La Russie : alliée ou ennemie de la France ?

La Russie : alliée ou ennemie de la France ?

La visite du président russe a souvent tourné à la polémique. La dernière en date celle du 29 mai 2017 ne fait pas exception. Après tout, pourquoi faire tant d’honneur à Poutine ? Pourquoi l’inviter au Trianon, ce joyau de l’architecture française qui plaisait tant à Marie-Antoinette ?

C’est qu’Emmanuel Macron a très bien compris comment fonctionne la diplomatie. Il ne faut jamais oublier que la manière dont on reçoit un chef d’état étranger est aussi important que les pourparlers diplomatiques eux-mêmes. Inviter Poutine à Versailles, c’est donc lui montrer que son pays compte. De même, le président Macron est un homme d’histoire. Il sait qu’il y a 300 ans presque jour pour jour le tsar Pierre Le Grand effectua une tournée triomphale dans le royaume capétien. Rencontrant Madame de Maintenon, la seconde épouse de Louis XIV, il s’est mis sur les traces des personnes qui ont côtoyé le roi soleil qui a toujours été son modèle. Cette visite fut si triomphale que Saint-Simon pouvait écrire que la France regarda le tsar comme « un prodige dont elle demeura charmée ».

Surtout, Pierre le Grand est le symbole d’une Russie tournée vers l’Europe. Il fit construire sur les bords de la Neva ce qui deviendra plus tard Saint-Pétersbourg servant « de fenêtre sur l’Europe » comme il aimait à le dire. Il définira lui-même la frontière du continent européen sur l’Oural.

Le fait d’accueillir Poutine sous le patronage historique de Pierre le Grand, c’est donc pour Macron envoyer un signal très clair. Oui, la Russie fait partie de cette « maison commune européenne ». Oui la Russie peut être un partenaire dans le futur. Je pense que cette stratégie est la bonne même si des obstacles ne vont pas tarder à apparaître.

Peut-on considérer la Russie comme un allié ?

 

I) La Russie : pays dans l’histoire à la fois allié et ennemi

Pierre le Grand fut le grand inspirateur du tournant occidentaliste de la Russie. Mais plus important encore, il a fait entrer la Russie dans le concert des grandes puissances européennes. Son successeur Catherine II continuera cette politique. Pendant la guerre de sept ans (1765-1772), cette dernière s’alliera ainsi avec la France et l’Autriche contre l’Angleterre et la Prusse. Diderot et Voltaire seront alors les symboles de cette amitié franco-russe.

Plus tard, la Révolution française n’affectera pas cette amitié. Il faudra vraiment attendre Napoléon pour voir pour la première fois s’affronter français et russes. Austerlitz, Friedland, Eylau, Borodino, toutes ces batailles légendaires nourriront l’imaginaire des deux peuples. Pourtant, malgré l’invasion de son pays, le tsar Alexandre sera particulièrement bienveillant envers les français. Pétrie de culture des Lumières, il admirait tellement notre pays qu’il s’est opposé aux plans de l’anglais Wellington et du prussien Blücher qui voulaient faire payer à la France son épopée napoléonienne.

Malheureusement, les romantiques et les révolutionnaires vont faire de la Russie le pays réactionnaire par exemple. Dénonçant la « sainte-alliance », ils vont imprimer l’image d’un pays arriéré, conservateur et archaïque. C’est d’ailleurs à cette époque que le marquis de Custine publie son célèbre pamphlet antirusse Lettres de Russie. Cette Russophobie trouvera un débouché dans la Guerre de Crimée (1853-1856).

C’est pourtant quelques années plus tard que les relations franco-russes vont connaître leur âge d’or. Traumatisés par la capitulation de Sedan devant les Prussiens de Bismarck, les français vont trouver en la Russie cet allié de revers au Reich Allemand. Le traité signé en 1892 inaugure alors une ère de rapprochement sans précédent entre les deux peuples. Les français seront éblouis par les ballets russes, les romans de Dostoïevski ou encore les pièces de théâtre de Tchekhov tandis que leur épargne ira financier le transsibérien et l’industrie russe.

En 1914, c’est l’offensive russe sur Tannenberg permettant d’immobiliser la moitié des forces allemandes qui rend possible la victoire française sur la Marne. Malgré la révolution bolchévique de 1917, la Russie sera une nouvelle fois l’allié naturel de la France contre les nazis, en tout cas à partir de 1941*. On ne peut d’ailleurs pas penser la politique conciliante de De Gaulle envers les soviétiques sans avoir à l’esprit que pour lui s’il n’y avait pas eu Stalingrad, la libération de la France aurait été impossible.

Si la Russie et la France sont des alliés naturels dans l’adversité, ils ne sont pas amis pour autant. L’indépendance de la Pologne a été ainsi pendant longtemps un point de discorde entre les deux pays. De Gaulle avait lui-même combattu en faveur de cette indépendance face à l’armée rouge de Trotski en 1920. De même, lors de la crise des missiles de Cuba puis devant la construction du mur de Berlin, le général avait soutenu résolument le camp occidental.

La Russie a donc bien souvent été davantage un allié qu’un ennemi de la France. Les deux pays ont historiquement noué des liens culturels très forts propices à des influences mutuelles. Néanmoins, ces deux pays entretiennent des relations ambivalentes qu’on pourrait ne qualifier de « ni ami, ni ennemi », c’est-à-dire une forme d’estimation mutuelle teintée d’absence de confiance réciproque.

