La Russie et l’Occident: l’impossible réconciliation?

La Russie et l’Occident: l’impossible réconciliation?

Depuis son accession au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine n’a jamais autant pesé sur l’échiquier mondial. Au fait de sa gloire, il continue pourtant à subir des campagnes de dénigrement dans la presse au point qu’il fait figure de repoussoir chez les élites occidentales. Punie par les sanctions économiques, la Russie se voit sans cesse rabaissée, voire véritablement ostracisée par l’Occident.

Quelles sont les raisons de la rupture entre la Russie et l’Occident ? Peut-on envisager une réconciliation entre ces deux mondes ?

Je débuterai d’abord par l’étude des conditions historiques qui ont poussé à la rupture. Je m’intéresserai ensuite aux sources des tensions actuelles avant d’expliquer pourquoi nous avons besoin d’un partenariat durable avec les russes.

 Une guerre de 1000 ans : aux origines historiques de la rupture

Pour expliquer l’incompréhension actuelle entre la Russie et l’Occident, il nous faut replonger dans une histoire conflictuelle entre l’Orient et l’Occident émaillée de controverses religieuses et diplomatiques. Fernand Braudel avait longtemps insisté sur le temps long  en ajoutant que tout instant présent ne peut se comprendre qu’encré dans une certaine histoire : « Les événements retentissants ne sont souvent que des instants, que des manifestations de ces larges destins et ne s’expliquent que par eux ». Ainsi, nous ne pouvons pas comprendre les tensions actuelles sans revenir à cette histoire millénaire entre le monde russe et le monde occidental. Je distinguerai 3 périodes historiques qui ont profondément divisé ces deux mondes : l’ère byzantine, la période impériale et la période communiste.

Tout d’abord, l’ère byzantine commence avec le baptême du prince Vladimir à Kiev en 988. En se convertissant au christianisme orthodoxe, ce souverain de la Rus’ de Kiev inscrit durablement son pays dans la civilisation byzantine. Ce choix fait suite à une véritable guerre de séduction entre l’église romaine et l’église de Constantinople, les slaves de l’Ouest, polonais, tchèques et slovaques choisissant la ville de Romulus. Or, en 1054 se produit une querelle religieuse qui a rendu insurmontable la division entre chrétiens occidentaux et orientaux. Cette querelle repose sur la question du Filioque, c’est-à-dire la conception de la trinité chrétienne, les byzantins présentant le Filioque romain comme une rupture de l’égalité entre le père, le fils et le Saint-Esprit. Ce conflit symbolise surtout une rivalité politique entre l’empereur romain d’orient et l’évêque de Rome. Cette rupture marque le début d’un long conflit qui a eu deux grandes conséquences sur la culture russe. La première provient de l’aversion des chrétiens occidentaux vis-à-vis de « l’hérésie orthodoxe ». C’est au nom de l’église romaine que sont lancées les expéditions des chevaliers teutoniques qui pillent une partie de la Russie et envahissent les Etats baltes. De même, c’est dans cette logique  que peuvent se comprendre le sac de Constantinople (1204) et l’abandon de la ville au sultan turc  Mehmet II en 1453, laissant ce dernier massacrer la population civile. Ces événements ont joué un grand rôle dans la culture russe puisqu’ils vont imprimer l’idée d’un Occident menaçant, ne souhaitant que détruire la civilisation byzantine et imposer sa propre culture. De plus, après la prise de Constantinople par les turcs, la Russie s’est considérée comme la garante de l’héritage byzantin et du christianisme orthodoxe. Moscou est devenue le centre de l’orthodoxie. Comme écrivait le moine Philothée au tsar Basile II « Deux Rome sont tombées, mais la troisième (Moscou) est debout et il n’y en aura pas de quatrième ». Les souverains de Russie prennent le nom de Tsar qui provient du mot César ce qui prouve la volonté de légitimer la filiation historique avec l’Empire Romain. Les lois contre la propagande homosexuelle et l’alliance actuelle entre le pouvoir russe et l’église orthodoxe  ne peuvent se comprendre qu’à l’aune de cette mission historique de la Russie.

