La déchéance du monarque républicain

La déchéance du monarque républicain

Critiqué, bousculé, hué parfois, François Hollande n’en a pas fini d’attirer les sarcasmes des médias toujours en quête d’un exutoire commode sur lequel se défouler. Il n’en a pas fini également de s’attirer la défiance des français excédés par la désinvolture du président rendue d’autant plus suspecte par le degré d’amateurisme qui règne à l’Elysée. La cacophonie au plus haut sommet de l’Etat ne fait que renforcer une dérive insidieuse, lente mais pour le moins perceptible, d’abaissement de la fonction présidentielle. Depuis De Gaulle, l’un après l’autre, tous les présidents ont sapé les fondements sur lesquels s’étaient fondés le prestige et la légitimité du pouvoir présidentiel. « L’abîme appelle l’abîme » nous disait déjà le roi David. Or, comment ne pas être frappé par l’attachement des français à ce concentré improbable de républicanisme et de monarchisme que représente la fonction présidentielle ? Certains à gauche, de Montebourg à Mélenchon, voudraient se débarrasser du « monarque républicain » pour faire advenir une VIème république qu’ils appellent de leurs vœux. Ces appels sont néanmoins marginaux et ne sont pas en phase avec la majorité des français. C’est que le « monarque républicain », loin d’être une invention moderne, trouve sa source dans une tradition historique et culturelle fortement enracinée auprès des français.

Quels sont les fondements historiques de la « monarchie républicaine » ? Pourquoi fait-elle l’objet d’un abaissement général depuis 40 ans ?

Sur ce type de sujet, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur les « temps longs » de l’histoire que Fernand Braudel nous invitait à nous replonger si l’on souhaite comprendre la psychologie d’un peuple. Il nous faudra donc remonter le temps, des bouleversements de la Monarchie absolue et de la Révolution jusqu’à la restauration gaulliste, pour saisir la conception française du pouvoir et les raisons mêmes de son ébranlement ces dernières années.

La représentation du pouvoir en France

Le pouvoir en France a toujours revêtu d’une considération particulière tant il est le fruit d’un double héritage monarchique et révolutionnaire. Pour les français la fonction présidentielle repose sur trois piliers essentiels :  la verticalité du pouvoir, le service de l’Etat et du bien commun et l’alliance avec le peuple.

Le premier pilier, la verticale du pouvoir, est une notion qui remonte aux temps de l’absolutisme. L’autorité du souverain se fonde moins sur la force régalienne que sur le prestige inhérent lié à la personne du roi. Tout le génie de Louis XIV sera de mettre en scène son pouvoir de manière à lui conférer une légitimité supérieure aux autres, celle de « père de la nation ». Les rois seront donc cette autorité sacrée surplombant l’ensemble de leurs sujets. Si de nos jours, personne n’attend qu’on se prosterne devant le président de la république, la dimension symbolique du prestige de la fonction reste d’actualité. Aucun président ne peut faire l’économie d’une certaine supériorité intellectuelle et morale, une certaine hauteur de vue, sous peine de perdre le respect des français et ainsi de voir son pouvoir délégitimé. De Gaulle disait à ce propos : « L’autorité ne va pas sans le prestige, ni le prestige sans l’éloignement. »  Sans cette verticalité, le pouvoir cesse d’être crédible.

Le second pilier du pouvoir présidentiel ou monarchique a trait au service de l’Etat et du bien commun. Louis XIV, sur son lit de mort, disait « Je meurs mais l’Etat demeurera toujours ». Cette phrase prononcée par l’apôtre de la monarchie absolue n’est pas anodine car elle montre que le prince est au service d’une idée qui le transcende et le dépasse. Ce fut au fond la victoire de l’héritage de la culture gréco-romaine dans laquelle le pouvoir est l’affaire de tous, cette « Respublica » qui est moins un régime politique qu’une référence à un Etat gouverné en fonction du bien commun, et ce au détriment de la tradition franque pour qui le pouvoir n’est que le patrimoine d’une oligarchie. Les français exigent donc du président une forme de sacrifice de sa personne pour accomplir l’intérêt général. Le président doit s’incliner devant ce « bien commun toujours plus divin que celui de l’individu » selon la formule de Saint Thomas d’Aquin. Le pouvoir exige donc une forme d’ascèse et de renoncement.

