Etats-Unis-Chine : Pourquoi la guerre des métaux rares n’aura pas lieu ?

Etats-Unis-Chine : Pourquoi la guerre des métaux rares n’aura pas lieu ?

La Chine va-t-elle supprimer ses approvisionnements en terres rares ? Cette question était sur toutes les lèvres le mois dernier lorsque Pékin avait annoncé son intention de ne plus exporter ces matériaux critiques que l’on retrouve dans nos portables et nos ordinateurs. Réagissant à la décision prise par l’administration Trump d’interdire aux entreprises américaines de commercer avec Huawei, l’empire du milieu espérait ainsi montrer qu’il tenait l’économie mondiale entre ses mains et que sans lui la production d’objets électroniques était tout simplement impossible.

Relayant cette menace, les médias du monde entier se sont inquiétés devant le risque d’une rupture brutale d’approvisionnement de ces terres rares. Il est vrai qu’en produisant près de 70% de ces métaux précieux, Pékin semblait pouvoir mettre ses menaces à exécution. Mais, en réalité, cette vision globale d’un marché des terres rares dominé par la Chine ne tient pas la route. En d’autres termes, le levier stratégique des terres rares est dans les faits beaucoup moins important pour le pouvoir chinois que ne le laisse penser une approche trop rapide et superficielle du marché.

Comment expliquer ce paradoxe qui veut que, même en contrôlant 70% de la production, Pékin ne soit pas en mesure d’utiliser les terres rares comme une arme dans sa politique commerciale ? Pour le dire autrement pourquoi la Chine ne peut jouer la carte de la guerre des métaux rares ?

 

Métaux et terres rares : une distinction capitale

Tout d’abord, il convient de distinguer entre les terres rares et les métaux rares. Les premières, contrairement à leurs noms, sont relativement abondantes dans le monde. On y trouve du zinc, de l’aluminium mais aussi des métaux plus méconnus tels que le dysprosium, utilisé dans les moteurs hybrides, et le cérium, présent dans les pots catalytiques. Les métaux rares sont quant eux en nombre très limité car ils possèdent des propriétés exceptionnelles et sont donc très chers à l’achat. On trouve dans cette catégorie des minerais telles que le cobalt ou le niobium, matériaux indispensables par exemple à la production de voitures électriques. On estime d’ailleurs que ces dernières contiennent entre 9 et 11 kg de minerais (terres et métaux) rares, soit deux fois plus que dans une voiture à essence.

Cette distinction entre terres et métaux est fondamentale car elle change complètement la perspective du quasi-monopole chinois. En effet, lorsque l’on dit que Pékin contrôle 70% de la production de minerais rares, on ne fait pas la décomposition entre les métaux, qui sont limités et les terres rares, qui sont abondantes. Par exemple, on estime que le pays ne posséderait en réalité que 40% des réserves de terres rares ce qui lui donne un certain pouvoir de marché mais en aucun cas le contrôle absolu sur ces matières premières. De même, certains métaux rares ne sont pas fabriqués par la Chine comme le Béryllium, produit à 90% par les Etats-Unis, ou le niobium dont le Brésil s’arroge 90% de la production.

Par conséquent, la Chine est nettement moins bien positionnée en termes de réserves de minerais rares que ne le laisse penser le chiffre brut de 70% de contrôle de la production. D’une part, l’essentiel des réserves chinoises sont des terres rares dont la caractéristique est d’être relativement abondante dans le monde ce qui signifie que des alternatives existent en cas d’embargo imposé par Pékin. D’autre part, certains métaux rares n’étant pas disponibles dans le pays, le gouvernement chinois aura du mal à utiliser l’arme des minerais rares sans subir en représailles un embargo du même type sur les métaux qu’elle ne possède pas. En d’autres termes, Pékin risque un sévère retour de bâton si elle joue la carte des terres rares.

 

La transformation du modèle de production chinois de terres et métaux rares

La Chine est d’autant moins en position de force qu’elle a transformé en profondeur son secteur minier ces dernières années. Ainsi, pour simplifier, la chaîne de valeur de la production des terres rares se compose grosso modo de 5 étapes : l’extraction, le traitement du minerai, la transformation métallique, la fabrication en produits et le recyclage. Pendant longtemps, jusqu’au début des années 2010, l’empire du milieu s’était spécialisé sur l’ensemble de la chaîne, passant de l’activité extractive (Upstream) au raffinage (downstream) dans une intégration complète de la filière. Pékin était d’autant plus disposée à adopter ce modèle de production qu’aucun autre pays ne souhaitait assumer le coût environnemental gigantesque de l’extraction et de la transformation des terres rares.

