Pourquoi personne ne veut voir tomber la Corée du Nord ?

Pourquoi personne ne veut voir tomber la Corée du Nord ?

Le 9 septembre 2016, la Corée du Nord a effectué son cinquième essai nucléaire consécutif. Immédiatement après, les médias nord-coréens ont annoncé le succès de l’opération dans des termes euphoriques : « Nos scientifiques ont mené un essai d’explosion atomique d’une tête nucléaire nouvellement mise au point, sur le site d’essais dans le nord du pays ». Dans les faits, il est difficile d’évaluer à quels points le programme nord-coréen est avancé tant « l’état ermite » ne laisse transparaître aucune information. Néanmoins, cet essai a été suffisamment pris au sérieux pour pousser la communauté internationale à réagir. Barack Obama a ainsi déclaré : « les Etats-Unis n’acceptent pas et n’accepteront jamais que la Corée du Nord soit une puissance nucléaire ». Même la Chine a réagi, par la voie de son ministre des affaires étrangères, « cet essai est peu sage, la Chine s’oppose à cet essai nucléaire ». La pluie de condamnations internationales n’a pourtant pas effrayé la dynastie des Kim habituée aux menaces extérieures. C’est que le dernier régime stalinien de la planète semble quasiment intouchable tant son importance géostratégique est cruciale pour un certain nombre d’acteurs de la région. De la Chine aux Etats-Unis en passant par la Corée du Sud, personne, en effet, ne veut voir la Corée du Nord s’effondrer.

Pourquoi aucun pays ne souhaite voir tomber le régime nord-coréen ?

Pour en comprendre les raisons, il est judicieux de prendre en compte les intérêts stratégiques des trois principaux acteurs concernés : la Corée du Sud, les Etats-Unis et la Chine.

 

Le coût exorbitant de la réunification pour la Corée du Sud

La Corée du Sud est l’acteur le plus concerné et le plus directement impacté par les agissements nord-coréens. L’absence de traité de paix suite à la guerre (1950-1953), la non-reconnaissance mutuelle et la rhétorique très agressive de son voisin du nord font peser une menace existentielle à la jeune démocratie sud-coréenne. Pourtant, une réunification, officiellement souhaitée par les sud-coréens, deviendrait un cauchemar pour le pays.

D’une part, l’effort financier consenti par les sud-coréens pour avaler son voisin du nord serait tellement exorbitant qu’il dissuade déjà les milieux d’affaires et les leaders politiques d’envisager toute réunification. Alors que les deux pays étaient aussi peu développés tous les deux au sortir de la guerre inter-coréenne (1953), leur trajectoire économique vont rapidement diverger par la suite. Dès les années 80, la Corée du Sud a réussi le virage de la globalisation. Comme les « autres dragons asiatiques », son succès a reposé sur trois facteurs : taux d’épargne très élevé, intégration aux échanges mondiaux et montée en gamme vers une production à plus haute valeur ajoutée (théorie d’Akamatsu-Shinoara). Au contraire, la Corée du Nord a préféré se replier du monde extérieur en adoptant une politique de planification stalinienne de l’économie. Fort de ces deux modèles, le niveau de vie des coréens diffère fortement. Au Sud, le PIB par habitants annuel était de 36500 (*) dollars en 2015 contre 1800 dollars au Nord. Toute réunification engendrerait donc un transfert financier important entre le nord et le Sud aux frais du contribuable sud-coréen.

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La réunification allemande est souvent considérée comme le symbole d’une réunification réussie. C’est oublier que le coût assumé par les Lander d’Allemagne de l’Ouest a été considérable. Selon l’association berlinoise SED-Staat, la réunification a coûté 2000 milliards d’euros. De plus, l’écart de PIB/hab entre les deux Allemagnes n’était que de 4 alors qu’il est de 20 dans le cas coréen. Ainsi, il faudra aux sud-coréens assumer un coût d’une réunification en proportion du PIB cinq fois supérieur au coût « allemand » ou alors il faudra étaler ce fardeau sur une période cinq fois plus importante qu’en Allemagne. La commission des services financiers sud-coréens estimait dans un rapport que le coût d’une réunification s’établirait à 500 milliards de dollars soit un effort de 7% du PIB pendant une décennie. Ce rapport estime même qu’il faudra vingt ans pour que le PIB par habitant des coréens du Nord atteigne les 10000 dollars annuels soit un niveau inférieur à celui de la Tunisie. Le coût financier s’annonce donc intolérable pour les sud-coréens ce à quoi il faudrait rajouter le coût du démantèlement de la pléthorique armée nord-coréenne.