Le dernier pilier du pouvoir découle naturellement de cette recherche du bien commun. Or, qui d’autre est mieux placé pour définir le bien commun que le peuple lui-même ? L’exigence d’un lien direct entre le peuple, ce que Tocqueville nommait « l’opinion publique », et le prince fut la grande question du 18ème siècle aboutissant in fine à la révolution française. Rousseau voyait déjà la contradiction entre la volonté populaire et le fait que celle-ci, privilège du roi oblige, n’est pas en mesure d’être représentée au plus haut sommet de l’Etat. La révolution française sera le grand moment de cristallisation ou s’opère le transfert de souveraineté du roi au peuple. Pourtant, la « volonté générale » du peuple souverain bute sur une culture issue de l’ancien régime pour laquelle le pouvoir ne se délègue pas, il s’incarne. Cette tension, entre « d’un côté le culte d’une autorité anonyme et désincarnée et de l’autre côté le besoin récurrent de voir cette autorité s’incarner dans une personne afin de lui donner toute sa force » (Gauchet), sera au cœur d’un conflit long de 150 ans entre républicains et bonapartistes ou monarchistes. Il faudra l’arrivée au pouvoir du général De Gaulle pour mettre fin à la guerre civile. Par la même, il affirme le double principe républicain, celle d’une souveraineté une et indivisible des citoyens, et monarchique, celle par laquelle la personne du président est l’instrument de cette souveraineté. La Vème république va ainsi ancrer dans le marbre le pouvoir d’un exécutif fort responsable de sa politique devant les français. Cette « alliance naturelle du peuple avec le prince » qu’avait théorisé Mirabeau fut renforcée par l’éléction au suffrage universel direct et le recours au référendum.

Verticalité du pouvoir, service du bien commun et l’alliance avec le peuple sont donc les trois socles qui fondent la légitimité du pouvoir. De Gaulle fut celui qui mit fin aux républiques instables et sans chef afin de rétablir la tradition monarchique du pouvoir tout en prenant soin de ne pas rompre avec l’héritage républicain. Cette « restauration » gaulliste fut pourtant petit à petit vidée de sa substance pour ne laisser transparaître qu’un pouvoir sapé de toute autorité et légitimité, en somme, un pouvoir factice.

L’abaissement continu de la fonction présidentielle

Si Georges Pompidou n’avait ni le charisme ni la vision historique de De Gaulle, il n’en fut pas moins à la hauteur de ce que les français attendent de leur chef de l’Etat. C’est à partir de la présidence Giscard que les digues censées protéger le prestige présidentiel vont s’effondrer les unes après les autres provoquant par la même un malaise patent des français vis-à-vis du pouvoir et de celui qui l’incarne.

Deux faits majeurs vont bouleverser le rapport au pouvoir à la fin des années 60 et dans les années 70. D’une part, les « mass-media », et principalement la télévision, vont transformer en profondeur la manière d’exercer le pouvoir. D’autre part, la révolution anthropologique libérale-libertaire des radical sixties dont Mai 68 fut la traduction française, en décrédibilisant toute forme d’autorité ne fera qu’affaiblir la stature présidentielle. Ces deux phénomènes s’emboîtent parfaitement, l’un n’étant que l’instrument de l’autre. Ainsi c’est pour combler son manque d’autorité que Giscard se refugiera à la manière de Kennedy dans l’usage intensif de la mise en scène médiatique. Par la même, le président rompt avec la verticalité du pouvoir et cherche au contraire à se fondre dans la société. Au fond, c’est tout le prestige de la fonction présidentielle qui est réduit à néant. Hollande commettra la même erreur avec sa « présidence normale ». Sarkozy fut quant à lui le maître de l’illusion médiatique masquant son impuissance par une omniprésidence médiatique. Avec lui, le verbe a remplacé l’action. La fonction présidentielle a donc perdu cette distance nécessaire sur laquelle elle fonde sa légitimité. Autrefois, « gouverner c’était prévoir » selon De Gaulle, aujourd’hui, gouverner c’est paraître.

En ce qui concerne le service de l’Etat et du bien commun, les présidents post-gaullistes vont également dissoudre l’héritage de « l’homme du 18 juin ». Les diamants de Bokassa, l’affaire des écoutes de Mitterrand puis les affaires judiciaires de Jacques Chirac vont écorner l’exemplarité présidentielle. Une étape supplémentaire a été franchie lorsque l’ex-président Sarkozy a été mis en examen pour trafic d’influence le 30 juin 2014. A travers ces affaires, les français découvrent qu’au lieu d’être au service du bien commun, c’est de plus en plus l’Etat qui est au service du souverain. A l’heure de l’individu tout-puissant dénué de sens commun, les présidents n’ont fait en réalité que suivre le mouvement faisant du service de l’Etat une corvée bonne à jeter dans les poubelles de l’histoire.