 

II) Les divergences franco-russes

N’étant ni notre allié ni notre ennemie, la Russie n’en joue pas moins un rôle essentiel dans les affaires du monde. La relation franco-russe permettait à la France d’avoir un dialogue constructif avec le pays des tsars. Or, cette relation s’est fortement détériorée depuis l’élection de François Hollande en 2012. L’annulation des ventes des Mistrals, l’adoption de sanctions économiques ou encore l’imbroglio diplomatique entourant l’inauguration d’une nouvelle église orthodoxe russe près de la Tour Eiffel, on ne compte plus les couacs entre François Hollande et Vladimir Poutine. Emmanuel Macron hérite donc d’une situation difficile face à la Russie. Il a brillamment voulu remettre en selle cette relation franco-russe lors du trois centièmes anniversaires de la visite de Pierre le Grand à Paris. Néanmoins, cette volonté peut trouver sur son chemin deux obstacles : l’Ukraine et la Syrie.

En Ukraine, l’accord de Minsk doit être respecté. Il prévoit notamment une autonomie des régions séparatistes de Lougansk et Donetsk et l’établissement de nouvelles élections. Or, aucune des deux parties ne respectent ces engagements. La France, garante de l’accord de Minsk, doit faire tout son possible pour pousser le gouvernement Porochenko à respecter les termes de l’accord, principalement le projet de décentralisation des régions séparatistes. D’autre part, si elle souhaite que la partie russe respecte sa partie de l’accord, la diplomatie française doit s’assurer que l’Ukraine n’intégrera jamais l’OTAN. Ce programme dit de « finlandisation » de l’Ukraine ne pourra réussir qu’avec l’accord de Washington. Le fait que Trump soit président représente d’ailleurs une opportunité, ce dernier cherchant une certaine « détente avec Moscou ». En tout cas, la France pourrait jouer le rôle d’intermédiaire rassurant les russes d’un côté et convaincant les américains d’abandonner toute prétention de l’OTAN sur l’Ukraine de l’autre. Ce scénario est le seul qui puisse apporter la paix à ce pays sur le long-terme.

Le second point de désaccord franco-russe concerne le dossier syrien. La France souhaite en effet le départ de Bachar Al-Assad et la disparition du califat de l’EI. Les russes quant à eux ne veulent surtout pas d’un effondrement de l’Etat syrien qui pourrait compromettre leurs bases maritimes (Tartous) et aériennes (Lattaquié), d’où le fait qu’ils visent davantage les rebelles que l’Etat Islamique Pour trouver un plan pour la paix en Syrie, il faudra pour la France accepter les exigences russes en matière de maintien des structures du parti Baas. Un scénario à l’Irakienne serait ainsi la pire des solutions. En échange, la Russie pourrait très bien abandonner Bachar qui serait remplacé par une personnalité plus consensuelle. Le choix de cette personnalité pourrait être déterminé après des négociations entre les parties prenantes. Une fois la Russie rassurée sur ses positions en Syrie, elle sera encline à aider la France pour combattre véritablement l’Etat Islamique. La France devra donc revoir sa position sur le conflit syrien, elle devra non plus exiger la fin du régime syrien mais devra s’atteler en coopération avec les russes à faire émerger une personnalité de ce même régime capable de former un gouvernement d’union nationale à la place de Bachar.

 

Par conséquent, Emmanuel Macron devra se monter moins dogmatique que son prédécesseur envers la Russie. Il lui faudra renier avec la tradition française qui considère la Russie ni comme un allié ni comme un ennemi mais comme une puissance dont les intérêts doivent être respectés. Sur l’Ukraine, la France doit s’efforcer de mettre hors-jeu les prétentions américaines « d’otaniser » ce pays. Sur la Syrie, la diplomatie française devra prendre en compte l’intérêt immédiat des russes, à savoir ne pas voir l’Etat syrien s’effondrer comme son homologue irakien en 2003. Ce n’est qu’en prenant en compte ces paramètres que puisse se forger un véritable dialogue constructif entre la Russie et la France.

*Avant le 22 juin 1941, l’URSS était allié du Reich hitlérien. Molotov, ministre des affaires étrangères, avait qualifié l’invasion de la France comme « d’un splendide succès ».

Quelle politique américaine en Ukraine?

Quelle politique américaine en Ukraine?

Dans 15 jours, Barack Obama va laisser sa place à Donald Trump. L’un des dossiers non résolus qui sera transmis au nouveau président concerne la situation à l’Est de l’Ukraine. C’est sur ce dossier hautement sensible que la nouvelle administration républicaine sera attendue au tournant. Trump s’est déjà dit prêt à un « reset » des relations avec Poutine. S’il réussit, là où Obama a échoué, la politique américaine à l’Est de l’Europe s’en trouvera totalement bouleversée. L’Ukraine sera ainsi le juge de paix du rapprochement américano-russe.

Quelle est la politique menée par les Etats-Unis en Ukraine ? Quels changements peut-on attendre avec Trump ?