La deuxième période historique fondamentale pour comprendre la rupture entre l’Occident et le monde russe est la période impériale qui commence avec Pierre le grand au début du 18ème siècle. Ce tsar a souhaité marquer le retour de la Russie dans la civilisation européenne. Fasciné par Louis XIV, il fonda la ville de St-Pétersbourg au bord de la mer Baltique, il a introduit la pensée occidentale, les arts et fit entrer des philosophes comme Diderot à sa cour. Au niveau économique, la Russie amorce une modernisation sans précédente principalement dans les grandes villes avec l’aide de travailleurs étrangers venus apporter leur savoir-faire. Cependant, la Russie manque des débouchés nécessaires à l’expansion de son industrie. Pour mener à bien son accès au commerce mondial, elle cherche à atteindre les « mers chaudes », lieux où se déroulent les échanges mondiaux. Dans ce but, les russes vont rentrer dans un processus de conquête impériale. La Crimée et les pourtours de la Mer Noire sont conquis sous le règne de Catherine II à la fin du 18ème siècle. L’empire russe s’accroît de Varsovie à Vladivostok en passant par Tachkent. Cette logique impériale entre en contradiction avec les logiques impériales de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne. La France, tout d’abord, sous Napoléon, a tenté d’envahir l’immense Russie, prenant Moscou avant d’être vaincue par l’alliance du cosaque et du Moujik (paysan) russes héroïsés par Tolstoï dans Guerre et paix. La Grande-Bretagne, puissance maritime et financière, ensuite, a toujours combattu l’instauration d’une puissance hégémonique sur le continent européen qui menacerait ses intérêts commerciaux. Alliés des russes pour vaincre la puissance Napoléonienne, les britanniques vont s’allier avec la France pour contenir la poussé impériale russe en Asie et en Europe. La guerre de Crimée de 1853 à 1856 et le siège de Sébastopol ont été le paroxysme de ce « grand jeu » russo-britannique. Enfin, l’Allemagne, dès sa réunification en 1871, a vu la Russie comme un immense espace à peupler et à exploiter dans le but d’assouvir ses besoins grandissants en ressources naturelles. Friedrich Ratzel inventa le terme de Lebensraum (espace vital) pour décrire cet espace russe sous-peuplé dont Hitler reprendra la thématique en la transformant en une entreprise raciale. Ces rivalités impériales ne feront qu’exacerber une certaine russophobie de la part des occidentaux.

Enfin, la dernière période historique concerne l’ère soviétique. La révolution d’Octobre 1917 ouvre un nouveau chapitre de conflictualité entre la Russie et l’Occident. Forts d’une espérance révolutionnaire, les soviétiques vont socialiser les moyens de production, liquider la bourgeoisie et collectiviser les terres. Profondément répugnés par la révolution bolchevique, les occidentaux envoient un corps expéditionnaire pour « étouffer  la révolution dans son berceau » comme disait Churchill. De plus, des militaires français et anglais, dont le jeune officier Charles de Gaulle,  arrêtent l’armée rouge devant Varsovie en 1920. Le nazisme, même si on peut douter de son caractère « occidental » a invoqué la défense de l’occident contre « les hordes asiatiques » pour justifier l’anéantissement du « judéo-bolchévisme ». La « grande guerre patriotique » contre l’Allemagne Nazie se soldera par 26 millions de mort côté soviétique, cette véritable « hémorragie soviétique » a profondément marqué la mentalité russe, les soviétiques accusant les occidentaux d’avoir laissé l’URSS se débrouiller seul et de ne pas avoir eu la reconnaissance attendue pour ce sacrifice. La guerre froide qui a suivi a  bâti un véritable mur entre les deux mondes. Plus qu’une frontière physique, le mur de Berlin s’est traduit par une séparation culturelle, économique et diplomatique qui imprègne encore de manière importante la représentation que chaque monde porte sur l’autre.

La guerre de 1000 ans que se livre l’occident et la Russie est un élément structurant d’une méfiance, voir même d’une hostilité qui pèse encore durablement dans la manière que les occidentaux et russes se perçoivent. Elle encre durablement la perception qu’ont les russes d’être une « forteresse assiégée », constamment menacée  par ses voisins.

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Les raisons des tensions actuelles

La Russie et l’Occident s’étant combattu depuis 1000 ans, l’effondrement de l’URSS allait, pensait-on, mettre fin à ce conflit millénaire. Francis Fukuyama parlant même de « fin de l’histoire ». L’histoire étant tragique, sa fin allait signifier l’avènement d’une humanité enfin réconciliée par les valeurs universelles de la démocratie et du libéralisme. Las, cette théorie s’est avérée être un vieux pieu. Non seulement la fin de la guerre froide n’a pas signifié l’abolition de la guerre mais elle n’a fait que redessiner une nouvelle ère de conflictualité entre les russes et les occidentaux. Je m’intéresserai à trois causes majeures de conflit actuel entre les deux mondes : l’humiliation post-soviétique, l’opposition de deux doctrines en matière de politique internationale et  la différence profonde de conception de la société.

