culturel et d’un attachement à un territoire s’il veut s’adapter aux nouvelles opportunités offertes par la vie liquide. En effet, premièrement, le passé, l’histoire et tout « l’héritage que l’on a reçus indivis » (Renan) sont assimilés à des principes obsolètes dans un monde qui glorifie sans cesse « l’innovation » et « le changement ».

François-Xavier Bellamy*** y avait d’ailleurs consacré un livre remarquable montrant comment les sociétés occidentales étaient rentrées dans une crise de la « transmission » se dessaisissant volontairement de transmettre l’héritage d’un patrimoine culturel millénaire au nom de la sacro-sainte « nouveauté ». C’est d’ailleurs pourquoi ce patrimoine immatériel est aujourd’hui véritablement menacé de mort par la modernité.

Deuxièmement, l’homme doit abandonner toute appartenance à un territoire ou à une communauté s’il veut rester sans cesse mobile. Dans la société liquide, l’avantage va à l’homme qui se déplace en permanence tel le nomade décrit par Attali**** passant sa vie dans les halls d’aéroport et dans les chambres d’hôtels. Par la même, cet homme nomade se fait l’apôtre de l’ouverture intégrale des frontières et du libre-échange généralisé.

La complaisance vis-à-vis des migrants cherchant du travail en Occident découle également de cette sacralisation de la « mobilité » et du « déplacement ». En cela, la société liquide fabrique un homme à la fois déterritorialisé et déculturalisé s’appliquant à considérer comme « archaïque » tout attachement à une culture particulière.

L’appartenance à une communauté devient dès lors superflue pour l’homme occidental moderne qui se considère lui-même comme « un citoyen du monde ». On assiste donc de fait à l’émergence de la première société d’hommes qui se veulent déracinés, c’est-à dire une société indifférente au sol, au lieu et plus globalement à ses racines. Or, dans ce domaine, le macronisme ne cache pas son aversion pour la culture nationale, le fameux « il n’y a pas de culture française », facilitant à l’inverse une « mobilité » intégrale de la société française et une ouverture généralisée de celle-ci vers l’extérieur.

« Destruction créatrice », « obsolescence programmée », « précarisation », « mobilité permanente », « jeunisme », la société liquide prend des formes différentes mais à chaque fois elle vise à transformer la société en un flux permanent valorisant « le mouvement » et « l’adaptabilité ». Au fond, la société liquide s’en prend à tout ce qui est durable et permanent, à savoir par exemple la culture, le savoir-faire ou encore la nature (sur ce point, la société liquide, de par la mobilité des hommes et le gaspillage des ressources qu’elle engendre a un impact écologique terrifiant).

Or, Macron est le parangon de « l’homme moderne liquide », cette homme-mutant qui « accepte le neuf comme une bonne nouvelle, la précarité comme une valeur, l’instabilité comme un impératif, le métissage comme une richesse »****. Tout le programme macroniste vise en fait à convertir la France à ce type de société sous couvert d’adaptation à la modernité.

 

*Pierre-André Taguieff, Résister au bougisme (2001)

**Zygmunt Bauman, La vie liquide (2005)

***François-Xavier Bellamy, Les déshérités ou l’urgence de transmettre (2014)

****Jacques Attali, L’homme nomade (2003)

Le Roman de Napoléon (12/15) : l’exil (1814-1815)

Le Roman de Napoléon (12/15) : l’exil (1814-1815)

« Quel effet doit produire sur une nation courageuse cette aveugle frayeur, cette pusillanimité soudaine, sans exemple encore au milieu de nos orages ? L’orgueil national trouvait (c’était un tort) un certain dédommagement à n’être opprimé que par un chef invincible. Aujourd’hui que reste-t-il ? Plus de prestige, plus de triomphes, un empire mutilé, l’exécration du monde, un trône dont les pompes sont ternies, dont les trophées sont abattus, et qui n’a pour tout entourage que les ombres errantes du duc d’Enghien, de Pichegru, de tant d’autres qui furent égorgés pour le fonder. »

Benjamin Constant, De l’Esprit de conquête

 

« Généraux, officiers, sous-officiers et soldats de ma vieille garde, je vous fais mes adieux : depuis vingt ans je suis content de vous ; je vous ai toujours trouvés sur le chemin de la gloire. Les puissances alliées ont armé toute l’Europe contre moi, une partie de l’armée a trahi ses devoirs, et la France elle-même a voulu d’autres destinées. […]. Je ne puis vous embrasser tous ; mais j’embrasserai votre général ! Venez, général. Qu’on m’apporte l’aigle ! Chère aigle ! Que ces baiser retentissent dans le cœur de tous les braves ! Adieu, mes enfants ! Mes vœux vous accompagneront toujours ; conservez mon souvenir. »

Napoléon, Discours de Fontainebleau du 20 Avril 1814

 

Depuis ce 6 Avril 1814, date fatidique de son abdication, Napoléon se retrouvait seul à Fontainebleau se remémorant sans doute les gloires et les échecs de l’Empire. N’ayant plus de pouvoir, l’Empereur attendait dans l’angoisse la décision des alliés le concernant. Pour la première fois, Napoléon s’était sentit impuissant, incapable qu’il était de maîtriser son propre destin. Il fut en quelques sorte un prisonnier des Etats européens après en avoir été le maître absolu.

On ne l’autorisait d’ailleurs pas à voir sa femme, Marie-Louise, et son fils, le Roi de Rome, tandis qu’il ne pouvait quitter Fontainebleau, véritable forteresse assiégée. Arpentant les allées d’un château devenu dorénavant trop grand pour lui, Bonaparte ne pouvait être que saisi par l’incroyable renversement de situation que lui offrait le destin. En une année seulement, il avait tout perdu. L’Empire, le pouvoir, l’Armée, ses compagnons de route, tout lui avait échappé en un claquement de doigts.

Mais le pire pour lui ne fut pas tant l’abdication en elle-même mais la trahison qu’il considérait comme étant à l’origine de sa chute. Mordant la main qui les avaient nourris, les élites impériales ont abandonné l’Empereur au moment où celui-ci réalisait une de ses plus belles campagnes militaires. C’est ici que se situe la clé pour comprendre le comportement de Napoléon en 1815 car en n’étant pas complètement vaincu militairement, l’Empereur voyait dans la victoire des alliés une simple trahison, un « coup de poignard dans le dos » donnant un sentiment d’illégitimité à son abdication.

Le 12 Avril 1814, il apprit les termes du Traité de Fontainebleau dans lesquels lui fut attribuée la souveraineté de l’île d’Elbe tout en conservant son titre d’Empereur. A Marie-Louise et à son fils, les alliés ont donné le Duché de Parme, renforçant par la même la domination autrichienne sur l’Italie. On peut s’imaginer le sentiment d’humiliation ressenti par Napoléon lorsqu’on lui avait appris qu’il n’était plus souverain que d’une île plus petite encore que la Corse.

Cette nuit-là d’ailleurs il tenta de se suicider en avalant du poison. En pleine agonie, il dit à Caulaincourt : « Qu’on a de peine à mourir, qu’on est malheureux d’avoir une constitution qui repousse la fin d’une vie qu’il me tarde tant de voir finir ! » Par miracle, Napoléon survécut à sa tentative de suicide, le médecin Yvan refusant d’accéder à se demande d’une dose de poison supplémentaire. S’ensuivit dès lors des jours pénibles dans l’attente du convoi qui fut censé le conduire en exil à l’île d’Elbe.

 

La première restauration et le retour de Louis XVIII

Tandis que l’Empereur se trouvait à Fontainebleau, les tractations à Paris reprenaient de plus belles. Talleyrand, dorénavant l’homme fort du pays s’activait en coulisses pour permettre le retour de Louis XVIII sur le trône de France non sans l’enfermer au préalable dans un carcan constitutionnel protégeant tout à la fois les acquis de la Révolution et les privilèges des élites impériales. En d’autres termes, l’ancien évêque voulait imposer au nouveau roi une « charte constitutionnelle » qui imposerait de fait une forme de monarchie parlementaire à l’anglaise où l’ancien sénat impérial ferait office de chambre des Lords.

