Les « nouvelles routes de la Soie » : une vision globale (première partie)

Les « nouvelles routes de la Soie » : une vision globale (première partie)

Au début du dix-huitième siècle, l’empire chinois fut sans doute la plus grande puissance mondiale. Forte d’une avance technologique impressionnante et d’une productivité agricole bien supérieure à ce qui se faisait en Europe, il pouvait se targuer d’avoir une influence au-delà-même de ses propres frontières. Ses produits inondaient ainsi l’Asie Centrale et venaient trouver des débouchés jusqu’à l’Océan Indien et les marges orientales de l’Europe. Ces « routes de la soie », comme on les a appelées, furent le moteur du rayonnement de la puissance chinoise pendant des siècles.

Malheureusement, la Révolution industrielle en Europe occidentale puis la colonisation de l’Asie par l’Occident et la Russie ont mis fin à cette période d’expansion. Découpée en morceau par les « traités inégaux », la Chine rentra alors dans la période la plus noire de son histoire depuis les « Royaumes combattants ». Pourtant, en Septembre 2013, c’est depuis la capitale d’une Chine de nouveau conquérante que Xi Jinping a dévoilé son plan de « nouvelles routes de la soie » (Belt and road initiatives- BRI) dont le coût est estimé à plus de mille milliards de dollars.

Pour le président chinois et son peuple, ce projet n’est pas seulement une nécessité économique, il est surtout d’ordre symbolique, voir même affective, tant la « Route de la Soie » fut au cœur de l’histoire chinoise. Par la même, le PCC réaffirme son ancrage historique et son ambition de redevenir une puissance mondiale.

Quels sont les bases de ce projet ? Comment Pékin compte le mettre en œuvre ? Et quels sont les impacts géopolitiques d’une telle initiative ?

Dans cette première partie, je ne répondrais qu’au deux premières questions, à savoir sur la mise en œuvre effective de ces nouvelles « Routes de la Soie ». Les impacts géopolitiques de ce projet seront traités dans les articles suivants.

 

Un projet gigantesque

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Dévoilée en 2013, l’initiative des nouvelles « Routes de la Soie » est considérée aujourd’hui comme une priorité absolue pour Pékin tant au niveau économique que sécuritaire.

Économiquement, la Chine connaît un boom sans précédent depuis les réformes de Deng Xiaoping en 1978. Représentant moins d’1% des échanges mondiaux en 1976, le pays est aujourd’hui le premier exportateur mondial et l’un des touts premiers en termes d’importations. Avec une croissance en moyenne de 9,5% par an, l’économie chinoise a dépassé celle du Japon en 2010 et devrait dépasser les Etats-Unis à l’horizon 2025.

De plus, cette croissance a créé une classe moyenne comptant pas moins de 400 millions de personnes qui sont désireux de vivre selon les standards des ménages occidentaux. Cela exige donc des ressources gigantesques en matières premières pour satisfaire l’appétit de plus en plus dévorant de la population chinoise. La Chine est ainsi le premier consommateur mondial de métaux précieux. Or, le pays ne possède pas les ressources suffisantes pour entretenir un tel niveau de croissance économique sur le long-terme. La Chine parvient ainsi à nourrir 23% de la population mondiale en ne possédant guère que 7% des terres arables. Il lui faut donc impérativement à la fois se fournir ces matières premières indispensables et les acheminer vers le territoire national.

En excluant le recours à la colonisation qui lui aliénerait l’ensemble de la planète, Pékin mise sur la diversité pour acquérir les ressources manquantes à son économie. Grâce à son statut de puissance financière, elle ne cesse de signer des contrats aux quatre coins de la planète, et en particulier dans « l’île-monde » de Mackinder, à savoir l’Afrique et l’Asie. Son pétrole lui vient ainsi de Birmanie, d’Iran, du Soudan, du Kazakhstan ou encore du Nigéria. D’autres ressources lui viennent de Mongolie, d’Australie, du Congo ou de Mozambique. Quasiment l’ensemble des pays africains et asiatiques qui possèdent des ressources naturelles sont ainsi des fournisseurs du marché chinois.

Mais Pékin ne pourrait en rien en profiter s’il n’existait pas des voies d’acheminement vers la Chine. C’est ici tout l’objet des « nouvelles Routes de la Soie ». Celles-ci peuvent se diviser en deux parties, une terrestre et une maritime. Le projet va même beaucoup plus loin qu’un simple acheminement des produits vers la chine mais vise également à relier les marchés chinois et européens en évitant les traditionnelles voies de passage du Pacifique qui sont dominées par la marine américaine.