La première source de tension provient de l’humiliation qu’a subie la Russie après la guerre froide. Comme le disait Andrei Kozyrev, ancien ministre des affaires étrangères russe, « deux choses tueront l’expérience démocratique en Russie, une catastrophe économique majeure et l’élargissement de l’OTAN ». C’est en effet, par le biais de ces deux facteurs que s’est construit un sentiment d’humiliation et d’ingratitude qui marque profondément les élites russes. L’URSS, il faut le souligner, s’est effondrée sans verser une seule goutte de sang, élément unique dans l’histoire des empires. Appauvris durablement par le marxisme-léninisme, les Russes étaient enclins à se tourner vers le « monde libre » et à adopter l’économie de marché. Sous la présidence de Boris Eltsine, les institutions internationales comme le FMI ou la banque mondiale vont adopter la « thérapie de choc libérale » qui vise à mettre en œuvre des « réformes structurelles » inspirées du « consensus de Washington ». Véritable champ d’expérimentation du néo-libéralisme, la Russie s’est transformée en un « far-West » marchand où des entrepreneurs sans scrupules  vont piller les richesses du peuple russe. Cette expérience libérale va se solder par ce que Stiglitz appelle « la grande désillusion ». L’économie russe s’est effondrée de 7,5% par an en une décennie. L’hyperinflation a ruiné les classes moyennes. Le taux de pauvreté a été multiplié par 4 et l’espérance de vie des hommes a décru de 7 ans sur cette même période. Ce traumatisme économique sera en grande partie, à raison, attribué aux occidentaux notamment aux élites économiques américaines. Affaiblie au niveau économique, la Russie l’a été toute autant au niveau géopolitique. Trahissant la promesse que le chancelier Kohl a faite à Gorbatchev de ne pas étendre l’OTAN au-delà de l’ancien rideau de fer, les américains ont considérablement élargi le pacte atlantique en intégrant sept pays de l’est dont la Pologne en 2004. A chaque fois, ces pays avaient adhéré au préalable à l’Union Européenne forgeant dans les consciences russes l’idée que l’élargissement de l’UE et de l’OTAN sont les deux faces d’une même pièce. De plus, l’implication d’ONG occidentales dans les « révolutions de couleur » en Géorgie et en Ukraine a fait prendre conscience au Kremlin que certains courants néo-conservateurs américains avaient pour objectif de repousser l’influence russe toujours plus vers l’Est. Zbigniew Brzeziński, ancien secrétaire d’état de Jimmy Carter et qui garde une influence considérable dans les milieux politiques à Washington, a publié en 1997 Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde dans lequel il expose sa vision de la Russie. Supposant que « l’Eurasie reste l’échiquier sur lequel se déroule la lutte pour la primauté mondiale », il préconise la séparation durable entre l’Ukraine et la Russie : « Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. […] L’Ukraine constitue l’enjeu essentiel ». La révolution du « Maidan » en 2014 semblait corroborer sa thèse. Après une série de manifestations populaires, essentiellement dans l’Ouest nationaliste et à Kiev, un accord a été trouvé entre le président Ianoukovytch et l’opposition sous l’égide du triangle de Weimar incluant l’Allemagne, la Pologne et la France. Cet accord a été rendu caduc dès le lendemain par la destitution du président ukrainien en violation de toutes les conventions internationales. Les Etats-Unis ont réussi habilement à contourner l’accord et ont imposé l’antirusse Arseni Iatseniouk comme premier ministre. Cependant, le vrai tournant du conflit apparait lorsque la Rada, le parlement Ukrainien, propose de supprimer le Russe comme langue officielle. Les Oblasts du Donbass se révoltent alors entrainant le pays dans une guerre civile, une « proxy war » (guerre par procuration) entre l’Occident et la Russie. Ce genre de conflit traduit la volonté du Kremlin de protéger les 20 millions de russes vivant dispersés en ex-URSS (hors Russie). Il est donc clair que le conflit millénaire entre la Russie et l’Occident a été revigoré depuis 1991 au détriment de l’ours russe. Contrairement aux temps de la guerre froide où les soviétiques étaient à deux heures de Strasbourg, aujourd’hui ce sont les avant-postes de l’OTAN dans les pays baltes qui se retrouvent à deux heures de St-Petersbourg. La politique de Vladimir Poutine est donc davantage une défense de son « étranger proche » (glacis défensif) et de ses propres zones d’influence qu’une tentative de restauration impériale. Sa popularité vient en grande partie qu’il a su redresser l’économie et redonner à la Russie son statut de puissance géopolitique.

La seconde source de conflit repose sur une conception opposée du droit international. En effet, l’Occident considère un traité comme une étape provisoire pouvant être modifiée au gré des intérêts, des lobbies et des modes intellectuelles. Comme disait Guy Mettan « le droit, pour les occidentaux, est moins une affaire de principes que d’évolution de la jurisprudence ». Forts de ce principe, les occidentaux ont outrepassé plusieurs fois le droit international dans le cadre d’intervention humanitaire servant souvent de masque au « messianisme occidental ». Les cas irakiens, libyens, et le bombardement de la Serbie ont été les conséquences logiques de cette vision des affaires internationales. Contrairement aux occidentaux, les russes considèrent le droit international comme intangible. Ils appliquent le vieil adage « Rex imperator in regno suo » (le roi est empereur en son royaume). Ce principe est au cœur de la non-ingérence chère aux dirigeants russes. Le cas de la Syrie, où la Russie bloque toute résolution, est à cet égard exemplaire de cette opposition de conception du droit international. Enfin, dans ce cadre, la question des frontières est essentielle pour les russes. Contrairement aux européens qui considèrent les frontières comme dépassées, les russes, du fait de leur histoire marquée par des invasions (mongoles, suédoises, polonaises), des exodes et des conquêtes voient l’intangibilité d’une frontière comme une condition même de la stabilité de l’Etat. Ces différences sont en cœur de l’incompréhension mutuelle entre les deux mondes.