Enfin, l’alliance du président avec le peuple est elle aussi remise en question. Depuis les années 80, nous assistons en effet à l’émergence d’une post-démocratie qui de la démocratie en « usurpe l’appellation et n’en respecte que les apparences » selon la formule de Patrick Buisson. L’abandon de la souveraineté opéré par Mitterrand lors du traité de Maastricht en 1992 au profit d’institutions non démocratiques comme la commission européenne ou la BCE, sera poursuivie avec zèle par ses successeurs. C’est même sous Chirac, Sarkozy et Hollande que la souveraineté, ou ce qu’il en reste, se verra grignoter d’un côté par un pouvoir judiciaire de plus en plus puissant et de l’autre côté par un pouvoir médiatique imposant aux politiques son conformisme idéologique. Privés des leviers de décision, les présidents de la république ont vu l’essentiel des attributs du pouvoir leur échapper. L’agitation médiatique ne fait donc plus illusion, la gouvernance s’est substituée au gouvernement.

Dévêtue de ses principaux attributs, la fonction présidentielle connaît une crise profonde de légitimité démocratique. Hormis l’élection présidentielle, les élections intermédiaires sont marquées par une très faible participation. Lors des élections législatives de 2012, près de 50% des électeurs s’étaient abstenus à quoi il faut rajouter les 3,5 millions de français non-inscrits sur les listes électorales. De fait, la majorité présidentielle issue des législatives de 2012 ne représente qu’un électeur sur six. De plus, les présidents sont moins élus sur leur programme que contre le programme du concurrent. L’antisarkozysme fut de cette façon le vrai moteur de l’élection de François Hollande. Pour contrer cette rupture entre le peuple et son représentant suprême, De Gaulle avait inventé le recours au référendum populaire. Or, cet instrument fut sans cesse dévalorisé par la classe politique spécialement depuis le référendum européen de 2005. Pire, le résultat de cette consultation fut volontairement escamoté par Sarkozy en 2007 créant un sentiment de trahison du président vis-à-vis de son peuple. Hollande ne fera que renforcer ce sentiment au point d’atteindre une impopularité record. Le refus systématique d’utiliser l’arme du référendum traduit par conséquent la dérive d’un pouvoir de plus en plus coupé de sa propre population, non plus une démocratie mais un Kratos sans Demos.

Absence de verticalité du pouvoir, usage à son profit du pouvoir présidentiel, perte de souveraineté et rupture du président avec son peuple, voilà les clés pour comprendre la crise de la fonction présidentielle. Patrick Buisson nous avait prévenu de la difficulté de la tâche : « La métamorphose (présidentielle), réussie, combine présence et distance, proximité et verticalité ; ratée, elle oscille entre ces deux pôles de désacralisation que sont l’exhibition de la personne et la vulgarisation de la fonction. » On pourrait croire que le rôle du « monarque républicain » est obsolète à l’heure de la culture du narcissisme et de l’exhibitionnisme si bien décrit par Christopher Lasch. Pourtant, il est clair pour ma part que le « monarque républicain » fait partie intégrante de la culture française et de la représentation que les français se font du pouvoir. Vouloir faire advenir une 6ème république ne ferait que ranimer le débat séculaire entre républicains et bonapartistes que De Gaulle avait enterré. De mon point de vue, Mélenchon et Montebourg se trompent de sujets. Le problème n’est pas le pouvoir trop important du président mais au contraire son absence de pouvoir ligoté qu’il est par Bruxelles et par le « pouvoir des juges ». De même, le grand défi politique de notre temps n’est pas de changer les institutions, les français y sont attachés, mais de rétablir le lien entre le pouvoir et l’ensemble des citoyens pour que ces derniers soient de nouveau acteurs de leur propre destin. Au fond, il faut rétablir le peuple français comme sujet politique. Seul le référendum sur les grands sujets (l’immigration, la politique à l’égard de l’Europe, la décentralisation, etc…) qui intéressent les français est en mesure d’y parvenir. Pour l’instant, aux vues des propositions des différents candidats, on est très loin du compte.

Sources-livres utilisés :

La cause du peuple de Patrick Buisson

Comprendre le malheur français de Marcel Gauchet

Un défi de civilisation de Jean-Pierre Chevènement