Cette charte d’ailleurs offrait aux français une liberté inégalée, bien plus importante que les constitutions issues de la Révolution Française. Mais pour mettre en œuvre cette charte, encore fallait-il que Louis XVIII l’accepte. C’est pourquoi, Talleyrand rendit visite au roi à Compiègne. Commença alors une extraordinaire séance de négociation entre deux des hommes les plus brillants de leur temps.

Chateaubriand, qui avait fait acte d’allégeance au roi lorsqu’il publia son pamphlet De Buonaparte et des Bourbons, était également présent à Compiègne pour voir arriver Louis XVIII : « Un homme arrive seul de l’exil, dépouillé de tout, sans suite, sans gardes, sans richesses ; il n’a rien à donner, presque rien à promettre. Il descend de sa voiture, appuyé sur le bras d’une jeune femme ; il se montre à des capitaines qui ne l’ont jamais vu, à des grenadiers qui savent à peine son nom. Quel est cet homme ? c’est le Roi ! Tout le monde tombe à ses pieds. »*

Louis XVIII

 

Cette arrivée presque pathétique de ce roi, à la fois gros et impotent, ne doit pourtant pas occulter la force intellectuelle prodigieuse de ce souverain en exil depuis 23 ans. Né en 1755, l’homme fut toujours considéré comme le plus brillant des petits-fils de Louis XV. Doté du titre de Comte de Provence, son intelligence ne fut pourtant pas mise à profit par son frère aîné, Louis XVI, qui ne lui a jamais fait confiance. Après l’échec de la fuite du Roi à Varennes en 1791, Louis-Stanislas Xavier de Bourbon, s’exila à l’étranger rejoignant ainsi son frère cadet, le comte d’Artois. Sa vie bascula réellement lorsque son grand frère fut guillotiné le 21 janvier 1793 puis lorsque son neveu, Louis XVII, mourut en 1795 à la prison du Temple. Dès lors, reposait sur les épaules du Comte de Provence l’avenir de la maison royale se déclarant lui-même Louis XVIII et roi légitime de France.

Errant littéralement dans toute l’Europe pour échapper aux armées révolutionnaires et impériales, le comte de Provence n’a pourtant jamais perdu de vue néanmoins la prééminence de son rang. En 1814, la chute de Napoléon, « l’usurpateur », lui offrit enfin l’opportunité de reconquérir le trône de France. Pourtant, il ne fut en aucun cas l’option préférentielle des puissances alliées. Le Tsar et le roi de Prusse préféraient Bernadotte, l’Autriche Marie-Louise et l’Angleterre avait un faible pour les Orléans, branche cadette des Bourbons. Louis XVIII ne fut donc pas revenu comme on le dit « dans les fourgons de l’étranger » n’ayant été accepté in fine que sous l’influence d’un Talleyrand qui souhaitait en faire un « roi anglais », c’est-à-dire un roi sans pouvoir.

La rencontre de Compiègne fut donc un moment décisif pour Louis XVIII et Talleyrand. A son arrivée, ce dernier a dû patienter comme un vulgaire courtisan pendant deux heures avant d’être reçu par sa majesté. L’entretien lui-même fut un modèle de duplicité et d’arrière-pensée de la part de ces deux hommes experts en jeu d’échecs. Finalement, après des jours de négociation, un accord fut trouvé sur une « constitution libérale » à l’anglaise avec néanmoins un pouvoir royal qui s’est approprié l’essentiel du pouvoir exécutif.

Le 3 Mai 1814, le roi fut de retour à Paris laissant les puissances alliées quitter le pays tandis qu’à Vienne s’ouvrit le congrès qui devait permettre de restaurer l’ordre en Europe.

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Napoléon sur le chemin de l’île d’Elbe

Le 20 Avril 1814, le convoi menant à l’île d’Elbe fut enfin arrivé à Fontainebleau. Descendant du « perron à deux branches qui conduit au péristyle du château désert de la monarchie des Capets », l’Empereur s’adressa une dernière fois, du moins le croyait-il, à la vieille garde dans la cour. Il prit ensuite place au sein du convoi entouré de soldats alliés.

Dès le premier jour, Bonaparte se mit à discuter avec le comte de Waldbourg, représentant de l’Angleterre : « Je n’ai point été usurpateur, parce que je n’ai accepté la couronne que d’après le vœu unanime de la nation, tandis que Louis XVIII l’a usurpée, n’étant appelé au trône que par un vil Sénat dont plus de dix membres ont voté la mort de Louis XVI ». Le 24 Avril, à Lyon Napoléon s’arrêta pour saluer le maréchal Augereau. L’ambiance fut pourtant glaciale si l’on croit Waldbourg : « L’Empereur fit au maréchal des reproches sur sa conduite et lui dit : Ta proclamation est bien bête ; pourquoi des injures contre moi ? Il fallait simplement dire : Le vœu de la nation s’étant prononcé en faveur d’un nouveau souverain, le devoir de l’armée est de s’y conformer. Vive le roi ! vive Louis XVIII ! Augereau alors se mit à tutoyer Bonaparte et lui fit à son tour d’amers reproches sur son insatiable ambition, à laquelle il a tout sacrifié même le bonheur de la France entière. »

Le 25, à Avignon, le convoi fut accueilli aux cris de : Vive le roi ! Vive les alliés ! A bas le tyran, le coquin, le mauvais gueux ! Waldbourg décrivait ainsi la scène : « Dans tous les endroits que nous traversâmes, il fut reçu de la même manière. A Orgon, petit village où nous changeâmes de chevaux, la rage du peuple était à son comble ; devant l’auberge même où il devait s’arrêter, on avait élevé une potence à laquelle était suspendu un mannequin, en uniforme français, couvert de sang, avec une inscription placée sur la poitrine et ainsi conçue : tel sera tôt ou tard le sort du tyran. Le peuple se cramponnait à la voiture de Napoléon et cherchait à le voir pour lui adresser les plus fortes injures. L’empereur se cachait derrière le général Bertrand le plus qu’il pouvait ; il était pâle et défait, ne disant pas un mot. A force de pérorer le peuple, nous parvînmes à le tirer de ce mauvais pas. »

Profondément marqué par le déferlement de haine dont il a fait l’objet, Napoléon prit soin de se déguiser par la suite : « A un quart de lieue en deçà d’Orgon, il crut indispensable la précaution de se déguiser : il mit une mauvaise redingote bleue, un chapeau rond sur sa tête avec une cocarde blanche, et monta un cheval de poste pour galoper devant sa voiture, voulant passer ainsi pour un courrier. » A l’auberge, Napoléon se fit même passer pour le colonel Campbell prenant soin de parler avec l’accent anglais pour éviter de se faire repérer.

A l’hôtesse, il lui parla d’ailleurs de Bonaparte : « Eh bien ! lui avait-elle dit, avez-vous rencontré Bonaparte ? Non, avait-il répondu. Je suis curieuse, continua-t-elle de voir s’il pourra se sauver ; je crois toujours que le peuple va le massacrer ; aussi faut-il convenir qu’il l’a bien mérité, ce coquin-là ! Dites-moi donc, on va l’embarquer sur son île ? Mais oui, répondit-t-il. On le noiera, n’est-ce pas ? je l’espère bien ! lui répliqua Napoléon. »

Plus tard, il s’était fait passer pour un général autrichien, « se décora de l’ordre de Sainte-Thérèse, que portait le général, mit ma casquette (de Walbourg) de voyage sur sa tête, et se couvrit du manteau du général Schouwaloff ».