Enfin, la dernière cause de conflictualité est déterminée par une perception culturelle négative que chacun porte sur l’autre. En effet, l’Occident est caractérisé par une société civile très présente et qui influence fortement la politique. Le concept de « res publica » s’est imposé dans la pensée occidentale dès le 16ème siècle d’abord dans les cité-états italiennes puis en France après la publication des six livres de la république de Jean Bodin. En Russie, on trouve des traces de cette pensée comme à Novgorod mais elle a été dépassée par la conception d’un Etat fort et incontesté. Constamment menacée dans son existence, la Russie s’est construite par un état centralisé, pilotant l’activité, prenant seul les décisions. En cela, la culture politique russe est proche de la culture française. Certains auteurs y voient une réminiscence de la domination mongole (la horde d’or) entre le 13ème et le 16ème siècle. Néanmoins, c’est davantage le servage qui est responsable de l’absence de société civile. Alors que le servage était en voie de disparition en Occident, il a été institutionnalisé comme politique d’Etat par Pierre Le Grand et Catherine II souhaitant acheter la loyauté de l’aristocratie terrienne. Finalement aboli en 1861, le servage a conduit à la soumission de la société vis-à-vis de l’Etat. Ainsi, le pouvoir russe actuel ressemble davantage à un « démocratie plébiscitaire » qu’à une conception occidentale de la démocratie vue comme la séparation des pouvoirs et la défense des droits individuels. Les raccourcis permanents sur « l’autocrate Poutine » ne font qu’exprimer une différence culturelle de perception du pouvoir politique. En plus de ces différences d’ordre politique, on peut mettre en avant le fait que les élites russes se considèrent comme les défenseurs de la civilisation chrétienne. Ce point est extrêmement important et est constamment oublié dans les articles sur la Russie. En effet, la civilisation occidentale matérialiste, individualiste et sécularisée s’est toujours vue comme la civilisation supérieure, celle du « progrès ». Or, les russes considèrent que l’Occident a atteint la phase de la décadence de sa civilisation. Un ministre russe avait même qualifié la victoire à l’eurovision du transgenre Conchita Wurst comme symbole du « déclin irréversible de l’occident ». La littérature russe abonde d’auteurs, de Pouchkine à Soljenitsyne en passant par Dostoïevski et Gorki, faisant l’apologie de l’âme russe considérée comme la plus authentique car elle n’est pas souillée par la modernité occidentale. A l’homme occidental matérialiste, égoïste et ayant perdu tout esprit de patriotisme, les auteurs russes opposent la sacralité de la terre et l’infinie supériorité spirituelle du peuple russe. Comme l’écrivait Dostoïevski : « En Occident, on a perdu le Christ et c’est pourquoi l’Occident est en décadence, uniquement pour cela. L’idéal a été modifié et comme cela est clair ! ». De ce fait, la littérature a joué un rôle primordial pour marquer une nette séparation entre la culture russe et la culture occidentale.

Ainsi, loin d’avoir mis fin au conflit millénaire opposant la Russie et l’Occident, la disparition de l’URSS s’est traduite par des divergences profondes tant du point de vue politique et diplomatique que du point de vue des « valeurs » entre ces deux blocs.

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Une réconciliation est-elle dès lors envisageable ?

Le conflit millénaire entre la Russie et l’Occident ne doit pas occulter le fait que les occidentaux, et surtout les européens ont besoin d’une forme de réconciliation avec le géant russe. En effet, dans des domaines aussi variés que l’économie, la géopolitique et la lutte contre l’islamisme, la Russie n’apparait plus comme un problème mais comme une solution au défi du monde.

En termes d’économie, la Russie connaît une crise importante qui s’est traduite par une récession de l’ordre de 3% l’année dernière. Cette chute s’explique par la baisse du prix du pétrole atteignant à peine les 40 dollars sur les marchés. Cette baisse est d’autant plus problématique que les exportations de matière première représentent 50% du budget russe. Pour équilibrer son budget, le baril de brut devra atteindre les 100 dollars. Cependant, cette baisse des prix m’apparait comme passagère car elle est davantage le fait du conflit entre l’Arabie Saoudite et l’Iran que comme un affaiblissement durable de la croissance mondiale. A long terme, les saoudiens ne pourront maintenir un prix aussi bas sous peine d’une grave crise politique. C’est pourquoi, il est fort probable que les prix remonteront ce qui va permettre à la Russie de renouer avec la croissance. Dans cette perspective, l’économie européenne a beaucoup à gagner des relations commerciales avec son voisin de l’Est. Au niveau intérieur, la Russie s’est dotée d’une classe moyenne importante lors des années 2000, période où la croissance atteignait jusqu’à 8% par an créant ainsi un marché attrayant de nouveaux consommateurs. C’est principalement dans les domaines de l’agroalimentaire et de la construction que les perspectives sont les plus alléchantes. Les russes en effet sont des grands consommateurs de porc européen et des marques comme Bonduelle ou Nestlé sont incontournables en Russie. Les sanctions agricoles  prises suite au conflit ukrainien sont en cela catastrophiques pour l’agriculture européenne. De même, la Russie a un besoin urgent de moderniser ses infrastructures. Du fait de l’immensité du territoire, des entreprises comme la SNCF, Vinci ou encore Alstom pourront remplir leur carnet de commande pendant des années et ainsi s’assurer de rentrées financières conséquentes. En plus d’être attrayant sur le plan des perspectives financières, un partenariat économique durable avec la Russie permettrait de s’assurer un approvisionnement énergétique stable et fiable. Les gazoducs et les oléoducs étant tournés vers l’Europe depuis l’ère soviétique, l’union européenne dépend à 40% de l’énergie russe ce qui fait de la Russie son premier fournisseur en gaz. Vladimir Poutine a d’ailleurs souvent utilisé l’arme énergétique pour rappeler à l’Europe qu’économiquement elle ne peut pas se passer de la Russie.