Ainsi, ces matériaux posent un problème écologique non seulement en termes de déchets mais aussi par l’utilisation intensive de produits chimiques qui combinés avec de l’eau viennent polluer directement les rivières et les nappes phréatiques. Pourtant, depuis l’instauration du XIIIème plan quinquennal en 2015, le pouvoir chinois prône l’édification d’une « civilisation écologique » entraînant avec elle la fermeture de nombreuses mines de terres rares. En réalité, Pékin a fait le choix de se spécialiser dans l’activité de transformation de la filière, abandonnant l’activité la plus pollueuse, l’extraction, au profit du segment à plus haute valeur ajoutée et à plus faible coût écologique. La chine a ainsi largement sous-traité l’activité extractive à des pays comme l’Indonésie ou l’Australie.

Ce changement de modèle explique d’ailleurs pourquoi la part de la production chinoise a chuté de 95% en 2010 à 70% aujourd’hui. Le pays devient de manière croissante non pas un producteur de terres rares mais un transformateur de ces minerais. La nuance est importante car elle rend la Chine de plus en plus dépendante des importations de terres et métaux rares si bien qu’en mars de cette année le pays est devenu le premier importateur au monde de ces matériaux stratégiques. On estime par ailleurs que les chinois seront importateurs nets d’ici à 2025.

Et la tendance ne risque pas de s’inverser. La montée en puissance des capacités technologiques du pays à la suite du plan « Made in China 2025 » et son virage vers la transition énergétique entraînent en effet une demande croissante de ces métaux qui à termes dépassera largement les capacités de production chinoises. De même, étant donné que les industries chinoises sont encore tributaires des composants réexpédiés en Chine par des utilisateurs de terres rares d’autres pays, ne plus fournir ces pays revient à agir contre ses propres intérêts industriels.

Par conséquent, un embargo sur les terres rares chinoises serait doublement contre-productif. D’un côté, cette mesure mettrait en difficulté toute la filière downstream que Pékin souhaite pourtant développer. D’un autre côté, elle entraînerait une surenchère des prix à un moment où la production domestique ne suffit plus à alimenter la demande chinoise.

 

La Chine n’a donc aucun intérêt à jouer la carte de l’embargo sur ses ressources en terres rares. Ne possédant que 40% des réserves et étant devenue le premier importateur au monde de ces ressources, elle ne peut en effet mettre cette menace à exécution sans subir elle-même les conséquences de cette stratégie. Pour le dire autrement, Pékin se tirerait toute seule une balle dans le pied si elle venait à choisir cette voie. Il me paraît dès lors peu probable de voir le pouvoir chinois s’engager dans une dangereuse guerre des métaux rares.

Boris Johnson pourra-t-il accomplir la promesse du Brexit ?

Boris Johnson pourra-t-il accomplir la promesse du Brexit ?

Boris Johnson logera-t-il au 10 Downing Street le soir du 23 juillet prochain ? C’est du moins la tendance qui se dessine après les premiers tours d’une élection interne qui voit l’ancien maire de Londres et le patron du Foreign Office Jeremy Hunt s’affronter pour prendre la tête du parti conservateur. Du fait que le prochain premier ministre sera choisi par quelque 160 000 militants, en majorité « pro-Leave », Johnson semble en tout cas avoir une longueur d’avance sur son rival.

Mais si le résultat final ne fait plus guère de doute, la politique du nouveau leader britannique reste quant à elle remplie d’incertitudes, notamment sur la question du Brexit qui divise le royaume depuis trois ans. Ayant fait campagne pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, Boris Johnson apparaît ainsi d’un côté le plus apte à accomplir cette promesse. Pourtant, ses déclarations médiatiques et son programme sont tellement flous et vagues qu’il est presque impossible pour un observateur de prévoir la stratégie qui sera suivie par son cabinet.

Pourra-t-il dès lors mener son pays hors de l’Union ? Ou sera-t-il à l’inverse totalement avalé par le Brexit comme l’ont été ses prédécesseurs David Cameron et Theresa May ?

 

L’impasse du Brexit

Pour l’ancien maire de Londres, la première des priorités sera de débloquer une situation politique en grande partie gelée. En effet, depuis le référendum de 2016, le pays est incapable de s’accorder sur un plan de sortie viable économiquement et acceptable pour ses partenaires européens et la majorité des citoyens du royaume. C’est que l’équation du Brexit semble pour l’heure insoluble tant les demandes des britanniques semblent contradictoires, voire irréconciliables entre elles.

D’un côté, une bonne moitié de la population s’oppose catégoriquement à tout accord de sortie et réclame un second référendum qui espère-t-elle renversera les résultats de 2016. D’un autre côté, un camp du Brexit divisé qui n’a absolument pas mesuré les conséquences (de l’interdépendance économique à la question nord-irlandaise) d’une rupture de près de cinq décennies d’association avec l’Europe et qui se radicalise avec la montée du parti du Brexit de Nigel Farage.

Durant trois ans, Theresa May a tenté de concilier ces deux camps par un accord de compromis qui finalement s’est vu rejeté par quasiment l’ensemble des parties. Boris Johnson sera-t-il à l’inverse le réconciliateur d’un Royaume-Uni au bord de l’implosion ? On peine à le croire quant on connaît le caractère extrêmement clivant de sa personnalité, sans compter son orientation « hard Brexit » qui va lui aliéner une grande partie de la population.

