Depuis 2015 et la diffusion d’un documentaire (Sous le dôme) exposant les ravages de la pollution atmosphérique, la Chine s’est affichée comme l’un des leaders de la lutte contre le réchauffement climatique. Profitant du retrait américain de l’accord de Paris, elle s’est ainsi positionnée comme le fer de lance de la production de biens publics mondiaux. Aujourd’hui, le pays est de loin le premier producteur et consommateur mondial d’énergies renouvelables monopolisant près de 45% des investissements mondiaux dans le secteur de la transition énergétique.

A contrario, l’image de la Chine en termes d’environnement, surtout en Occident, est associée aux nuages de pollution frappant Pékin et aux immenses centrales à charbon qui alimentent la croissance spectaculaire du pays depuis trois décennies. Il existe donc un contraste saisissant entre les intentions affichées par la Chine et la réalité sur le terrain. Dans ces conditions, la Chine peut-elle prétendre au statut de « puissance verte » ?

 

Pékin a définitivement pris le tournant de la transition énergétique

Au début de cette année Alexandria Ocasio-Cortez, une jeune députée du congrès américain, s’était rendue célèbre en appelant son pays à s’engager dans un « green new deal » fait d’investissement dans les énergies renouvelables et d’abandon sur le long terme des énergies fossiles. Or, si la transition énergétique est encore en débat aux Etats-Unis, la Chine, à l’inverse, a lancé depuis quelques années un gigantesque « plan vert » visant à transformer son économie en faveur d’une croissance bas-carbone.

Le pays est ainsi le premier producteur de brevets au monde liés aux énergies renouvelables avec 29% du total global. De même, la Chine a investi en 2017 près de 127 milliards de dollars dans les énergies renouvelables soit plus que l’Europe et les Etats-Unis réunis. Profitant des économies d’échelle considérables que lui procure son immense marché, Pékin s’est positionnée en tant que leader dans de nombreuses filières bas-carbones telles que le photovoltaïque, l’éolien ou encore la production de batteries pour les véhicules électriques. A noter que dans ce dernier cas, le marché automobile chinois est aujourd’hui le plus électrifié du monde.

En 2020, les autorités chinoises appliqueront un marché du carbone similaire au marché des droits à polluer européen ce qui devrait renforcer la tendance à la décarbonation de son économie et de son mix énergétique. L’objectif de Pékin est en fait d’une part de répondre à la demande grandissante des classes moyennes chinoises qui sont très soucieuses des questions environnementales. D’autre part, le parti communiste chinois souhaite utiliser la transition énergétique comme levier de modernisation de sa structure productive et ainsi faciliter la montée en gamme de son économie.

Souhaitant dépasser son statut d’économie à revenue intermédiaire, la Chine mise en effet sur les énergies renouvelables afin de se spécialiser sur des biens à plus haute valeur ajoutée au moment même ou le vieillissement de sa main d’œuvre oblige Pékin à revoir ses avantages comparatifs dans la mondialisation. Cette stratégie est d’autant plus attractive qu’elle se fonde sur le fait qu’en produisant 80% des Terres rares, ces matériaux essentielles aux technologies bas-carbones, le pays possède un avantage compétitif évident à l’avenir sur ce segment.

 

Un pays qui reste encore très polluant

Malgré de réels efforts, il ne faudrait pas croire néanmoins que la Chine soit devenue du jour au lendemain un paradis pour l’environnement. En fait, le pays est toujours le premier émetteur mondial de gaz à effet de serres avec 28% des émissions mondiales. En terme de consommation d’énergies fossiles, Pékin reste aussi et de loin le premier consommateur au monde même si mesurée par habitants cette consommation est beaucoup plus faible qu’aux Etats-Unis. Le Charbon, qui fut le moteur énergétique du décollage chinois, se maintient également à un niveau élevé du mix énergétique avec près de 59% de parts dans le total.

Comment expliquer dès lors ce paradoxe d’un pays à la fois plus gros utilisateur d’énergies renouvelables et d’énergies fossiles ? Tout d’abord, il est nécessaire de réaliser que la demande énergétique chinoise a explosé depuis plusieurs décennies en lien avec sa formidable phase de croissance. Les énergies renouvelables, bien qu’elles montent en puissance, ne suffisent pas à alimenter l’appétit énergétique du pays si bien que malgré une baisse importante de la part du charbon dans le mix énergétique, la production de ce dernier ne fait qu’augmenter en volume. Il est en de même pour toutes les énergies fossiles. De plus, les filières chinoises du renouvelable ont décidé de miser sur les exportations et non sur le recouvrement intérieur de sorte qu’une grande partie de ces modes d’énergie bas-carbone n’alimentent pas le marché chinois. Enfin, le fait que le secteur charbonnier est un gros pourvoyeur d’emplois, et ce généralement dans des provinces sinistrées de la croissance chinoise, pousse le gouvernement à être très prudent quant à la fermeture de centrales à charbon et d’industries polluantes.

 

Une transition énergétique qui impacte négativement les partenaires commerciaux de la Chine

La transformation progressive de l’économie chinoise en une économie bas-carbone n’impacte pas seulement le marché chinois mais l’ensemble de ces partenaires commerciaux. Ces derniers sont en effet très structurés par l’économie chinoise si bien qu’une transformation de celle-ci modifie complètement la structure productive de ces pays. Etant donné l’interdépendance de leurs économies et l’importance qu’ont pris les chaines de valeur aujourd’hui, beaucoup de pays devront ainsi s’adapter aux choix stratégiques pris par Pékin.

Or, deux impacts négatifs de ce changement doivent être mentionnés. D’une part, la transition énergétique chinoise exige un certain nombre de matériaux critiques, du lithium en passant par le cuivre, qui certes permettent de produire des énergies vertes mais qui sont également très destructrices de l’environnement lors de leurs extractions. En achetant massivement ce type de matériaux, la Chine risque ainsi de sous-traiter ses problèmes environnementaux à ses partenaires économiques. Le Chili et l’Australie, par exemple, ont vu ainsi leurs émissions augmenter ces dernières années du simple fait qu’ils sont les principaux fournisseurs de ce type de matériaux.

D’autre part, la montée en gamme de l’industrie chinoise et son repositionnement dans les chaînes de valeur mondiales entraîne un phénomène de délocalisation de la production industrielle à faible valeur ajoutée vers les pays voisins. Le Cambodge ou le Vietnam sont ainsi devenus des destinations privilégiées des IDE chinois. Or, cette migration productive se réalise dans des industries fortement émettrices en CO2. En d’autres termes, les filières industrielles chinoises n’ont fait que déplacer les émissions polluantes du territoire chinois vers ces partenaires commerciaux surtout asiatiques.

 

La position de la Chine est donc pour le moins ambiguë quant à ses efforts de « verdissement ». Tout en étant la championne des énergies renouvelables, elle est également la championne des émissions de CO2 et privilégie depuis plusieurs années non pas la suppression des industries polluantes mais leurs migrations vers d’autres pays. Le cas chinois est en réalité intéressant car il montre à quel point la transition énergétique modifie en profondeur les relations internationales.

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