De plus, au niveau géopolitique, comme le disait Brzeziński, « le nouveau défi du monde n’est plus l’hégémonie mais le désordre ». Dans ce cadre, la Russie est un acteur incontournable pour la stabilité internationale. Les Etats-Unis sont en effet en retrait depuis l’élection d’Obama. Adoptant, la stratégie du « Leading from behind », Obama a fait « pivoter »  son dispositif militaire vers l’Asie, se désintéressant de l’Europe et du Moyen-Orient. La Chine est obnubilée par les tensions avec le japon et par sa propre stabilité intérieure. Quant à l’Europe, gouvernée par l’économie et le droit, elle a abandonné toute politique de puissance. La Russie a donc une chance historique d’assurer une certaine forme de leadership. La crise syrienne a illustré ce nouveau rôle de la Russie. Défendant le régime des Assad face à des rebelles, pour la plupart d’entre eux islamistes, Poutine est intervenue directement en envoyant des « spetsnaz » (forces spéciales) et en appuyant par des bombardements aériens l’offensive de l’armée syrienne depuis le 30 septembre 2015. Ce sont les russes qui ont sauvé le régime en passe de s’effondrer après la perte de la province d’Idlib. Les islamistes étaient alors à quelques dizaines de kilomètre de la base navale de Tartous, la dernière base russe en Méditerranée. Fort de la prise de Palmyre et d’Alep par l’armée syrienne, Poutine est devenu l’homme incontournable pour la résolution du conflit. De fait, aucune décision concernant la Syrie ne peut se prendre sans lui. La crise dans le Levant permet également d’envisager un rapprochement des occidentaux avec la Russie pour combattre l’islamisme. En effet, contrairement à certains clichés, les russes ont été les premiers touchés par la montée en puissance de l’islam radicale. Dès la première guerre de Tchétchénie entre 1994 et 1996, les soldats russes ont été confrontés à des « katibas » islamistes. Les attentats  qui ont suivi la seconde guerre de Tchétchénie (Théâtre de Moscou, Beslan) n’ont été que le prélude d’un nouveau « choc des civilisations » décrit par Huntington. Douze ans après Beslan, un commando islamiste décimait la jeunesse parisienne faisant 130 morts. L’islamisme se veut comme une réponse au déclassement du monde musulman depuis plusieurs siècles rendu d’autant plus insupportable que l’Islam est la religion qui est censée parachever le Judaïsme et le Christianisme. La Russie a été la première à y faire face et l’a combattu plutôt efficacement. D’ailleurs, Poutine a toujours répondu favorablement à une alliance mondiale contre l’islamisme, tendant la main à Bush après le 11 Septembre et à Hollande après le 13 Novembre. Le candidat républicain Donald Trump s’est dit lui aussi favorable à une alliance avec le Kremlin pour anéantir Daech. Il faut dire aussi que la stratégie russe en Syrie a conduit à de biens meilleurs résultats dans la lutte contre l’Etat islamique en quelques mois qu’en deux ans de bombardements occidentaux. C’est devant cet ennemi commun que surgit la nécessité d’un partenariat stratégique durable entre la Russie et l’Occident.

 

poutine et l'armée

De l’Orient contre l’Occident, de Byzance contre Rome,  d’Alexandre contre Napoléon, De Brejnev contre Nixon, de Poutine contre Obama, la relation entre la Russie et l’Occident a été émaillé de nombreux conflits au point que l’on peut parler d’une guerre de 1000 ans. Les tensions actuelles portant sur l’élargissement de l’OTAN et l’interventionnisme militaire occidental ne font que prolonger ce conflit millénaire. Il est nourri également par des différences majeures de mode de sociétés abondamment décrites, voire caricaturées dans la littérature occidentale et russe.  Cependant, les liens économiques et surtout l’émergence d’un ennemi commun permettent d’envisager une réconciliation entre les deux mondes. Après tout, sans la Russie, la France n’aurait pas vaincu les armées du Kaiser en 1918 et sans Staline, le nazisme n’aurait pas pu être défait. Poutine est prêt à tendre la main. L’Occident voudra-t-il la saisir ?