En acceptant de se déguiser pour sauver sa vie, l’Empereur avait montré une étonnante faculté d’adaptation aux circonstances n’hésitant pas une seconde à se ridiculiser au regard de l’histoire. « Il y a des hommes qui ont la faculté de monter, écrivait Chateaubriand, et qui n’ont pas la faculté de descendre. Lui, Napoléon, possédait les deux facultés : comme l’ange rebelle, il pouvait raccourcir sa taille incommensurable pour la renfermer dans un espace mesuré ; sa ductilité lui fournissait des moyens de salut et de renaissance : avec lui tout n’était pas fini quand il semblait avoir fini. Changeant à volonté de mœurs et de costume, aussi parfait dans le comique que dans le tragique, cet acteur savait paraître naturel sous la tunique de l’esclave comme sous le manteau de roi, dans le rôle d’Attale ou dans le rôle de César. »

Il ajoutait : « Napoléon était toutes les misères et toutes les grandeurs de l’homme ».

 

L’île d’Elbe

Arrivé enfin sur l’île d’Elbe, Napoléon fut cette fois-ci accueilli avec beaucoup d’enthousiasme par la population. Un Te Deum fut même chanté à sa gloire. Dès les premiers jours, il décida de visiter entièrement son île se promenant sur ce que Chateaubriand nommait « un carré de légumes ». Pendant des mois, il prit soin de gouverner son île signant des traités de commerce avec l’Italie voisine, recevant également dans le salon de sa villa, rebâti en salle de trône, les doléances des habitants.

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Il décida même d’installer une cour composée de ses derniers fidèles ainsi que sa famille entretenant des bals déguisés ainsi que de grandes fêtes reproduisant les modes de l’ancienne cour impériale. Il mit également en place un réseau d’espionnage en France qui l’avertit non seulement des déboires de la Restauration mais également le blocage du congrès de Vienne. Si, en effet, les français pouvaient jouir d’un degré de liberté inégalée sous Louis XVIII, les finances publiques en ruine suite aux guerres napoléoniennes avaient contraint le gouvernement à réduire par deux les pensions des militaires, ce qu’on avait appelé « les demi-soldes » entraînant de fait un fort mécontentement dans l’armée. De même, les « ultras » royalistes reprochaient à Louis XVIII de gouverner avec les hommes de la Révolution et de l’Empire. « Quant à nous, pauvres diables de légitimistes, écrivait Chateaubriand, nous n’étions admis nulle part ; on nous comptait pour rien ».

La situation française était donc paradoxale car chacune des parties, royalistes ou révolutionnaires, accusaient le gouvernement au fond de vouloir réconcilier tous les français. Il est vrai que pour Louis XVIII, la difficulté provient du fait que la France n’arrivait pas à dépasser sa guerre civile larvée qui courait depuis 1789. Dans ce contexte, Napoléon voyait apparaître devant lui l’opportunité historique d’orchestrer un improbable retour.

 

*Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe

Wauquiez et le spectre de la « droitisation »

Wauquiez et le spectre de la « droitisation »

« Pourquoi tout ce qui est moral, conforme et conformiste, et qui était traditionnellement à droite, est-il passé à gauche ? Révision déchirante : alors que la Droite incarnait les valeurs morales, et la gauche au contraire une certaine exigence historique et politique contradictoire, aujourd’hui, celle-ci dépouillée de toute énergie politique, est devenue une pure juridiction morale, incarnation des valeurs universelles, championne du règne de la Vertu et tenancière des valeurs muséales du Bien et du Vrai, juridiction qui peut demander des comptes à tout le monde sans avoir à en rendre à personne. »

Jean Baudrillard, De l’exorcisme en politique ou la conjuration des imbéciles (1997)

 

Le dimanche 10 Décembre 2017, Laurent Wauquiez a été élu dès le premier tour comme président du parti Les Républicains. Déclarant « être au début d’une nouvelle ère pour la droite », le nouveau président du parti est accusé à droite de « chasser » sur les terres du Front National. Xavier Bertrand a d’ailleurs quitté le parti en disant qu’il ne reconnaît plus sa famille politique. A gauche, on agite le spectre de la « droitisation ».

 

On a cru être débarrassé de l’ancien monde mais celui-ci revient en courant. Fini le clivage gauche-droite, nous promettait Emmanuel Macron, place « aux majorités de projet ». Or, il n’en fut rien. « Les promesses n’engagent que ceux qui les croient » nous avait déjà avertis Jacques Chirac, véritable expert en la matière. La victoire de Laurent Wauquiez pour prendre la tête de LR est symptomatique de cet état de fait.

En accusant de « droitisation » la nouvelle ligne de la droite, la gauche et les macronistes ne ressuscitent-ils pas le dit clivage si honni quelques mois plus tôt ? Le terme de « droitisation », lui-même, nous renvoie à cette rhétorique de la démonologie politique dont la Gauche nous a si longtemps rebattu les oreilles. Pour un homme de gauche, en effet, se « droitiser » signifie le pire des comportements possibles, à savoir « flirter avec les thèses du Front National ».

Il est vrai que s’inquiéter d’une immigration incontrôlée, d’une mondialisation qui transforme l’homme en un « nomade permanent » sans attaches et sans appartenances, d’une dissolution de la nation-France et de son héritage historique au sein d’un projet européen technocratique et post-démocratique, vous renvoie immanquablement au parti frontiste. Stratégie cynique de la gauche mitterrandienne qui vise, en laissant au FN le monopole de la défense de la Nation, à délégitimer et décrédibiliser tout ceux qui s’opposent aux dogmes européistes et mondialistes.

De par cette stratégie, la gauche interdit à la Droite de prendre en charge ces questions sous peine de « faire le jeu du Front National », en bref, de se « droitiser ». C’est ici qu’est le véritable coup de génie de la gauche car elle ne laisse à la droite au fond que deux choix. Soit, cette dernière comme Sarkozy en 2007, concurrence le FN sur son électorat et alors elle est excommuniée du débat public, étant dépeinte comme le dernier avatar d’une tradition antirépublicaine remontant à Pétain et à Maurras. Soit, la Droite s’aligne sur la Doxa et reste sous l’emprise de la gauche, auquel cas pour citer Maurice Druon, « en France il y a deux partis de gauche dont l’un s’appelle la Droite ».

Pierre-André Taguieff exprimait bien cette ambivalence de la « droitisation » : « Le contenu réel de la prétendue « droitisation », c’est le refus de la tentation gauchisante qui saisit régulièrement les leaders politiques de droite, gagnés par la lassitude ou par l’esprit d’opportunisme. C’est le refus de la complaisance à l’égard des positions idéologiques de gauche ou d’extrême gauche. C’est donc, pour la droite, le refus de l’empathie avec l’adversaire politique, a fortiori celui de l’identification avec lui, ses positions et ses valeurs. »*

« Droitiser » l’adversaire pour la gauche, qui en tant qu’héritière de la pensée de Gramsci a le suprême privilège de déterminer le licite et le non-licite en politique, est donc le moyen le plus sûr pour elle de conserver son hégémonie culturelle en choisissant dans le camp de la droite le candidat le plus proche de ses idées. Alain Juppé fut ainsi à la primaire davantage le candidat de la gauche que de la droite. Par contre, Laurent Wauquiez, en voulant « plumer le FN de ses électeurs » se libère de la domination idéologique de la Gauche, libération que la doxa médiatique se fera un malin plaisir de marquer sous le sceau de l’infamie.

Regardez d’ailleurs comment les journalistes parlent constamment d’une alliance entre Wauquiez et Le Pen comme si au fond les deux travaillent main dans la main alors qu’ils sont concurrents pour la conquête du même électorat. L’objectif est pourtant clair, il s’agit d’insinuer auprès des français le fait que les thèmes comme l’immigration, le souverainisme ou encore la primauté de la Nation sont issus du Front National et en tant que tels sont interdits dans le débat démocratique ne pouvant donc être portés par la Droite.