L’Ukraine : un objectif stratégique pour les Etats-Unis

Dès lors que l’empire soviétique s’est effondré, les Etats-Unis ont immédiatement su tiré profit de la situation en proposant aux russes un « partenariat stratégique responsable ». Or, une fois que les russes ont compris que cette politique menait à « l’assujettissement » de son peuple à l’hyperpuissance américaine, tout bascula.

 Les américains étendirent alors l’Otan aux pays de l’Est (2004) et ce au mépris des garanties qui ont été données à Gorbatchev en 1989. Leur objectif était de repousser plus à l’Est l’influence russe et ainsi d’empêcher la reconstitution d’un empire en Eurasie, dans ce « heartland » dont le géographe britannique Mckinder en faisait la clé de l’hégémonie mondiale. Sa devise « qui tient l’Europe orientale tient le heartland, qui tient le heartland domine l’île mondiale, qui domine l’île mondiale domine le monde » a été parfaitement compris à Washington.

L’Ukraine, intégrée dans l’orbite russe par le biais de la CEI (communauté des états indépendants), devient dès lors un enjeu majeur.220px-brzezinski_1977 C’est tous le sens de la doctrine Brzeziński (1) du nom de l’ancien secrétaire d’état de Jimmy Carter. Pour ce dernier, « sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie », l’Ukraine étant non seulement le cœur de l’Eurasie mais aussi un espace d’une importance considérable pour l’accès aux ressources naturelles. C’est pourquoi, les Etats-Unis vont s’efforcer de détacher l’Ukraine de l’influence russe. Dès lors dès 2008, au sommet de Bucarest, Georges Bush préconisait l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, idée finalement abandonnée devant le refus français et allemand.

La crise de 2014

L’évincement de Victor Ianoukovitch en février 2014 fut la cristallisation de la guerre d’influence entre russes et américains en Ukraine. La crise provient in fine d’un choix impossible laissé au gouvernement ukrainien : adhésion à l’Union Eurasiatique pilotée par Moscou ou adhésion à l’accord d’association proposé par Bruxelles dans le cadre du « partenariat oriental » de l’Union Européenne. L’Ukraine, qui a un pied dans chaque monde ne peut évidemment pas choisir sans déplaire à une partie de sa population. En choisissant l’Union Eurasiatique, les populations de l’Ouest, plus européennes de par leurs histoires (domination austro-hongroise et polonaise) se sont révoltées. L’inverse aurait été tout aussi vrai.

 Or, si l’on se penche de plus près, on peut s’apercevoir que l’accord d’association était porté par la Pologne ardemment antirusse et alliée stratégique majeure des Etats-Unis. De même, le soutien sur place à Kiev du vice-président Joe Biden, de Victoria Nuland du département d’Etat et du sénateur John McCain à la « révolution de Maidan » traduit une certaine emprise américaine sur les révolutionnaires ukrainiens. Encore une fois, comme le fut l’élargissement en 2004 et 2007, c’est sous le masque de l’Europe que les américains avancent leurs pions stratégiques confirmant la vision chevènementiste (2) d’une Europe « Saint-empire euraméricain ». A partir de là, l’administration Obama ne cessera de soutenir le gouvernement ukrainien dans sa guerre contre les rebelles pro-russes de l’Est.

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 Les changements à attendre sous l’administration Trump

S’il confirme sa volonté de rapprochement avec Poutine, Trump pourra faire de l’Ukraine le symbole d’une nouvelle ère. Pour lui, la politique d’Obama en Ukraine n’a fait que pousser la Russie dans les bras de la Chine, seul rival sérieux d’après Trump en mesure de contester le leadership américain. Le président élu souhaite donc diviser le bloc russo-chinois de la même manière que Nixon et Kissinger s’était allié avec la Chine de Mao contre l’URSS.

 La première mesure serait de faire respecter les accords de Minsk, bloqués jusque-là par la rada Ukrainienne. L’objectif à long terme est d’arriver à une « finlandisation » de l’Ukraine, c’est-à-dire un état neutre n’ayant pas pour vocation d’entrer à l’OTAN. Cette assurance doit s’accompagner d’un changement de regard sur la Russie. Cette dernière n’est pas attachée à l’Ukraine pour des raisons économiques ou géopolitiques. Elle y est attachée parce que l’Ukraine est le berceau de sa civilisation. C’est à Kiev que fut baptisé le prince Vladimir en 988, date qui fut constitutive de l’identité orthodoxe de la Russie. De même l’Ukraine est le pont reliant la Russie et l’Europe occidentale. C’est à travers l’Ukraine que la Russie peut se sentir pleinement européenne ce à quoi elle aspire depuis Pierre Le Grand. L’élection de Trump pourrait donc représenter une chance de recréer cette « maison commune européenne » que Mitterrand et Gorbatchev avait esquissé en leur temps.

L’Ukraine n’est donc pas un sujet mineur pour l’Europe, la Russie et les Etats-Unis. Obnubilés par la formation d’un bloc eurasiatique suffisamment fort pour contester son hégémonie, les Etats-Unis mène une politique de Roll Back (refoulement) de la Russie toujours plus vers l’Est. L’Ukraine fut le champ d’expérimentation de cette politique. C’était sans compter sur la détermination russe de conserver son influence dans son « étranger proche » d’autant plus que l’Ukraine est constitutive de son identité. L’Europe quant à elle prouve encore une fois son incapacité stratégique et son inculture historique. A la remorque des américains, elle tombe dans le piège d’une poutinophobie qui masque mal sa russophobie dont le journaliste suisse Guy Mettan (3) montrait qu’elle était la suite d’une guerre de 1000 ans entre l’Occident et la Russie. La Russie n’est ni l’ennemi des français ni des européens, il serait grand temps de le comprendre !