 

 

 Pour en savoir plus:

Interview de Mathieu Slama pour le Figaro  à propos de son ouvrage La guerre des mondes: http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/05/20/31001-20160520ARTFIG00372-mathieu-slama-il-y-a-du-soljenitsyne-dans-le-discours-de-poutine.php

Russie-Occident, une guerre de mille ans: La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne de Guy Mettan

Discours de Soljenitsyne devant les étudiants de Harvard: http://plunkett.hautetfort.com/archive/2008/08/04/adieu-alexandre-issaievitch.html

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La ligne Durand : autopsie d’une frontière à haut risque

La ligne Durand : autopsie d’une frontière à haut risque

 

 En 2014, deux événements majeurs ont mis en avant l’importance de la question pachtoune au Pakistan. Le premier est un motif d’espoir puisque la jeune Malala, écolière pachtoune pakistanaise blessée à la tête par les talibans, a reçu le prix Nobel de la paix. Le second a horrifié la planète entière puisque 141 personnes dont 132 enfants ont été assassinées par ces mêmes talibans dans une école de Peshawar. Ces deux événements traduisent la difficulté du gouvernement pakistanais à contrôler les zones tribales limitrophes à l’Afghanistan où vivent une majorité de Pachtounes. Il faudra donc s’interroger sur les causes de cette violence exacerbée et les raisons qui ont poussé cette minorité à contester le pouvoir central.

Comment et pourquoi la question pachtoune est-elle devenue le plus grave danger auquel le Pakistan doit faire face depuis l’indépendance ?

 

Aux origines de la Ligne Durand

Au 19ème siècle, deux puissances cherchent à étendre leur empire en Asie centrale. L’une, la Grande-Bretagne tente consolider ses positions établies dans le continent indien, l’autre, la Russie, cherche à atteindre les « mers chaudes »  d’Asie. Ce « grand jeu » entre les deux puissances pousse les deux protagonistes à s’intéresser à l’Afghanistan comme intérêt stratégique. C’est par crainte d’une emprise russe sur le pays que les Britanniques ont lancé deux guerres d’invasion en 1839 et 1878 qui se sont traduites par des échecs. Néanmoins, un accord est trouvé en 1893 entre le négociateur britannique, sir Durand, et le chef pachtoune Abdur Rahman Khan pour la neutralisation de l’Afghanistan comme état tampon entre les deux empires. La ligne Durand délimite donc la frontière entre l’Afghanistan et l’empire Britannique. Elle aura deux conséquences majeures. Premièrement, elle empêche presque toute influence étrangère en Afghanistan dans une société conservatrice et archaïque. Deuxièmement, elle divise le peuple pachtoune en deux puisque seule une minorité d’entre eux vit en Afghanistan. A partir de 1947, la majorité des pachtounes sont intégrés au sein de l’Etat du Pakistan.

 

1979 : Le tournant soviétique

En 1979, une série de révoltes menaçait l’existence d’un régime pro-soviétique à Kaboul. Les soviétiques ont décidé d’intervenir en décembre pour restaurer l’ordre. Le conflit afghan est devenu dès lors un enjeu international. Pour contrer l’offensive soviétique, les Etats-Unis ont appuyé par l’intermédiaire des saoudiens la résistance afghane : les moudjahidines. Or, le Pakistan a joué un rôle fondamental comme base arrière des combattants afghans. Les services secrets pakistanais (ISI), avec le soutien des Etats-Unis, armaient, formaient et finançaient les groupes antisoviétiques. Les zones tribales, notamment Peshawar, sont devenues le centre nostalgique du djihad mondial en guerre contre les Russes. O. Ben Laden était d’ailleurs lui-même présent à Peshawar. Ce conflit, long de près de 10 ans, a favorisé grandement l’infiltration d’islamistes dans les services de sécurité pakistanais et a fait basculer de nombreux Pachtounes dans l’islam radical.

 

1989-2001 : L’instrumentalisation de la question pachtoune

Après le retrait soviétique d’Afghanistan en 1989, le Pakistan a utilisé ses liens privilégiés avec les moudjahidines afghans pour des raisons stratégiques. En effet, pour ce dernier, l’Afghanistan est vu comme une profondeur stratégique en cas de conflit avec l’Inde et comme une porte d’accès vers l’Asie Centrale. De plus, les relations étroites entre l’Inde et le régime soviétique afghan ont renforcé le soutien pakistanais aux rebelles. Or, devant le chaos de l’Afghanistan, les pakistanais ont soutenu massivement le mouvement taliban pachtoune qui a pris Kaboul en 1996. Ils ont reconnu l’émirat proclamé par le Mollah Omar, le chef des talibans, et ont soutenu l’installation du groupe terroriste Al-Qaeda en Afghanistan. Très clairement, le Pakistan a encouragé les Pachtounes pakistanais à soutenir et à aider leurs « frères » afghans. On voit, dès lors, que le gouvernement Pakistanais utilise la minorité pachtoune comme levier d’influence en Afghanistan.

 

2001 : Le retournement de situation

Les attentats du 11 septembre 2001 orchestré par Al-Qaeda ont entrainé une riposte américaine contre les talibans afghans coupables d’avoir hébergé le groupe terroriste. Pour fuir les bombardements américains, les talibans et les membres d’Al-Qaeda se sont réfugiés de l’autre côté de la ligne Durand dans les zones tribales du Pakistan. Ce refuge est naturel quand on connait la difficulté du relief et la solidarité tribale qui joue dans cette région. Par exemple, beaucoup de membres d’Al-Qaeda s’étaient mariés à des femmes pachtounes ayant de la famille des deux côtés de la ligne Durand. Encore aujourd’hui le chef d’Al-Qaeda A. Al-Zawairi se cache dans les zones tribales du Pakistan.