Or, face à un Macron occupant tout l’espace central, le salut de la Droite passe par l’électorat populaire ce que Wauquiez a très bien compris. Il est de toute façon grand temps d’en finir avec l’hégémonie culturelle de la Gauche qui depuis 30 ans empoisonne les français par son venin progressiste. La Droite se doit au nom de la survie de ce patrimoine matériel et immatériel qu’est la Nation-France de renoncer à son complexe d’infériorité vis-à-vis de la Gauche et ainsi de mener une lutte idéologique totale face à ce terrible adversaire.

 

*Pierre-André Taguieff, Du diable en politique, Réflexions sur l’antilepénisme ordinaire

 

 

L’impuissance des palestiniens

L’impuissance des palestiniens

Le jeudi 7 Décembre, Donald Trump a annoncé mettre en œuvre la résolution de déménager l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem votée par le Congrès en 1995. Cette décision a provoqué un tollé international de Paris à Tokyo en passant par Ankara. Dans la rue, des milliers de palestiniens ont défilé brûlant des drapeaux américains et s’en sont pris aux forces de sécurité israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. La mobilisation fut néanmoins bien plus faible qu’attendue écartant pour l’heure le risque d’une Intifada généralisée dans les territoires palestiniens.

 

Pour l’instant, l’heure n’est pas au chaos annoncé au Proche-Orient. De la faible mobilisation populaire à la timide réaction des pays arabes pour répondre à la décision du président américain, l’Intifada, mot magique de la médiasphère, semble désormais tomber dans l’oreille d’un sourd. Il y a 20 ans, cette décision aurait entraîné des soulèvements massifs. Aujourd’hui, rien ou presque.

Jamais peut-être, la population palestinienne n’avait paru aussi résigné et fataliste. En un mot, les palestiniens sont victimes du sentiment d’impuissance, sentiment d’autant plus terrible qu’il est particulièrement injuste. Cette impuissance est en réalité le fruit d’une succession d’échecs de la part des palestiniens pour remettre en cause le rapport de force écrasant en faveur d’Israël.

Nous savons depuis 1967 que l’Etat Hébreu ne peut être vaincu militairement par n’importe quelle puissance arabe. Les divisions blindées d’Ariel Sharon avaient alors balayé l’Egypte Nassérienne en seulement quelques heures. Depuis lors, et après une tentative encore infructueuse en 1973, plus aucun pays arabe n’avait osé affronter directement l’invincible Tsahal. L’Egypte de Sadate avait d’ailleurs acté la supériorité israélienne en reconnaissant l’Etat Hébreu lors des accords de Camp David en 1979. Pour les autres, syriens ou jordaniens, l’affrontement armée était devenu inenvisageable.

Privé de ses grands frères arabes, le peuple palestinien trouvera dans la guerre du Liban les leviers pour inverser le rapport de force. Faisant face à une guérilla menée par le Hezbollah, Israël sera pour la première fois incapable de vaincre militairement. Dans ce contexte, la première Intifada de 1987 reprendra à son niveau les techniques de « soulèvement » initiées au Liban face à un Etat Hébreu pris à revers. Reprenant à leurs comptes la citation de Mao pour qui « la guérilla doit se déplacer parmi le peuple comme un poisson nage dans la mer », l’Intifada des palestiniens se révélera si dommageable selon Gilles Kepel « pour l’Etat juif, son image internationale et son identité morale, qu’il contraindra ses dirigeants à envisager un processus de reconnaissance de l’OLP ».

Le soulèvement de 1987 fut donc un succès total du peuple palestinien modifiant un rapport de force qui leur était jusqu’à alors particulièrement défavorable. S’ensuivit dès lors une victoire politique des palestiniens entérinée avec les accords d’Oslo de 1993. La leçon de ces accords est par conséquent limpide : seule une modification substantielle du rapport de force peut contraindre Israël à négocier.

L’enlisement du processus d’Oslo dans les années 90 traduit à l’inverse un changement de ce rapport de force en faveur des israéliens. La seconde Intifada qui va suivre sera ainsi un échec complet pour les palestiniens. Ayant eu le temps d’apprendre de leurs erreurs, les autorités israéliennes ont trouvé facilement la parade aux manifestations de rue et à la violence urbaine. De nouveaux impuissants à modifier le rapport de force, les palestiniens tenteront de nouvelles stratégies dans l’objectif de faire plier l’Etat hébreu mais ce sera à chaque fois un échec.

Le Hamas, tout d’abord, choisira la voie de la guérilla armée mais la stratégie israélienne de blocus de la Bande de Gaza conduira inexorablement cette stratégie vers l’impasse. Isolé dans son réduit gazaoui, le groupe islamiste n’a jamais réussi à modifier quoique soit au rapport de force.

L’OLP, quant à elle, choisira la voie de l’internationalisation de la cause palestinienne. Là encore, cette stratégie n’a pas réussi à faire bouger les lignes. Les Etats-Unis n’ont jamais été autant pro-israélien qu’aujourd’hui et les européens sont de fait impuissants sans l’impulsion décisive de Washington. Quant aux pays arabo-musulmans, ils sont obnubilés par leurs conflits internes (Syrie, Libye, Liban, Yémen, Irak) et par la « guerre par procuration » menée entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Les palestiniens se retrouvent donc seuls à assumer un rapport de force qui leur est chaque jour plus défavorable ne trouvant aucune stratégie pour inverser cette tendance. On peut comprendre dès lors pourquoi Israël profite de cette situation exceptionnelle de supériorité pour avancer ses pions trouvant dans la colonisation le moyen de réaliser ses objectifs stratégiques. Pour les palestiniens, en revanche, les échecs ont fait le lit de l’impuissance, sentiment qui aujourd’hui semble gagner l’ensemble de la société.

Israël se retrouve donc dans une situation telle de domination que pour l’heure tout indique que ce pays est sur le point de remporter la guerre. Rongés par l’impuissance et le fatalisme, les palestiniens semblent de fait prisonniers d’un rapport de force entièrement en leur défaveur. Tout le désespoir des palestiniens est là.

Le Roman de Napoléon (11/15): La chute (1813-1814)

Le Roman de Napoléon (11/15): La chute (1813-1814)

« Si le Nord imite le sublime exemple qu’offrent les castillans, le deuil du monde est fini. L’Europe, sur le point de devenir la proie d’un monstre, recouvrerait à la fois son indépendance et sa tranquillité. Puisse enfin de ce colosse sanglant qui menaçait le continent de sa criminelle éternité ne rester qu’un long souvenir d’horreur et de pitié ! »

Proclamation d’Alexandre de Russie à Varsovie (1813)

« Pourquoi, s’écria-t-il, parler devant l’Europe de ces débats domestiques ? Il faut laver son linge sale en famille. Qu’est-ce qu’un trône ? un morceau de bois recouvert d’un morceau d’étoffe : tout dépend de celui qui s’y assied. La France a plus besoin de moi que je n’ai besoin d’elle. Je suis un de ces hommes qu’on tue, mais qu’on ne déshonore pas. Dans trois mois nous aurons la paix, ou l’ennemi sera chassé de notre territoire, ou je serai mort. »

Napoléon, discours devant le corps législatif du 19 Décembre 1813 cité par Chateaubriand

 

En ce début d’année 1813, la France était triste et morose. Accablée par les bulletins catastrophiques venus du front, elle était peu à peu prise d’une sourde inquiétude quant à son avenir. Napoléon avait bien rétabli l’ordre constitutionnelle après la tentative de coup d’état quasi burlesque du général Malet mais l’enthousiasme des débuts de l’Empire avait disparu. Pire, les français se retournaient contre Napoléon.