(1) Zbigniew Brzezinski , Le grand échiquier, L’Amérique et le reste du monde, Pluriel, 1997

(2) Jean-Pierre Chevènement, Un défi de civilisation, La seule stratégie pour la France, Fayard, 2016

(3) Guy Mettan, Russie-Occident, une guerre de mille ans : La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne, Des Syrtes Eds, 2015

Autres conseils de lecture sur ce sujet :

Hervé Juvin, Le mur de l’Ouest n’est pas tombé, PIERRE-GUILLAUME DE ROUX, 2015

La Russie et l’Occident: l’impossible réconciliation?

La Russie et l’Occident: l’impossible réconciliation?

Depuis son accession au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine n’a jamais autant pesé sur l’échiquier mondial. Au fait de sa gloire, il continue pourtant à subir des campagnes de dénigrement dans la presse au point qu’il fait figure de repoussoir chez les élites occidentales. Punie par les sanctions économiques, la Russie se voit sans cesse rabaissée, voire véritablement ostracisée par l’Occident.

Quelles sont les raisons de la rupture entre la Russie et l’Occident ? Peut-on envisager une réconciliation entre ces deux mondes ?

Je débuterai d’abord par l’étude des conditions historiques qui ont poussé à la rupture. Je m’intéresserai ensuite aux sources des tensions actuelles avant d’expliquer pourquoi nous avons besoin d’un partenariat durable avec les russes.

 Une guerre de 1000 ans : aux origines historiques de la rupture

Pour expliquer l’incompréhension actuelle entre la Russie et l’Occident, il nous faut replonger dans une histoire conflictuelle entre l’Orient et l’Occident émaillée de controverses religieuses et diplomatiques. Fernand Braudel avait longtemps insisté sur le temps long  en ajoutant que tout instant présent ne peut se comprendre qu’encré dans une certaine histoire : « Les événements retentissants ne sont souvent que des instants, que des manifestations de ces larges destins et ne s’expliquent que par eux ». Ainsi, nous ne pouvons pas comprendre les tensions actuelles sans revenir à cette histoire millénaire entre le monde russe et le monde occidental. Je distinguerai 3 périodes historiques qui ont profondément divisé ces deux mondes : l’ère byzantine, la période impériale et la période communiste.

Tout d’abord, l’ère byzantine commence avec le baptême du prince Vladimir à Kiev en 988. En se convertissant au christianisme orthodoxe, ce souverain de la Rus’ de Kiev inscrit durablement son pays dans la civilisation byzantine. Ce choix fait suite à une véritable guerre de séduction entre l’église romaine et l’église de Constantinople, les slaves de l’Ouest, polonais, tchèques et slovaques choisissant la ville de Romulus. Or, en 1054 se produit une querelle religieuse qui a rendu insurmontable la division entre chrétiens occidentaux et orientaux. Cette querelle repose sur la question du Filioque, c’est-à-dire la conception de la trinité chrétienne, les byzantins présentant le Filioque romain comme une rupture de l’égalité entre le père, le fils et le Saint-Esprit. Ce conflit symbolise surtout une rivalité politique entre l’empereur romain d’orient et l’évêque de Rome. Cette rupture marque le début d’un long conflit qui a eu deux grandes conséquences sur la culture russe. La première provient de l’aversion des chrétiens occidentaux vis-à-vis de « l’hérésie orthodoxe ». C’est au nom de l’église romaine que sont lancées les expéditions des chevaliers teutoniques qui pillent une partie de la Russie et envahissent les Etats baltes. De même, c’est dans cette logique  que peuvent se comprendre le sac de Constantinople (1204) et l’abandon de la ville au sultan turc  Mehmet II en 1453, laissant ce dernier massacrer la population civile. Ces événements ont joué un grand rôle dans la culture russe puisqu’ils vont imprimer l’idée d’un Occident menaçant, ne souhaitant que détruire la civilisation byzantine et imposer sa propre culture. De plus, après la prise de Constantinople par les turcs, la Russie s’est considérée comme la garante de l’héritage byzantin et du christianisme orthodoxe. Moscou est devenue le centre de l’orthodoxie. Comme écrivait le moine Philothée au tsar Basile II « Deux Rome sont tombées, mais la troisième (Moscou) est debout et il n’y en aura pas de quatrième ». Les souverains de Russie prennent le nom de Tsar qui provient du mot César ce qui prouve la volonté de légitimer la filiation historique avec l’Empire Romain. Les lois contre la propagande homosexuelle et l’alliance actuelle entre le pouvoir russe et l’église orthodoxe  ne peuvent se comprendre qu’à l’aune de cette mission historique de la Russie.