Sur le plan terrestre, la Chine est sur le point de construire un réseau de chemin de fer reliant son territoire à l’Allemagne et passant par quatre pays, le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie et la Pologne. Ce projet, appelé « New Eurasian Land Bridge », a pour objectif de relier directement les deux pointes de l’Eurasie, de Berlin jusqu’à Pékin. Au nord de son territoire, le pays a investi sur une ligne ferroviaire et autoroutière qui traverse la Mongolie pour finir en Sibérie orientale. La Mongolie étant un des plus grands producteurs de minéraux comme le Cuivre et la Sibérie de pétrole et de gaz, la Chine s’assure ainsi un approvisionnement sécurisé venant de ses deux voisins du Nord. Ce projet fait aussi suite au gigantesque accord gazier sino-russe qui vise à créer des pipelines le long de l’Extrême-Orient russe à quelques kilomètres de la frontière chinoise.

Une autre route est en construction reliant le territoire chinois à la Turquie en passant par Téhéran et l’Asie centrale, l’objectif étant encore une fois de rejoindre de manière terrestre le continent européen. Plus au Sud, Pékin finance un projet de liaison terrestre qui passera par le Cambodge, le Laos et la Thaïlande avant d’atteindre le port de Singapour.

Sur le plan maritime, « l’empire du milieu » s’active également pour construire des ports et des voies de liaison permettant d’acheminer directement les marchandises vers les façades océaniques. Les ressources primaires africaines sont ainsi transportées vers la Corne de l’Afrique qui sert de porte d’entrée vers l’Océan Indien. Les chinois construisent ainsi une voie de chemin de fer reliant Nairobi, au Kenya, au port de Mombasa, port largement modernisé par des investissements chinois. L’autre porte d’entrée et de sortie des intérêts chinois en Afrique est le port de Djibouti dont Pékin est sur le point de renforcer le réseau ferré qui le relie à Ababa, au cœur de l’Ethiopie.

Ces marchandises venant d’Afrique sont ensuite exportées vers l’Océan Indien où la Chine finance des points d’entrée portuaire importants, notamment à Gwadar au Pakistan, à Hambantota au Sri Lanka et Chittagong au Bangladesh. Chacun de ses ports, sauf celui du Sri Lanka car c’est une île, sont ensuite reliés au territoire chinois par des voies routières ou ferroviaires. Au Pakistan, le gouvernement chinois a ainsi construit une autoroute traversant littéralement tout le territoire, de la mer d’Oman jusqu’à Kashgar au Xinjiang.  Au Bangladesh, une route est construite reliant Kolkata à Kunming, au sud de la Chine et qui passe également par la Birmanie, un des principaux fournisseurs de pétrole de « l’empire du milieu ».

En Europe, le pays s’est rendu maître d’une grande partie du port de Pirée, en Grèce, ce qui lui donne un accès direct au marché européen et compte même investir dans le port de Venise en Italie.

Enfin, en Asie du sud-Est, la Chine est sur le point de bâtir une route maritime allant de Singapour à Fuzhou, au centre du pays, en passant par Djakarta, en Indonésie et par Haiphong au Vietnam. Une route supplémentaire est même prévue jusqu’en Malaisie.

Pour résumer, le projet des nouvelles routes de la Soie comporte pour l’heure six voies terrestres, au sud en direction de Singapour, au nord en direction de la Sibérie, vers le sous-continent indien à travers le Pakistan et aussi le Bangladesh, vers l’Europe en passant par la Russie et au sud en passant par l’Iran et la Turquie. Sur le plan maritime, la Chine crée un réseau qui part du Pirée puis rejoint Djibouti et Mombasa via le canal de Suez avant de parcourir l’océan Indien vers le Pakistan, le Bangladesh et le Sri Lanka avant d’atteindre Singapour puis de franchir le détroit de Malacca pour rejoindre l’Indonésie, le Viêtnam puis enfin la Chine.

Etant donné l’ampleur du projet, Pékin est contraint de trouver des financements à la hauteur de la tâche. C’est pourquoi, le pays a mis sur pied la Banque Asiatique d’Investissement (BAI), dont le capital atteint les 100 milliards de dollars. Avec cet outil, la Chine tente de mettre en commun un pool monétaire afin de partager le fardeau financier des nouvelles « Routes de la Soie ». Aujourd’hui, près de 61 pays ont adhéré à cette banque multi-étatique même si 49% des financements sont assurés par la seule Chine. 4,2 milliards de dollars ont aussi été prêtés par la BAI depuis le début du projet en 2015.

C’est donc un projet tentaculaire qui met en jeu l’Europe, l’Afrique, l’Asie centrale, le sous-continent indien et l’Asie du Sud-Est. L’objectif global d’un tel projet est à la fois de favoriser les exportations de produits chinois dans ces régions mais aussi, et surtout, d’acheminer les ressources et autres produits nécessaires au bon développement de la croissance économique de la Chine. Bien évidemment, l’impact des « nouvelles routes de la Soie » ne se limite pas à des considérations économiques mais implique également un changement géostratégique majeur dans l’équilibre mondial.