L’Empereur était devenu un ogre avalant la jeunesse française dans des rêves infinis de conquêtes. En France, la conscription avait enlevé au masse paysanne la main d’œuvre nécessaire pour assurer les récoltes tandis que les mères des soldats maudissaient Bonaparte, cet Hadès, à la fois Dieu de la guerre et de la mort. « On ne comptait dans l’Empire, dit M. de Ségur, que des hommes vieillis par le temps ou par la guerre, et des enfants ; presque plus d’hommes faits ! où étaient-ils ? Les pleurs des femmes, les cris des mères, le disaient assez ! Penchées laborieusement sur cette terre qui sans elles resterait inculte, elles maudissent la guerre en lui. »

Au sein de la population, un vent de révolte se levait. Les français étaient en réalité fatigués d’une guerre qui courrait depuis 1792, guerre dont la France n’avait pas les moyens de remporter. Mais Bonaparte pouvait-t-il écouter les français ? Pouvait-t-il arrêter sa fuite en avant d’une guerre contre toute l’Europe ?

 

Le changement des alliances

En ce mois de janvier 1813, le système Fédératif Napoléonien était revenu à ses frontières de Juin 1812, soit juste avant la campagne de Russie. Mais si ce conflit n’avait pas modifié les contours politiques de l’Europe, la quasi destruction de l’armée française changeait radicalement la donne en termes de rapport de force militaire. Embourbée en Espagne, détruite en Russie, l’armée française n’était plus en mesure de garantir le maintien du système fédératif.

Napoléon réussissait tout de même à lever deux cent cinquante mille soldats mais ces jeunes hommes, qu’on appelait les « Marie-Louise », du nom de l’impératrice, ne valaient pas ceux qui avaient combattu à Rovigo, à Austerlitz ou devant Moscou. L’armée française avait en fait perdu tout son savoir-faire et son avance militaire qui lui avaient permis de dominer l’Europe. En d’autres termes, Napoléon et la France ne faisaient plus peur à l’Europe.

L’Empereur avait donc toutes les raisons d’être inquiet. Pour l’heure, le système tenait du fait que la Prusse et l’Autriche restaient les alliés de la France tandis que l’armée russe était retardée dans son avance par la rigueur de l’Hiver. Le 25 janvier 1813, Napoléon avait tenté de se réconcilier avec les catholiques en forçant le Pape, retenu contre son gré à Fontainebleau, à signer un nouveau concordat renforçant les pouvoirs de l’Empereur.

le pape fontainebleau

 

Le 3 Mars, la Suède de l’ancien général d’Empire Bernadotte signait une alliance militaire avec l’Angleterre rejoignant la coalition anti-française avec la Russie. Le 17 Mars, ce fut au tour de la Prusse de déclarer la guerre à la France. Si l’annonce de cette défection fut une surprise pour la France, il ne faut pas perdre de vue que pour les prussiens, l’alliance française fut une alliance contre-nature négociée peu après l’humiliation de Iéna (1806).

Depuis 1806, Berlin tenait en effet un double discours. Officiellement, elle se faisait l’alliée de Bonaparte. Officieusement, elle se préparait en interne à une revanche contre celui-ci si bien que pendant sept années, l’Etat prussien a encouragé la réorganisation du pays en prenant modèle sur la France post-révolutionnaire. René Girard* en fera plus tard le point de départ d’une relation mimétique entre la France et l’Allemagne. La Prusse avait su en réalité copier les atouts idéologiques de la France révolutionnaire, et en particulier la puissance de la mobilisation nationale. Le général Prussien Clausewitz dira plus tard que la France a inventé en 1792 la « guerre totale », « c’est- à-dire la mobilisation de tout un peuple, la nouvelle situation faite à la guerre, et ce que la Prusse est obligée de faire à son tour pour répondre à Napoléon ».

C’est à ce changement de paradigme de la Révolution française, à savoir le passage de conflits territoriaux de l’Europe des rois à la guerre idéologique menée par la France révolutionnaire, que la Prusse aura mis sept ans à assimiler. Hégel pour sa conception de l’Etat, Fichte pour sa conception de la nation, enfin Stein et Hardenberg pour la modernisation de l’armée, tous ces hommes seront les piliers du renouveau national de la Prusse. En 1813, le pays est prêt à prendre sa revanche sur une armée française qui l’avait humiliée à Iéna et à Auerstedt en 1806.

Coincé entre la Prusse et la Russie, le Duché de Varsovie, c’est-à-dire la Pologne, cessa d’exister sous l’invasion de ces deux puissants voisins, première victime de l’effondrement de l’Europe Napoléonienne. Etant garant de la Confédération du Rhin, Napoléon se rendit d’urgence à Erfurt puis battait les alliés russo-prussiens à Lützen le 2 Mai 1813. 20 jours plus tard, l’Empereur remporta une nouvelle victoire à Bautzen. Napoléon était rassuré, malgré des forces diminuées et en sous-nombre, il parvenait encore du fait de son génie militaire à remporter les batailles.

bataille de bautzen

 

Le 12 Août, la décision de l’Autriche sonna comme un coup de massue. Vienne, dont Bonaparte se pensait assurer du soutien grâce à son mariage contracté avec l’archiduchesse d’Autriche Marie-Louise, venait subitement de tourner casaque. L’empereur François avait ainsi rejoint la coalition contre son gendre et attaqua par le Sud la confédération du Rhin. Le 26 et 27 Août sur l’Elbe, Napoléon fut une nouvelle fois vainqueur à Dresde. Mais si les victoires s’enchaînèrent, les réserves en hommes étaient du côté des alliés si bien que l’Empereur ne faisait en réalité que retarder l’échéance.

La difficulté pour Bonaparte tenait dans le fait que la coalition européenne était pour la première fois véritablement unie contre lui. Avant 1813, Napoléon avait su jouer sur la division des pays alliés. En cet été 1813, ces mêmes pays avaient su maintenir leur unité s’engageant à ne pas signer de paix séparée avec Paris.

Le 18 et 19 Octobre se déroula « la bataille des nations » à Leipzig, retournement complet de situation par rapport au commencement de la guerre. A Valmy (1792), ce fut la nation française qui se défendit contre l’impérialisme des rois. A Leipzig, ce furent les nations de l’Europe qui se battirent contre l’impérialisme des français. A 195 000 soldats contre 333 000 pour l’ennemi, Napoléon n’avait pas cette fois-ci réalisé de miracle. L’armée française fut vaincue et se retira derrière le Rhin. Dans sa retraite, l’Empereur fut confronté à la révolte de la Bavière qui harcela l’armée impériale.

Völkerschlacht Leipzig / Hess - Battle of Nations Leipzig / Hess - Bataille des Nations de Leipzig / Hess

 

S’ensuivit dès lors l’effondrement complet du système fédératif. En Allemagne, les Etats de la confédération du Rhin prirent les armes contre la France tandis que Jérôme, roi de Westphalie rentra précipitamment en France. Peu après, la confédération fut officiellement dissoute. S’en était donc finie de l’Allemagne napoléonienne.

Au nord, la menace d’un débarquement anglais et la chute de l’Allemagne poussèrent l’Empereur à se retirer de Hollande. En Italie, l’Autriche avait envahi le nord de la péninsule et menaça le royaume de Naples de Murat. Celui-ci décida d’ailleurs de négocier pour conserver son royaume abandonnant son alliance avec Napoléon. Enfin, en Espagne, un corps expéditionnaire anglais commandé par Wellington et aidé par le peuple espagnol remporta victoires sur victoires sur une armée française exténuée par quatre années de guérilla. Le 11 Décembre, Napoléon se résolu enfin à abandonner l’Espagne signant le Traité de Valençay renvoyant Ferdinand VII à Madrid. Le roi d’Espagne et frère de Napoléon, Joseph, quitta à l’inverse aussitôt Madrid pour se réfugier à Paris.

Il ne restait donc plus rien de l’Europe Napoléonienne. Cette dernière s’était effondrée comme un château de cartes en moins d’un an. Dorénavant, c’était le territoire historique de la France qui était menacé.