La deuxième période historique fondamentale pour comprendre la rupture entre l’Occident et le monde russe est la période impériale qui commence avec Pierre le grand au début du 18ème siècle. Ce tsar a souhaité marquer le retour de la Russie dans la civilisation européenne. Fasciné par Louis XIV, il fonda la ville de St-Pétersbourg au bord de la mer Baltique, il a introduit la pensée occidentale, les arts et fit entrer des philosophes comme Diderot à sa cour. Au niveau économique, la Russie amorce une modernisation sans précédente principalement dans les grandes villes avec l’aide de travailleurs étrangers venus apporter leur savoir-faire. Cependant, la Russie manque des débouchés nécessaires à l’expansion de son industrie. Pour mener à bien son accès au commerce mondial, elle cherche à atteindre les « mers chaudes », lieux où se déroulent les échanges mondiaux. Dans ce but, les russes vont rentrer dans un processus de conquête impériale. La Crimée et les pourtours de la Mer Noire sont conquis sous le règne de Catherine II à la fin du 18ème siècle. L’empire russe s’accroît de Varsovie à Vladivostok en passant par Tachkent. Cette logique impériale entre en contradiction avec les logiques impériales de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne. La France, tout d’abord, sous Napoléon, a tenté d’envahir l’immense Russie, prenant Moscou avant d’être vaincue par l’alliance du cosaque et du Moujik (paysan) russes héroïsés par Tolstoï dans Guerre et paix. La Grande-Bretagne, puissance maritime et financière, ensuite, a toujours combattu l’instauration d’une puissance hégémonique sur le continent européen qui menacerait ses intérêts commerciaux. Alliés des russes pour vaincre la puissance Napoléonienne, les britanniques vont s’allier avec la France pour contenir la poussé impériale russe en Asie et en Europe. La guerre de Crimée de 1853 à 1856 et le siège de Sébastopol ont été le paroxysme de ce « grand jeu » russo-britannique. Enfin, l’Allemagne, dès sa réunification en 1871, a vu la Russie comme un immense espace à peupler et à exploiter dans le but d’assouvir ses besoins grandissants en ressources naturelles. Friedrich Ratzel inventa le terme de Lebensraum (espace vital) pour décrire cet espace russe sous-peuplé dont Hitler reprendra la thématique en la transformant en une entreprise raciale. Ces rivalités impériales ne feront qu’exacerber une certaine russophobie de la part des occidentaux.

Enfin, la dernière période historique concerne l’ère soviétique. La révolution d’Octobre 1917 ouvre un nouveau chapitre de conflictualité entre la Russie et l’Occident. Forts d’une espérance révolutionnaire, les soviétiques vont socialiser les moyens de production, liquider la bourgeoisie et collectiviser les terres. Profondément répugnés par la révolution bolchevique, les occidentaux envoient un corps expéditionnaire pour « étouffer  la révolution dans son berceau » comme disait Churchill. De plus, des militaires français et anglais, dont le jeune officier Charles de Gaulle,  arrêtent l’armée rouge devant Varsovie en 1920. Le nazisme, même si on peut douter de son caractère « occidental » a invoqué la défense de l’occident contre « les hordes asiatiques » pour justifier l’anéantissement du « judéo-bolchévisme ». La « grande guerre patriotique » contre l’Allemagne Nazie se soldera par 26 millions de mort côté soviétique, cette véritable « hémorragie soviétique » a profondément marqué la mentalité russe, les soviétiques accusant les occidentaux d’avoir laissé l’URSS se débrouiller seul et de ne pas avoir eu la reconnaissance attendue pour ce sacrifice. La guerre froide qui a suivi a  bâti un véritable mur entre les deux mondes. Plus qu’une frontière physique, le mur de Berlin s’est traduit par une séparation culturelle, économique et diplomatique qui imprègne encore de manière importante la représentation que chaque monde porte sur l’autre.

La guerre de 1000 ans que se livre l’occident et la Russie est un élément structurant d’une méfiance, voir même d’une hostilité qui pèse encore durablement dans la manière que les occidentaux et russes se perçoivent. Elle encre durablement la perception qu’ont les russes d’être une « forteresse assiégée », constamment menacée  par ses voisins.

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Les raisons des tensions actuelles

La Russie et l’Occident s’étant combattu depuis 1000 ans, l’effondrement de l’URSS allait, pensait-on, mettre fin à ce conflit millénaire. Francis Fukuyama parlant même de « fin de l’histoire ». L’histoire étant tragique, sa fin allait signifier l’avènement d’une humanité enfin réconciliée par les valeurs universelles de la démocratie et du libéralisme. Las, cette théorie s’est avérée être un vieux pieu. Non seulement la fin de la guerre froide n’a pas signifié l’abolition de la guerre mais elle n’a fait que redessiner une nouvelle ère de conflictualité entre les russes et les occidentaux. Je m’intéresserai à trois causes majeures de conflit actuel entre les deux mondes : l’humiliation post-soviétique, l’opposition de deux doctrines en matière de politique internationale et  la différence profonde de conception de la société.