 

Quelles sont les options pour Boris Johnson ?

Durant sa campagne, Johnson a promis qu’il tenterait de renégocier un nouvel accord plus avantageux avec l’Europe tout en maintenant fermement que le royaume quitterait au plus tard l’Union européenne le 31 octobre prochain, « deal or no-deal ». On voit pourtant mal l’UE se plier aux exigences britanniques et abandonner les lignes rouges de sa négociation : le non-rétablissement de la frontière entre les deux Irlandes grâce au « Backstop » *, le respect des engagements budgétaires pris par les britanniques lors du budget pluriannuel de l’Union et le maintien des droits des expatriés européens au Royaume-Uni. Si Theresa May n’a pu obtenir des concessions sur ces points, par quel magie Boris Johnson serait-il en mesure de convaincre les 27 sachant que ces derniers ont fait preuve d’une unité remarquable depuis le début des négociations ?

Peut-être que souhaitant tourner la page du Brexit tout en étant enclin à sortir avec un « deal », ce dernier pourrait céder aux arguments de ceux qui prônent un « soft Brexit » mais cette situation me paraît hautement improbable. D’une part, en tant que partisan du « Global Britain » ** et du projet fantasmagorique de faire du pays un nouveau « Singapour », Boris Johnson ne pourra jamais accepter de rester dans l’union douanière ou dans le marché unique européen et ainsi perdre toute souveraineté sur la politique commerciale. D’autre part, sa majorité parlementaire ne tenant qu’au parti unioniste nord-irlandais DUP, il ne sera pas en mesure d’appuyer un accord mentionnant la solution du « Backstop ».

Par conséquent, ne pouvant concevoir un plan plus « hard Brexit » ou plus « soft Brexit », je vois mal l’ancien maire de Londres proposer autre chose qu’une version légèrement modifiée du plan May déjà rejeté trois fois à la Chambre des communes. En cas de nouveau rejet, Boris Johnson a promis de sortir sans accord mais là aussi il risque d’avoir du mal à respecter ses engagements de campagne. Le parlement, en effet, est farouchement hostile à un no-deal et fera tout pour empêcher ce scénario catastrophique pour l’économie britannique et européenne. De même, étant élu par simplement 160 000 militants du parti conservateur, Johnson n’a absolument pas la légitimité politique suffisante pour prendre une telle décision qui pourrait conditionner l’unité même du Royaume-Uni. Faut-il rappeler qu’en cas de « no-deal » le 31 octobre, les autorités écossaises ont déjà annoncé la tenue d’un référendum d’indépendance.

 

Un choix entre l’unité du royaume et la survie du parti conservateur ?

Boris Johnson va donc se retrouver dans une situation inextricable dès sa prise de fonction. D’un côté, il doit mettre fin à l’émigration des électeurs conservateurs vers Nigel Farage en adoptant une ligne dure sur le Brexit. D’un autre côté, cette ligne dure renforce la division du pays et menace l’unité du royaume. En d’autres termes, le prochain locataire du 10 Downing Street aura à choisir entre la survie de son parti et celle du Royaume-Uni.

La probabilité, dès lors, est grande de voir le blocage politique se poursuivre d’autant plus qu’on voit mal Boris Johnson appeler une nouvelle élection qui verrait les conservateurs se faire balayer dans les urnes. L’ancien maire de Londres ne dispose en tout cas que d’une marge de manœuvre limitée s’il veut sortir son pays et son parti du piège du Brexit. Pour l’heure, rien n’indique qu’il soit en mesure de faire mieux que ses prédécesseurs afin d’accomplir cette promesse.

 

« Backstop » : Ce terme renvoie à la solution proposée par le négociateur européen Michel Barnier pour éviter le rétablissement d’une frontière entre les deux Irlandes comme prévu par l’accord de paix du Vendredi Saint de 1998 qui avait mis fin à des décennies de guerre civile en Irlande du Nord. Souhaitant quitter l’UE, l’union douanière et le marché unique, le gouvernement de Theresa May imposait de facto le retour d’une frontière physique entre la République d’Irlande, membre de l’UE, et l’Irlande du Nord, partie intégrante du Royaume-Uni. Pour remédier à ce problème, Michel Barnier avait proposé que le Nord de l’île soit maintenu dans l’espace réglementaire européen jusqu’à ce qu’un accord d’association soit trouvé entre Londres et Bruxelles. Acceptée par Theresa May et une partie des conservateurs, cette solution est néanmoins contestée par un grand nombre de parlementaires et le parti unioniste DUP au nom de l’unité législatif du Royaume-Uni.

 

**Global Britain : Idéologie promue par une minorité de conservateurs et qui vise à faire du Royaume-Uni le centre du commerce international par le biais d’une politique agressive d’ouverture des échanges et de libéralisation de l’économie.