 

L’invasion de la France

En ce mois de décembre 1813, l’Empereur était attendu au tournant. Il savait que la France était encerclée complètement par l’ennemi, au sud par les anglo-espagnols, au sud-Est par les autrichiens, au nord et à l’Est par les russo-prussiens et enfin sur le littoral par la flotte anglaise. Il savait également que le peuple français était en bout de course et ne comprenait toujours pas comment tant de sacrifices n’avaient au final débouché sur rien. « Quand on voit s’approcher le moment où nous allions être refermés dans notre ancien territoire, écrivait Chateaubriand, on se demande à quoi donc avaient servi le bouleversement de l’Europe et le massacre de tant de millions d’hommes ? »**

A cette fatigue des français s’ajouta le défaitisme qui gagna les élites impériales. Beaucoup d’entre elles se demandèrent déjà s’il ne fallait pas favoriser la chute de Napoléon avant qu’il ne soit trop tard. D’autres avaient décidé de négocier avec les royalistes réunis autour de Louis XVIII, exilé en Angleterre. C’était le cas de Talleyrand et de Fouché qui servaient d’intermédiaire entre les élites issues de la Révolution et de l’Empire et celles issues de l’Europe des rois. Pour les premières, il fallait s’assurer que leurs positions privilégiées puissent être maintenues dans la France post-Bonaparte. Pour les secondes, il s’agissait de faire rentrer dans le rang le « monstre révolutionnaire ». Si ces groupes ne manquaient pas d’avoir des haines réciproques, tous s’accordaient sur le fait que Bonaparte n’avait plus d’avenir politique.

Lorsque d’ailleurs la comtesse de la Tour du Pin demanda à Talleyrand des nouvelles de l’empereur, ce dernier lui répondit : « Oh ! Laissez-moi donc tranquille avec votre empereur. C’est un homme fini. Je veux dire que c’est un homme qui se cachera sous son lit. Il a perdu tout son matériel. Il est à bout. Voilà tout. » ***

Napoléon se retrouva donc de plus en plus isolé à Paris ne pouvant compter que sur une poignée de fidèles. Le 19 Décembre 1813, il annonça son plan de défense du territoire devant un corps législatif qui ne songeait alors qu’à tourner la page du bonapartisme. Devant les députés, il exprima son désir de paix et se déclara favorable à une négociation avec les alliés : « Mon cœur a besoin de la présence et de l’affection de mes sujets. Je n’ai jamais été séduit par la prospérité et le bonheur du monde. Monarque et père, je sens que la paix ajoute à la sécurité des trônes et à celle des familles ». Pour pouvoir négocier, il nomma deux commissions du corps législatif qui eurent pour objectif de donner des garantis à la coalition.

Napoléon corps legislatif

 

Le 29 Décembre, le rapport conclut que « les moyens de paix auraient des effets assurés, si les français étaient convaincus que leur sang ne serait versé que pour défendre une patrie et des lois protectrices ; que sa majesté doit être suppliée de maintenir l’entière et constante exécution des lois qui garantissent aux français les droits de la liberté, de la sûreté, de la propriété, et à la nation le libre exercice de ses droits politiques. » Bonaparte ne tarda pas à réagir en qualifiant la commission de « bande de factieux ».

Quelques jours plus tard, Metternich, le diplomate autrichien, proposa à l’Empereur une paix sur la base des frontières naturelles préservant ainsi les acquis territoriaux de la Révolution française mais Bonaparte refusa. Ce dernier était en fait persuadé qu’il pouvait remonter la pente. Il était ainsi convaincu que l’unité de la coalition ne résisterait pas à la divergence des intérêts nationaux. De même, il ne croyait pas à l’hypothèse d’une restauration des Bourbons. Après tout, les élites révolutionnaires et impériales avaient trop de sang bourbon sur les mains (l’exécution de Louis XVI et du Duc D’Enghien) pour espérer se mettre au service du frère de Louis XVI, Louis XVIII. De même, la bourgeoisie française ne pouvait accepter une remise en cause de ses biens nationaux, biens dont la noblesse en exil exigeait la rétribution.

On voit bien là que Napoléon affichait une confiance exagérée envers les gagnants de la Révolution. C’est pourquoi, il commit l’erreur de nommer Talleyrand au sein du conseil de la Régence et de laisser Fouché, le régicide, se faire le médiateur entre la cour de Louis XVIII et le corps législatif impérial.

Le 25 janvier 1814, l’Empereur quitta Paris pour l’armée laissant derrière lui « un conseil de régence » présidé par Cambacérès et nomma son frère Joseph au commandement militaire de la capitale. La situation, en effet, était grave. Après avoir franchi le Rhin le 21 Décembre, les coalisés avaient pris Dijon le 19 Janvier. S’ensuivait dès lors l’une des plus éblouissantes campagnes de Napoléon.

 « Il ne fallait rien moins que les maux dont la France était écrasée, écrivait Chateaubriand, pour se maintenir dans l’éloignement que Napoléon inspirait et pour se défendre en même temps de l’admiration qu’il faisait renaître sitôt qu’il agissait : c’était le plus fier génie d’action qui ait jamais existé ; sa première campagne en Italie et sa dernière campagne en France (je ne parle pas de Waterloo) sont ses deux plus belles campagnes ; Condé dans la première, Turenne dans la seconde, grand guerrier dans celle-là, grand homme dans celle-ci ; mais différentes dans leurs résultats : par l’une il gagna l’empire, par l’autre il le perdit. » **

Napoléon battit les alliés à St-Dizier le 27 janvier, à Brienne le 29, à Champaubert le 10 Février, à Montmirail le 11, à Château-Thierry le 12, à Vauchamps le 14 et à Montereau le 18. L’exploit fut tel que les alliés réitérèrent leur offre de paix que Metternich avait soumis à l’Empereur quelques mois plus tôt. Le résultat fut pourtant le même, Bonaparte déchirant le papier puis s’écriant : « Je suis plus près de Vienne que l’empereur d’Autriche de Paris ! »

campagne de france

 

Fin févier Napoléon libéra Craonne puis Reims. Au Sud, Soult mettait en échec les anglais dans le Midi. Tout réussissait à l’Empereur dans cette campagne de France au point où la coalition envisagea de se retirer derrière le Rhin. Napoléon, avec seulement 60 000 hommes, mettait en échec toute l’Europe et ses 300 000 hommes. Par un incroyable retournement de situation, les alliés songeaient donc à la retraite.

Le Tsar Alexandre décida néanmoins de marcher sur Paris contre l’avis de ses alliés. Le 30 Mars, il était sur le point d’entrer dans la capitale.

 

La prise de Paris et l’abdication de l’empereur

En entrant dans la capitale française, le Tsar Alexandre venait de réaliser un véritable coup de poker. Bonaparte n’était alors pas encore vaincu menaçant à chaque instant de prendre à revers l’armée russe d’autant plus que ses alliés autrichiens avaient choisi de rester en retrait, seule la Prusse de Blücher s’était décidée à soutenir l’initiative du Tsar. Alexandre savait que la capitale était mal défendue et que Napoléon, depuis St-Dizier, ne pourrait l’atteindre que d’ici quelques jours.