La première source de tension provient de l’humiliation qu’a subie la Russie après la guerre froide. Comme le disait Andrei Kozyrev, ancien ministre des affaires étrangères russe, « deux choses tueront l’expérience démocratique en Russie, une catastrophe économique majeure et l’élargissement de l’OTAN ». C’est en effet, par le biais de ces deux facteurs que s’est construit un sentiment d’humiliation et d’ingratitude qui marque profondément les élites russes. L’URSS, il faut le souligner, s’est effondrée sans verser une seule goutte de sang, élément unique dans l’histoire des empires. Appauvris durablement par le marxisme-léninisme, les Russes étaient enclins à se tourner vers le « monde libre » et à adopter l’économie de marché. Sous la présidence de Boris Eltsine, les institutions internationales comme le FMI ou la banque mondiale vont adopter la « thérapie de choc libérale » qui vise à mettre en œuvre des « réformes structurelles » inspirées du « consensus de Washington ». Véritable champ d’expérimentation du néo-libéralisme, la Russie s’est transformée en un « far-West » marchand où des entrepreneurs sans scrupules  vont piller les richesses du peuple russe. Cette expérience libérale va se solder par ce que Stiglitz appelle « la grande désillusion ». L’économie russe s’est effondrée de 7,5% par an en une décennie. L’hyperinflation a ruiné les classes moyennes. Le taux de pauvreté a été multiplié par 4 et l’espérance de vie des hommes a décru de 7 ans sur cette même période. Ce traumatisme économique sera en grande partie, à raison, attribué aux occidentaux notamment aux élites économiques américaines. Affaiblie au niveau économique, la Russie l’a été toute autant au niveau géopolitique. Trahissant la promesse que le chancelier Kohl a faite à Gorbatchev de ne pas étendre l’OTAN au-delà de l’ancien rideau de fer, les américains ont considérablement élargi le pacte atlantique en intégrant sept pays de l’est dont la Pologne en 2004. A chaque fois, ces pays avaient adhéré au préalable à l’Union Européenne forgeant dans les consciences russes l’idée que l’élargissement de l’UE et de l’OTAN sont les deux faces d’une même pièce. De plus, l’implication d’ONG occidentales dans les « révolutions de couleur » en Géorgie et en Ukraine a fait prendre conscience au Kremlin que certains courants néo-conservateurs américains avaient pour objectif de repousser l’influence russe toujours plus vers l’Est. Zbigniew Brzeziński, ancien secrétaire d’état de Jimmy Carter et qui garde une influence considérable dans les milieux politiques à Washington, a publié en 1997 Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde dans lequel il expose sa vision de la Russie. Supposant que « l’Eurasie reste l’échiquier sur lequel se déroule la lutte pour la primauté mondiale », il préconise la séparation durable entre l’Ukraine et la Russie : « Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. […] L’Ukraine constitue l’enjeu essentiel ». La révolution du « Maidan » en 2014 semblait corroborer sa thèse. Après une série de manifestations populaires, essentiellement dans l’Ouest nationaliste et à Kiev, un accord a été trouvé entre le président Ianoukovytch et l’opposition sous l’égide du triangle de Weimar incluant l’Allemagne, la Pologne et la France. Cet accord a été rendu caduc dès le lendemain par la destitution du président ukrainien en violation de toutes les conventions internationales. Les Etats-Unis ont réussi habilement à contourner l’accord et ont imposé l’antirusse Arseni Iatseniouk comme premier ministre. Cependant, le vrai tournant du conflit apparait lorsque la Rada, le parlement Ukrainien, propose de supprimer le Russe comme langue officielle. Les Oblasts du Donbass se révoltent alors entrainant le pays dans une guerre civile, une « proxy war » (guerre par procuration) entre l’Occident et la Russie. Ce genre de conflit traduit la volonté du Kremlin de protéger les 20 millions de russes vivant dispersés en ex-URSS (hors Russie). Il est donc clair que le conflit millénaire entre la Russie et l’Occident a été revigoré depuis 1991 au détriment de l’ours russe. Contrairement aux temps de la guerre froide où les soviétiques étaient à deux heures de Strasbourg, aujourd’hui ce sont les avant-postes de l’OTAN dans les pays baltes qui se retrouvent à deux heures de St-Petersbourg. La politique de Vladimir Poutine est donc davantage une défense de son « étranger proche » (glacis défensif) et de ses propres zones d’influence qu’une tentative de restauration impériale. Sa popularité vient en grande partie qu’il a su redresser l’économie et redonner à la Russie son statut de puissance géopolitique.

La seconde source de conflit repose sur une conception opposée du droit international. En effet, l’Occident considère un traité comme une étape provisoire pouvant être modifiée au gré des intérêts, des lobbies et des modes intellectuelles. Comme disait Guy Mettan « le droit, pour les occidentaux, est moins une affaire de principes que d’évolution de la jurisprudence ». Forts de ce principe, les occidentaux ont outrepassé plusieurs fois le droit international dans le cadre d’intervention humanitaire servant souvent de masque au « messianisme occidental ». Les cas irakiens, libyens, et le bombardement de la Serbie ont été les conséquences logiques de cette vision des affaires internationales. Contrairement aux occidentaux, les russes considèrent le droit international comme intangible. Ils appliquent le vieil adage « Rex imperator in regno suo » (le roi est empereur en son royaume). Ce principe est au cœur de la non-ingérence chère aux dirigeants russes. Le cas de la Syrie, où la Russie bloque toute résolution, est à cet égard exemplaire de cette opposition de conception du droit international. Enfin, dans ce cadre, la question des frontières est essentielle pour les russes. Contrairement aux européens qui considèrent les frontières comme dépassées, les russes, du fait de leur histoire marquée par des invasions (mongoles, suédoises, polonaises), des exodes et des conquêtes voient l’intangibilité d’une frontière comme une condition même de la stabilité de l’Etat. Ces différences sont en cœur de l’incompréhension mutuelle entre les deux mondes.