 

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La Corée du Nord est en effet le pays le plus militarisé au monde avec un total de 49 soldats pour 1000 habitants. Son armée possède des armes élaborées et extrêmement dangereuses si elles viennent à tomber dans de mauvaises mains. La Corée du Sud aura dès lors à gérer tout un processus de sécurisation et de contrôle des immenses réservoirs militaires nord-coréens (fusils AK-47, missiles balistiques, armes chimiques). Pour elle, il s’agira donc d’un véritable casse-tête dans un pays très peu militarisé et peu habitué à gérer des stocks d’armement aussi gigantesques.

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Les sud-coréens sont par conséquent très peu enclins à souhaiter la réunification de la nation coréenne. Etant donné le coût financier exorbitant de la réunification, les leaders sud-coréens se satisfont du statu quo actuel d’autant plus qu’ils peuvent compter sur l’appui intéressé des Etats-Unis.

 

La Corée : enjeu stratégique pour les Etats-Unis

La péninsule coréenne a toujours fait partie des axes majeurs de la politique américaine en Extrême-Orient. Réagissant à la doctrine Kennan du « containement » anti soviétique, l’intervention américaine lors de la Guerre de Corée (1950-1953) a inauguré une forme de protectorat américain de la Corée du Sud. Encore aujourd’hui, près de 28000 militaires américains répartis dans 187 bases assurent la défense de la jeune démocratie face à son voisin du Nord. D’ailleurs, la raison officielle de leur présence est de protéger la Corée du Sud d’une éventuelle agression nord-coréenne. Le traité de sécurité signé entre les deux pays repose clairement sur ce scénario.

Or, la présence de troupes américaines représente un atout stratégique crucial pour les Etats-Unis dans la région. L’extraordinaire développement économique de l’Asie de l’Est et du Sud-Est a en effet considérablement modifié l’ordre mondial. D’après Brzezinski, il y a moins de quarante ans l’Asie orientale représentait tout juste 4% du PNB total du monde tandis que l’Amérique du Nord caracolait en tête avec 35 à 40 %, au milieu des années 90 les deux régions se sont retrouvées à égalité. De même, s’il a fallu plus de cinquante ans aux Etats-Unis pour doubler leur PNB par habitant, il a suffi une dizaine d’années à la Chine et à la Corée du Sud pour obtenir le même résultat. Le centre de gravité de l’économie mondiale se tourne donc clairement vers l’Asie Pacifique. Or, l’essor économique asiatique accroît les tensions pour le contrôle des ressources énergétiques et exacerbe les ambitions nationales. De ce point de vue, la politique de puissance menée par la Chine inquiète l’ensemble de ses voisins. On ne compte plus les différents territoriaux (statut de Taiwan, revendication des iles Senkaku, différents sino-vietnamiens au sujet de la souveraineté maritime) qui chaque jour menace de dégénérer en conflit ouvert. Dans ce contexte, les Etats-Unis font figure de contrepoids à la montée en puissance de la Chine.

 

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L’intérêt de cette région pour garantir le leadership américain a été pris très au sérieux par l’administration Obama qui a adopté une stratégie de « pivotement » vers l’Asie. Au sein de cette stratégie, la Corée du Sud est un partenaire majeur. Avec la présence de troupes sur place, les américains contribuent à faire barrage à l’expansionnisme chinois et constituent un verrou stratégique suffisamment dissuasif pour Pékin. Cependant, si le régime nord-coréen s’effondrerait, plus rien ne justifierait la présence des troupes américaines dans la péninsule coréenne ce qui constituerait pour les Etats-Unis un recul stratégique dans la région. Dans cette perspective, la menace nord-coréenne apparaît comme un « moindre mal » pour les experts américains.

 

La Corée du Nord : un allié bien encombrant pour la Chine

La Chine regarde avec une grande attention la péninsule coréenne. Partageant une frontière commune avec la Corée du Nord et une frontière maritime avec le Sud, elle est concernée en premier chef par les tensions entre les deux pays. Dernier allié de la Corée du Nord, la Chine n’en joue pas moins un jeu très complexe d’équilibre entre le Nord et le Sud pour satisfaire ses intérêts.