Le 31 Mars, Paris capitula. La veille, l’impératrice et son fils, le roi de Rome, avaient quitté Paris tandis que Joseph s’était réfugié à Rambouillet. Signée à deux heures du matin ce 31 Mars 1814, la capitulation de Paris fut accompagnée d’une déclaration du Tsar :

« Votre empereur, qui était mon allié, est venu jusque dans le cœur de mes Etats y apporter des maux dont les traces dureront longtemps ; une juste défense m’a amené jusqu’ici. Je suis loin de vouloir rendre à la France les maux que j’en ai reçus. Je suis juste, et je sais que ce n’est pas le tort des français. Les Français sont mes amis, et je veux leur prouver que je viens leur rendre le bien pour le mal. Napoléon est mon seul ennemi. Je promets ma protection spéciale à la ville de Paris ; je protégerai votre garde nationale, qui est composée de l’élite de vos citoyens. C’est à vous d’assurer votre bonheur à venir ; il faut vous donner un gouvernement qui vous procure le repos et qui le procure à l’Europe. C’est à vous à émettre votre vœu : vous me trouverez toujours prêt à seconder vos efforts. »

Cette déclaration peut surprendre par sa tolérance et son absence complète d’esprit de revanche de la part d’un Tsar dont la capitale religieuse, Moscou, fut détruite suite aux invasions napoléoniennes. Il est clair que les prussiens de Blücher, obsédés par l’humiliation subite à Iéna, auraient été nettement moins tolérants.

tsar a paris

 

Le 31 Mars, au soir, les cosaques bivouaquaient sur les Champs-Elysées tandis qu’Alexandre s’installait dans l’Hôtel particulier de Talleyrand, rue Saint-Florentin. Ce fut ici que se joua l’avenir de l’Empire napoléonien. Talleyrand avait gagné la confiance du Tsar en étant le principal artisan de la capitulation rapide de Paris. Ce fut lui notamment qui avait négocié la promesse du Tsar d’être clément envers les autorités militaires de la capitale.

Pendant plusieurs jours le salon de l’Hôtel de Talleyrand fut le théâtre d’une incroyable négociation entre le Tsar, le Roi de Prusse et les représentants des autres puissances européennes pour définir la stratégie à adopter face à Napoléon. Ce dernier s’était retranché à Fontainebleau avec 45 000 hommes et n’était aucunement prêt à se retirer. Talleyrand proposa alors un plan audacieux qui consistait à convoquer le Sénat pour qu’il vote la déchéance de l’empereur puis de nommer un gouvernement provisoire, avec lui à sa tête, permettant d’assurer une transition avant le retour des Bourbons. Le plan fut adopté le 1er Avril.

Le lendemain, le Sénat fut convoqué à Paris par l’ancien ministre qui n’avait pourtant aucun droit de le faire mais l’appui russe et prussien suffisait à se passer de toute obligation juridique. Comme prévu, les sénateurs votèrent la déchéance de l’empereur, accusé d’avoir « déchiré le pacte qui l’unissait au peuple français ». Talleyrand, avec l’aide de Fouché, leur avait promis qu’en lâchant Bonaparte ils conserveraient leurs statuts et privilèges dans la France post-napoléonienne. « Le diable boiteux » ****, ayant de facto la main sur le gouvernement provisoire, put apparaître comme l’arbitre entre les élites impériales et Louis XVIII dont il s’était imposé comme l’homme indispensable pour revenir sur le trône. En d’autres termes, Talleyrand était devenu l’homme fort de la France se trouvant au centre du jeu politique.

Un à un, les anciens ministres, les préfets, les maréchaux d’empire, tous se ralliaient à lui dans l’espoir d’avoir leur place dans la nouvelle France sans Bonaparte auquel Talleyrand possédait assurément les clés. Les plus proches de Napoléon, eux-mêmes, prêtaient allégeance au gouvernement provisoire où s’enfuyaient à l’étranger comme Joseph ou Jérôme en Suisse.

Acculé à Fontainebleau, alors même qu’il ne fut pas vaincu militairement, Napoléon s’est senti trahi, abandonné par les siens. Le 4 Avril, l’Empereur tenta son va-tout en proposant sa capitulation en faveur de son fils. La manœuvre était habile. En promouvant le Roi de Rome, Napoléon livrait le pays à l’empereur d’Autriche, grand-père du garçon, et ainsi mettait en pièces les plans de Talleyrand pour une restauration de la monarchie. Cette capitulation aurait également créé une dissension entre les alliés, l’Autriche prenant une place démesurée dans le nouvel ordre européen si elle venait à contrôler la France.

bonaparte fontainebleau

 

Comme l’avait anticipé Napoléon, l’Autriche mordit à l’hameçon provoquant la colère de ses alliés. Le Tsar se mit même à envisager une régence de Marie-Louise (le Roi de Rome étant trop jeune pour gouverner) contre la reconnaissance de l’annexion de la Pologne par l’armée russe. Talleyrand se retrouva donc dos au mur pouvant bien tout perdre en quelques instants.

L’ancien ministre s’activa alors pour convaincre le général Marmont de retirer ses troupes de l’Essonne. L’objectif était de prendre à revers Napoléon. Marmont commandait en effet 12 000 hommes qui protégeait les arrières des troupes de Bonaparte en tenant l’Essonne. Il était encore l’un des rares à n’avoir pas abandonné l’Empereur. Finalement, le 5 Avril, Marmont capitula sans combattre laissant Napoléon dans une position militaire intenable. Pour ce dernier, ce fut la trahison de trop. Il abdiqua enfin le 6 Avril sans conditions. Le même jour, le Sénat, à la botte de Talleyrand, appela le comte de Provence, Louis XVIII, à devenir « roi des français » par « le vœu de la nation ». Talleyrand avait gagné. « L’ogre » Napoléon venait d’être terrassé non pas sur le champ de bataille mais en coulisses Rue Saint-Florentin à Paris.

 

*René Girard, Achever Clausewitz (2007)

**Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe

***Talleyrand cité Emmanuel De Waresquiel, Talleyrand, Le prince immobile

****L’expression est de Victor Hugo et désigne Talleyrand : « C’était un personnage étrange, redouté et considérable ; il s’appelait Charles-Maurice de Périgord ; il était noble comme Machiavel, prêtre comme Gondi, défroqué comme Fouché, spirituel comme Voltaire et boiteux comme le diable. »

Pourquoi l’européisme est un héritage du catholicisme

Pourquoi l’européisme est un héritage du catholicisme

Emmanuel Macron a le mérite d’être clair sur l’Europe. Contrairement à ses prédécesseurs pour qui la construction européenne devait se réaliser à l’abri du regard des français, le président affirme haut et fort un projet fédéraliste européen. Lors de deux discours à Athènes et dans l’amphithéâtre de Sciences-po, il a symbolisé sa vision de l’Europe sous l’expression de « souveraineté européenne ».

Selon lui, les défis mondiaux étant d’ampleur internationale, seule l’échelle européenne permettrait de résoudre les nouvelles problématiques auxquels le monde doit faire face. Ainsi, la politique macronienne consiste à renforcer l’Etat supranational européen au détriment des souverainetés nationales. Que ce soit sur le budget de la zone euro, la création d’une agence européenne de renseignement où la formation d’une armée européenne, le macronisme vise à déposséder petit à petit les nations au profit d’organismes supranationaux.

Dans cette structure, Bruxelles prendra en charge la majorité des compétences dévolues actuellement aux Etats. Mais si la France peut compter sur le soutien de pays comme l’Italie, l’Espagne ou encore l’Allemagne, des pays du nord et de l’Est sont eux vent debout contre ce projet. Ce qui est fascinant c’est que cette géographie épouse trait pour trait les divisions religieuses du continent. Ainsi, de la même manière que Max Weber avait montré le développement du capitalisme en fonction des invariants anthropologiques religieux, on pourrait montrer que la construction européenne repose sur ces mêmes invariants religieux.

En quoi la dimension religieuse structure encore aujourd’hui la construction européenne ?

 

Le catholicisme : invariant structurel de la construction européenne

Ma thèse vise à démontrer qu’il n’y a aucun hasard au fait que ce soit les pays catholiques comme la France, l’Italie ou l’Espagne qui soient les plus favorables à un Etat supranational européen. Je suis convaincu que le catholicisme, bien qu’il ne soit plus pratiqué en tant que foi, est un vecteur fondamental de l’européisme des peuples européens. Il est primordial de comprendre que malgré le fait que la religion ne joue plus son rôle d’institution normative dans les sociétés modernes, les peuples vivent encore largement de sa fécondité. Ainsi, la culture, la morale ou l’éthique restent encore largement influencées par l’anthropologie religieuse*.