Enfin, la dernière cause de conflictualité est déterminée par une perception culturelle négative que chacun porte sur l’autre. En effet, l’Occident est caractérisé par une société civile très présente et qui influence fortement la politique. Le concept de « res publica » s’est imposé dans la pensée occidentale dès le 16ème siècle d’abord dans les cité-états italiennes puis en France après la publication des six livres de la république de Jean Bodin. En Russie, on trouve des traces de cette pensée comme à Novgorod mais elle a été dépassée par la conception d’un Etat fort et incontesté. Constamment menacée dans son existence, la Russie s’est construite par un état centralisé, pilotant l’activité, prenant seul les décisions. En cela, la culture politique russe est proche de la culture française. Certains auteurs y voient une réminiscence de la domination mongole (la horde d’or) entre le 13ème et le 16ème siècle. Néanmoins, c’est davantage le servage qui est responsable de l’absence de société civile. Alors que le servage était en voie de disparition en Occident, il a été institutionnalisé comme politique d’Etat par Pierre Le Grand et Catherine II souhaitant acheter la loyauté de l’aristocratie terrienne. Finalement aboli en 1861, le servage a conduit à la soumission de la société vis-à-vis de l’Etat. Ainsi, le pouvoir russe actuel ressemble davantage à un « démocratie plébiscitaire » qu’à une conception occidentale de la démocratie vue comme la séparation des pouvoirs et la défense des droits individuels. Les raccourcis permanents sur « l’autocrate Poutine » ne font qu’exprimer une différence culturelle de perception du pouvoir politique. En plus de ces différences d’ordre politique, on peut mettre en avant le fait que les élites russes se considèrent comme les défenseurs de la civilisation chrétienne. Ce point est extrêmement important et est constamment oublié dans les articles sur la Russie. En effet, la civilisation occidentale matérialiste, individualiste et sécularisée s’est toujours vue comme la civilisation supérieure, celle du « progrès ». Or, les russes considèrent que l’Occident a atteint la phase de la décadence de sa civilisation. Un ministre russe avait même qualifié la victoire à l’eurovision du transgenre Conchita Wurst comme symbole du « déclin irréversible de l’occident ». La littérature russe abonde d’auteurs, de Pouchkine à Soljenitsyne en passant par Dostoïevski et Gorki, faisant l’apologie de l’âme russe considérée comme la plus authentique car elle n’est pas souillée par la modernité occidentale. A l’homme occidental matérialiste, égoïste et ayant perdu tout esprit de patriotisme, les auteurs russes opposent la sacralité de la terre et l’infinie supériorité spirituelle du peuple russe. Comme l’écrivait Dostoïevski : « En Occident, on a perdu le Christ et c’est pourquoi l’Occident est en décadence, uniquement pour cela. L’idéal a été modifié et comme cela est clair ! ». De ce fait, la littérature a joué un rôle primordial pour marquer une nette séparation entre la culture russe et la culture occidentale.

Ainsi, loin d’avoir mis fin au conflit millénaire opposant la Russie et l’Occident, la disparition de l’URSS s’est traduite par des divergences profondes tant du point de vue politique et diplomatique que du point de vue des « valeurs » entre ces deux blocs.

guerre russie-occident

Une réconciliation est-elle dès lors envisageable ?

Le conflit millénaire entre la Russie et l’Occident ne doit pas occulter le fait que les occidentaux, et surtout les européens ont besoin d’une forme de réconciliation avec le géant russe. En effet, dans des domaines aussi variés que l’économie, la géopolitique et la lutte contre l’islamisme, la Russie n’apparait plus comme un problème mais comme une solution au défi du monde.

En termes d’économie, la Russie connaît une crise importante qui s’est traduite par une récession de l’ordre de 3% l’année dernière. Cette chute s’explique par la baisse du prix du pétrole atteignant à peine les 40 dollars sur les marchés. Cette baisse est d’autant plus problématique que les exportations de matière première représentent 50% du budget russe. Pour équilibrer son budget, le baril de brut devra atteindre les 100 dollars. Cependant, cette baisse des prix m’apparait comme passagère car elle est davantage le fait du conflit entre l’Arabie Saoudite et l’Iran que comme un affaiblissement durable de la croissance mondiale. A long terme, les saoudiens ne pourront maintenir un prix aussi bas sous peine d’une grave crise politique. C’est pourquoi, il est fort probable que les prix remonteront ce qui va permettre à la Russie de renouer avec la croissance. Dans cette perspective, l’économie européenne a beaucoup à gagner des relations commerciales avec son voisin de l’Est. Au niveau intérieur, la Russie s’est dotée d’une classe moyenne importante lors des années 2000, période où la croissance atteignait jusqu’à 8% par an créant ainsi un marché attrayant de nouveaux consommateurs. C’est principalement dans les domaines de l’agroalimentaire et de la construction que les perspectives sont les plus alléchantes. Les russes en effet sont des grands consommateurs de porc européen et des marques comme Bonduelle ou Nestlé sont incontournables en Russie. Les sanctions agricoles  prises suite au conflit ukrainien sont en cela catastrophiques pour l’agriculture européenne. De même, la Russie a un besoin urgent de moderniser ses infrastructures. Du fait de l’immensité du territoire, des entreprises comme la SNCF, Vinci ou encore Alstom pourront remplir leur carnet de commande pendant des années et ainsi s’assurer de rentrées financières conséquentes. En plus d’être attrayant sur le plan des perspectives financières, un partenariat économique durable avec la Russie permettrait de s’assurer un approvisionnement énergétique stable et fiable. Les gazoducs et les oléoducs étant tournés vers l’Europe depuis l’ère soviétique, l’union européenne dépend à 40% de l’énergie russe ce qui fait de la Russie son premier fournisseur en gaz. Vladimir Poutine a d’ailleurs souvent utilisé l’arme énergétique pour rappeler à l’Europe qu’économiquement elle ne peut pas se passer de la Russie.