La Chine aspire à redevenir « l’empire du milieu » dominant ses voisins asiatiques jusqu’aux humiliantes guerres de l’opium (1842). La Corée du Sud avec ses 28000 militaires américains constituent un des principaux obstacles  à l’hégémonie chinoise dans la région. Pour le surmonter, les chinois envisagent les scénarios suivants :

– Un rapprochement avec la Corée du Sud. Ce rapprochement stratégique entre les deux pays vise dans les faits à rassurer les sud-coréens. Ces derniers, rassurés par la garantie chinoise, auraient donc de moins en moins besoin de la protection américaine. En contrepartie, les sud-coréens attendent des chinois qu’ils fassent pression sur la Corée du Nord pour calmer ses ardeurs nationalistes. La Chine est en effet en termes économiques l’unique assurance-vie du régime des Kim. C’est elle qui lui fournit les biens indispensables pour la survie du peuple nord-coréen et reste quasiment son seul lien avec le reste du monde. La stratégie vise donc pour les chinois à se substituer à l’influence américaine en Corée du Sud écartant de fait l’obstacle militaire américain.

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-La possibilité d’une réunification sous égide chinoise. Une fois la Corée du Sud ancrée dans la sphère d’influence chinoise, les chinois pourront être tentés de faciliter la réunification et ainsi d’éliminer le régime nord-coréen trop imprévisible pour Pékin. Or, les nord-coréens sont conscients de cette menace et s’assure pour torpiller le rapprochement entre Pékin et Seoul. Les agressions nord-coréennes comme à yeonpyeong en 2010 (7 civils sud-coréens tués) et les discours belliqueux des Kim font partie de cette stratégie. De même, le programme nucléaire est moins une assurance-vie vis –à-vis des Etats-Unis que de la Chine. Paradoxalement, le maintien des troupes américaines au Sud constitue le meilleur atout pour la survie du régime nord-coréen en ce qu’elle maintien durablement la Corée du Sud sous influence américaine.

-La réunification sous égide américaine : ce scénario est le pire pour Pékin. Elle engendrera en effet le positionnement de troupes américaines à la frontière chinoise et constituera un obstacle majeur pour ses ambitions territoriales en Mer de Chine.

Aux vues des trois scénarios, la Chine a décidé de se rapprocher de la Corée du Sud tout en soutenant encore la Corée du Nord. Craignant une réunification sous influence américaine, les chinois ne peuvent lâcher le régime des Kim immédiatement tout en s’efforçant  d’attirer la Corée du Sud dans l’orbite chinoise. Ce n’est qu’une fois cet objectif atteint que Pékin peut envisager la réunification et l’effondrement du régime nord-coréen. Ce dernier l’a d’ailleurs bien compris puisque ces provocations visent justement à empêcher le rapprochement entre Pékin et Séoul.

 

 

Quatre acteurs jouent donc un rôle direct dans le conflit coréen. Pour la Corée du Sud, l’effondrement du régime nord-coréen ouvrirai la voie à la réunification qui engendrerait elle-même un coût si exorbitant qu’elle en serait dissuasive pour les leaders sud-coréens. Pour la Corée du Nord, son objectif est de se rendre indispensable à son voisin chinois tout en maintenant son indépendance. Pour les Etats-Unis, les menaces du régime nord-coréen légitiment la présence de 28000 soldats américains ce qui représente pour eux un véritable verrou stratégique face à l’expansion chinoise au cœur même d’un espace en plein essor économique. Enfin, pour les chinois, la Corée du Nord doit sa qualité d’allié seulement par la crainte de Pékin de voir des soldats américains de l’autre côté de la rivière Yalu (frontière entre la Corée du Nord et la Chine). Dès lors que cette crainte sera dissipée, elle pourra envisager de lâcher cet allié encombrant. Aujourd’hui, les conditions ne sont clairement pas réunies pour voir la Chine abandonner le régime nord-coréen, les troupes américaines étant toujours fermement stationnées en Corée du Sud. Dès lors, le régime nord-coréen apparaît comme un « moindre mal » pour l’ensemble des acteurs concernés. Kim-Jong-Un peut donc dormir sur ses deux oreilles tant la perspective d’un changement de régime paraît pour l’heure improbable.

 

 

Livres-sources utilisés :

(*) Les chiffres de cet article sont issus du CIA World Factbook

Le Grand Echiquier, L’Amérique et le reste du monde de Zbigniew Brzezinski