Le catholicisme naît au sein de l’empire Romain sous les empereurs Constantin puis Théodose. De fait, cette religion baigne dans l’idée d’impérium romain, c’est-à-dire un pouvoir de commandement des hommes s’inscrivant comme une autorité autonome indépendante du pouvoir de l’empereur. A la fin de l’empire romain, il existait donc deux autorités concurrentes : l’empereur et le pape.

Après l’effondrement de l’empire, l’Europe post-romaine se divise entre de nombreuses autorités politiques mais qui toutes sont soumises à une autorité supérieure qui commande la norme morale qu’est l’église. Ainsi donc on retrouve la différence entre le pouvoir temporel des Etat et le pouvoir spirituel de Rome. Ce dernier, en tant qu’autorité morale supérieure agit en réalité comme une institution supranationale, c’est-à-dire comme une entité qui au nom de Dieu impose sa doxa morale aux Etats. Rome s’adresse non pas aux nations mais à « une communauté catholique » qui transcende les appartenances nationales.

Par conséquent, l’anthropologie catholique favorise une culture supranationale fondée sur un dépassement des Etats-Nations. Ces derniers ont d’ailleurs longtemps eu un rapport ambigu avec l’Eglise catholique. La France, par exemple, lors de la Révolution, a dû s’atteler à la déchristianisation pour mieux affirmer son prisme national. Il est donc tout à fait logique à l’inverse que ce soient les pays catholiques (L’Irlande, la France, l’Espagne, le Portugal ou l’Italie) où se trouvent les plus grands partisans d’une Europe supranationale.

Il existe tout de même des exceptions en la personne de la Pologne et du groupe de Višegrad (Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie). Ces pays sont en effet à la fois catholiques et hostiles à un Etat supranational européen. Cependant, le catholicisme polonais (ou hongrois), d’une part, est un catholicisme national au sens où il fait figure de socle au particularisme national polonais. D’autre part, la Pologne n’a jamais été dominée par l’Empire Romain, excluant de fait toute trace de « l’impérium » de Rome. La même chose s’applique aux pays du Groupe de Višegrad. De plus, les aléas historiques d’un peuple ayant connu des périodes de domination, voir des tentatives d’extermination culturelle, a forgé chez les polonais un attachement viscéral au principe national. La Pologne et ses voisins de Višegrad sont donc en quelque sorte une exception qui confirme la règle anthropologique d’un espace catholique favorisant l’illusion supranationale.

 

L’Europe protestante est attachée à l’Etat-Nation

Le premier élément qu’il faut souligner est le fait que le protestantisme a gagné des territoires qui n’ont jamais fait partie de l’empire romain. Fernand Braudel l’avait déjà remarqué dans Grammaire des civilisations : « Cependant, la vieille Europe, plus attachée, sans doute, à ses traditions religieuses anciennes et qui la liaient étroitement à Rome, a maintenu le lien, tandis que la nouvelle Europe, plus mêlée, plus jeune, moins bien attachée à sa hiérarchie religieuse, a consommé la rupture. Une réaction nationale, déjà, se devine. »

Ces territoires avaient d’ailleurs été largement contraints de se convertir au christianisme comme le furent les hongrois et les saxons sous Charlemagne. Par conséquent, lorsque Luther publie ses quatre-vingt-quinze thèses, cette future Europe protestante n’est pas culturellement influencée par la séparation romaine entre le pouvoir temporel de l’Etat et le pouvoir spirituel de l’Eglise. C’est pourquoi le protestantisme n’a jamais connu cette différenciation fondamentale du catholicisme. Au contraire, les églises réformées ne sont pas des autorités supranationales comme l’est l’Eglise catholique favorisant ainsi la culture nationale.

Les églises protestantes sont divisées en de multiples chapelles chacune étant étroitement liées au pouvoir politique nationale. Le cas le plus exemplaire est sans nul doute celui de l’Angleterre. Fondée par Henri VIII, l’église anglicane est une autorité religieuse exclusivement nationale se limitant strictement aux territoires contrôlés par le roi, chef de l’Eglise. De fait, l’anglicanisme crée chez les anglais un tropisme national qui se méfie viscéralement de toute institution supranationale. C’est pourquoi il faut voir le Brexit comme la conséquence de cet invariant religieux qu’est l’anglicanisme.

Dans cette optique, il est tout à fait normal de voir des pays de culture protestante comme la Hollande, la Suède, le Danemark ou l’Angleterre s’opposer avec virulence au projet supranational européen. Le protestantisme joue donc ici un rôle fondamental pour expliquer pourquoi ces pays souhaitent une Europe fondée sur la coopération économique entre les nations, projet qui renvoie d’ailleurs à l’ancienne AELE (association européenne de libre-échange) et non un projet supranational.

 

Le cas allemand 

Nous avons donc expliqué la profonde division entre l’Europe catholique et l’Europe protestante quant au projet européen. Il existe néanmoins un pays qui ne semble pas au premier abord entré dans ce schéma, et ce pays c’est l’Allemagne.

L’Allemagne est en effet un pays culturellement divisé entre le catholicisme, présent dans l’Ouest et dans le Sud du pays, et le protestantisme, présent dans le Nord et l’Est. Dominé par les protestants depuis 1870, le pays a connu une révolution majeure en 1945. Divisé en deux territorialement, il fut également divisé en deux culturellement. Ainsi, la RFA fut dominée par une classe politique essentiellement d’origine catholique de Adenauer à Khôl en passant par Helmut Schmitt. Encore aujourd’hui, les deux grands partis que sont le SPD et la CDU sont majoritairement composés de catholiques à leur sommet. On peut donc comprendre pourquoi l’Allemagne, vue comme un pays protestant, s’est immédiatement enthousiasmé pour la construction d’un Etat supranational européen. Il est vrai que Merkel est d’origine protestante mais elle est l’un des rares protestants dans monde politique allemand dominé par les catholiques. De même, les dernières élections générales ont montré que l’AFD, parti eurosceptique, faisait ces meilleurs scores en Allemagne de l’Est, c’est-à-dire dans une région de culture protestante.

Les invariants anthropologiques religieux s’appliquent donc aussi en Allemagne où les régions catholiques semblent plus enclines à accepter le dépassement de l’Etat-Nation.

 

Par conséquent, à l’exception du groupe de Višegrad, qui pour des raisons historiques est hostile à un état supranational européen malgré le fait qu’il soit de culture catholique, la carte de l’Europe montre une division culturelle entre l’Europe catholique et l’Europe protestante. Héritiers de l’impérium transnational de l’Eglise catholique, les pays de culture catholique comme la France, l’Italie ou l’Espagne sont plus enclins à accepter la domination des institutions supranationales tandis que les pays protestants, héritiers d’une culture religieuse nationale, s’y opposent. Cette explication en fonction des invariants religieux nous montre donc que loin d’être dépassée par l’économisation du monde, la culture religieuse continue à jouer un rôle primordial dans les représentations politiques des peuples européens.

 

 

 

 

*Fernand Braudel dans Grammaire des civilisations exprimait clairement cette logique aujourd’hui trop oubliée : « De bout en bout de l’histoire d’Occident, il (le christianisme) reste au cœur d’une civilisation qu’il anime, même quand il se laisse emporter ou déformer par elle, et qu’il englobe, même lorsqu’elle s’efforce de lui échapper. Car penser contre quelqu’un, c’est rester dans son orbite. Athée, un Européen est encore prisonnier d’une éthique, de comportements psychiques, puissamment enracinés dans une tradition chrétienne. » Pour faire simple, un athée est un chrétien qui ne croit pas en Dieu.