Sous la pression des Etats-Unis pour lutter contre le terrorisme, le président pakistanais Musharraf a décidé de s’associer contre Al-Qaeda moyennant 2 milliards d’aides américaines annuelles et d’autoriser le passage des camions de ravitaillement de l’Otan sur son sol. Cette décision a été négativement perçue par la majorité de la population, clairement anti-américaine, et pour les pachtounes cela a été ressenti comme une trahison. De ce fait, le régime d’Islamabad est devenu un ennemi à abattre pour beaucoup de groupes islamistes. Néanmoins, Islamabad soutient encore, plus discrètement, les talibans afghans de crainte de voir le  régime  d’Hamid Karzai se tourner vers l’Inde, surtout que celui-ci refusait toujours de reconnaitre la ligne Durand et rêvait de rassembler le peuple pachtoune. De même, les services secrets ont été en grande partie infiltrés par les islamistes avant 2001 et donc ils tendent à soutenir en sous-main les groupes djihadistes. C’est pourquoi le Pakistan est accusé de jouer un « double jeu » dans la région provoquant des tensions régulières avec les Etats-Unis. Le cas d’O. Ben Laden tué à Abbottābād, à une centaine de mètres d’une base militaire et de renseignement, a illustré ce « double jeu » pakistanais.

N’ayant pas confiance dans les services pakistanais, le gouvernement Obama a décidé d’une part de mener des opérations sur le sol Pakistanais sans l’autorisation d’Islamabad, comme le raid contre Ben Laden ou encore l’assassinat ciblé par les drones, et d’autre part d’accentuer la pression, par le biais du conditionnement de l’aide de 2 milliards annuelle, sur les militaires pour qu’ils combattent les terroristes dans les zones tribales.

Le principal groupe rebelle djihadiste est le groupe Tehrik-e-Taliban qu’on appelle les talibans pakistanais. Il gagne chaque jour en puissance recrutant principalement dans la minorité pachtoune. Ce point est essentiel car il souligne la division ethnique du Pakistan. Les Pendjabis (de la plaine du Penjab) contrôlent ainsi l’armée et l’économie tandis que les Pachtounes, minoritaires mais dont la majorité de la population vit au Pakistan, ont été marginalisés. D’ailleurs, plus de 85% des soldats de l’armée Pakistanaise sont des Pendjabis. Ils ont donc de grandes difficultés à combattre les talibans pakistanais sur un terrain montagneux qu’ils ne connaissent peu et qui est propice aux guérillas. A chaque grande offensive de l’armée, le Tehrik répond par des attentats sanglants contre les militaires, comme avec le massacre de l’école militaire de Peshawar, et contre les minorités de l’Islam telles les chiites. Il a démontré sa capacité  de nuisance en attaquant l’aéroport de Karachi, où vit une forte population de Pachtounes,  et même en Inde où il est régulièrement à l’origine d’attentat.  Ce groupe est une menace pour la stabilité du Pakistan et de la région.

 

Depuis 1893, le peuple pachtoune est divisé entre l’Afghanistan et ce qui deviendra plus tard le Pakistan. Longtemps instrumentalisé par le gouvernement pakistanais pour servir ses propres intérêts stratégiques, la minorité pachtoune du Pakistan s’est faite néanmoins marginalisée par un pouvoir central largement contrôlé par les Pendjabis. Conjugué avec la décision du gouvernement de s’allier avec les Etats-Unis, la marginalisation explique en grande partie l’émergence d’un courant radical incarné par les talibans pakistanais. Ce dernier, de par ses attaques sanglantes, menace la stabilité du pays qui depuis 1998 possède l’arme nucléaire. Ce problème sera sans doute le plus grand défi qu’aura à faire face Nawaz Sharif, le premier ministre, au cours de son mandat.

 

 

1967 : Le tournant du conflit Israélo-Arabe

1967 : Le tournant du conflit Israélo-Arabe

 

Les élections législatives en Israël ont toujours été décisives. Elles déterminent les prises de position de l’Etat hébreu sur des sujets aussi graves que les négociations entre Israéliens et Palestiniens, les relations avec le voisin libanais ou encore le nucléaire iranien. Toutes ces problématiques ont des causes profondes et proviennent d’évènements historiques majeurs qui influencent encore et toujours le conflit israélo-arabe. Parmi ces évènements, la Guerre des six jours de 1967 en constitue un élément clé pour comprendre la situation actuelle. Les conséquences de la victoire israélienne ont eu un impact non seulement territorial mais également politique qui reste hélas toujours d’actualité.