De plus, au niveau géopolitique, comme le disait Brzeziński, « le nouveau défi du monde n’est plus l’hégémonie mais le désordre ». Dans ce cadre, la Russie est un acteur incontournable pour la stabilité internationale. Les Etats-Unis sont en effet en retrait depuis l’élection d’Obama. Adoptant, la stratégie du « Leading from behind », Obama a fait « pivoter »  son dispositif militaire vers l’Asie, se désintéressant de l’Europe et du Moyen-Orient. La Chine est obnubilée par les tensions avec le japon et par sa propre stabilité intérieure. Quant à l’Europe, gouvernée par l’économie et le droit, elle a abandonné toute politique de puissance. La Russie a donc une chance historique d’assurer une certaine forme de leadership. La crise syrienne a illustré ce nouveau rôle de la Russie. Défendant le régime des Assad face à des rebelles, pour la plupart d’entre eux islamistes, Poutine est intervenue directement en envoyant des « spetsnaz » (forces spéciales) et en appuyant par des bombardements aériens l’offensive de l’armée syrienne depuis le 30 septembre 2015. Ce sont les russes qui ont sauvé le régime en passe de s’effondrer après la perte de la province d’Idlib. Les islamistes étaient alors à quelques dizaines de kilomètre de la base navale de Tartous, la dernière base russe en Méditerranée. Fort de la prise de Palmyre et d’Alep par l’armée syrienne, Poutine est devenu l’homme incontournable pour la résolution du conflit. De fait, aucune décision concernant la Syrie ne peut se prendre sans lui. La crise dans le Levant permet également d’envisager un rapprochement des occidentaux avec la Russie pour combattre l’islamisme. En effet, contrairement à certains clichés, les russes ont été les premiers touchés par la montée en puissance de l’islam radicale. Dès la première guerre de Tchétchénie entre 1994 et 1996, les soldats russes ont été confrontés à des « katibas » islamistes. Les attentats  qui ont suivi la seconde guerre de Tchétchénie (Théâtre de Moscou, Beslan) n’ont été que le prélude d’un nouveau « choc des civilisations » décrit par Huntington. Douze ans après Beslan, un commando islamiste décimait la jeunesse parisienne faisant 130 morts. L’islamisme se veut comme une réponse au déclassement du monde musulman depuis plusieurs siècles rendu d’autant plus insupportable que l’Islam est la religion qui est censée parachever le Judaïsme et le Christianisme. La Russie a été la première à y faire face et l’a combattu plutôt efficacement. D’ailleurs, Poutine a toujours répondu favorablement à une alliance mondiale contre l’islamisme, tendant la main à Bush après le 11 Septembre et à Hollande après le 13 Novembre. Le candidat républicain Donald Trump s’est dit lui aussi favorable à une alliance avec le Kremlin pour anéantir Daech. Il faut dire aussi que la stratégie russe en Syrie a conduit à de biens meilleurs résultats dans la lutte contre l’Etat islamique en quelques mois qu’en deux ans de bombardements occidentaux. C’est devant cet ennemi commun que surgit la nécessité d’un partenariat stratégique durable entre la Russie et l’Occident.

 

poutine et l'armée

De l’Orient contre l’Occident, de Byzance contre Rome,  d’Alexandre contre Napoléon, De Brejnev contre Nixon, de Poutine contre Obama, la relation entre la Russie et l’Occident a été émaillé de nombreux conflits au point que l’on peut parler d’une guerre de 1000 ans. Les tensions actuelles portant sur l’élargissement de l’OTAN et l’interventionnisme militaire occidental ne font que prolonger ce conflit millénaire. Il est nourri également par des différences majeures de mode de sociétés abondamment décrites, voire caricaturées dans la littérature occidentale et russe.  Cependant, les liens économiques et surtout l’émergence d’un ennemi commun permettent d’envisager une réconciliation entre les deux mondes. Après tout, sans la Russie, la France n’aurait pas vaincu les armées du Kaiser en 1918 et sans Staline, le nazisme n’aurait pas pu être défait. Poutine est prêt à tendre la main. L’Occident voudra-t-il la saisir ?

 

 

 Pour en savoir plus:

Interview de Mathieu Slama pour le Figaro  à propos de son ouvrage La guerre des mondes: http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/05/20/31001-20160520ARTFIG00372-mathieu-slama-il-y-a-du-soljenitsyne-dans-le-discours-de-poutine.php

Russie-Occident, une guerre de mille ans: La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne de Guy Mettan

Discours de Soljenitsyne devant les étudiants de Harvard: http://plunkett.hautetfort.com/archive/2008/08/04/adieu-alexandre-issaievitch.html