 

Décryptage de la guerre de 1967

Depuis 1948 et la création de l’Etat d’Israël, le Proche-Orient  est devenu une région en proie à des conflits récurrents (1948,1956) entre Tsahal (l’armée israélienne) et les pays arabes voisins. En début d’année 1967, la situation devient explosive. Nasser, le raïs égyptien, avait fait d’Israël son ennemi absolu et la base de son nationalisme et de son leadership sur les pays arabes. Depuis son accession au pouvoir en 1954, il a multiplié les provocations et renforce son armée en vue d’un futur conflit avec l’Etat Hébreu. Il crée, de même, l’OLP (organisation de libération de la Palestine) en 1964. Il s’est allié à la Syrie par le biais d’un pacte militaire. En 1967, la tension monte avec le gouvernement sioniste ce qui pousse Nasser à placer ses troupes en état d’alerte et de fermer le golfe d’Akaba aux navires israéliens. Le premier ministre israélien L.Eskhol prônant la retenu, il est contraint de céder devant les militaires, favorables à une attaque préventive, à la suite d’un accord entre la Jordanie et l’Egypte. Moshe Dayan, le chef d’Etat-major de Tsahal, devient ministre de la défense. Le 5 juin, l’aviation israélienne détruit celle de l’Egypte, les divisions blindés d’Ariel Sharon percent dans le Sinaï et mettent l’armée égyptienne en déroute. Le 8 juin, le Sinaï est conquis et un cessez-le-feu est conclu entre les deux pays. Le même jour,  la vieille ville de Jérusalem est reprise aux Jordaniens. Le 9, Tsahal conquiert le plateau du Golan à la Syrie. Le 10, les Etats-Unis et l’URSS imposent un cessez-le-feu. A la fin de la guerre, Israël a mis la main sur le Sinaï, la Cisjordanie, Jérusalem-Est et le Golan. Cette conquête, si rapide et facile, n’a pas manqué d’avoir un impact majeur dans la région.

 

Les conséquences de la guerre des six jours…

…En Israël

Tout d’abord, Israël a agrandi son territoire en instaurant son autorité sur des zones relativement denses, en Cisjordanie et à Gaza, symboliques (Sinaï) et stratégiques avec le Golan. En Cisjordanie et à Gaza, environ 1 million d’Arabes passent sous contrôle de l’Etat Hébreu. Se pose dès lors le problème de leur intégration. Conscient du déséquilibre démographique et de l’antagonisme entre les deux peuples, l’Etat Hébreu n’a jamais cherché à accorder les mêmes droits aux Palestiniens que les citoyens israéliens. Ce problème d’intégration de la population palestinienne est à l’origine des deux « Intifadas » et d’une contestation de plus en plus radical envers la politique Israélienne. De plus, si avant 1967, Israël apparaissait comme David contre le Goliath Arabe, la situation change radicalement avec l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza qui place l’Etat Hébreu en position d’occupant, voire d’oppresseur selon certain violant régulièrement les résolutions de l’ONU. Son image s’est fortement dégradée, notamment en Occident ou il jouissait d’un soutient assez large avant la guerre. 

En termes de politique extérieur, Israël a profité de la guerre pour mettre en œuvre la méthode « terre contre paix » qui consiste à abandonner les territoires conquis contre la reconnaissance de l’Etat Hébreu. Dans les faits, seule l’Egypte acceptera l’offre en 1979 pour récupérer le Sinaï mais cette stratégie est toujours  appliquée par Israël envers ses voisins.

Enfin, cette guerre a fait apparaître un courant messianique dans la politique Israélienne. Le courant sioniste est à son origine un mouvement politique se situant plutôt à gauche, critiqué par les religieux Israélites attendant le Messie avant de revenir en Israël. Or, les images de soldats israéliens priant devant le « Mur des Lamentations » dans Jérusalem-Est conquise par Tsahal ont été vues comme un « signe divin » qui rend possible le rêve « D’Eretz Israël », c’est-à-dire l’instauration d’un Etat sur un territoire comprenant les anciens royaumes bibliques de David et de Juda, terre promise au peuple juif selon la       tradition de l’ancien testament. Pour réaliser cet objectif, des groupes religieux ont implanté des colonies en Cisjordanie (400 000 colons) et à Jérusalem-Est (250 000 colons) et ont créé des partis politiques exerçant une influence croissante participant à la droitisation de la politique israélienne. Cette colonisation est l’obstacle le plus important pour la paix puisque la Cisjordanie est ponctuée de colonies rendant impossibles une unité territoriale palestinienne.

Pour les Palestiniens

Même si beaucoup de palestiniens se sont réfugiés dans les pays voisins, une partie d’entre eux est restée en Cisjordanie et à Gaza. Sous la domination israélienne, ceux qui se considéraient comme « Arabes palestiniens » ne se considèrent plus que comme « Palestinien ». En quelque sorte, l’occupation israélienne a forgé un sentiment national chez les palestiniens. Ce nationalisme a été incarné par Yasser Arafat qui en 1969 a libéré l’OLP de sa tutelle égyptienne.

Dans le monde Arabe

La guerre des six jours a entrainé une véritable onde de choc dans le monde arabe. Le nationalisme Arabe avait prospéré en grande partie sur sa promesse de vaincre Israël. Or, l’Egypte de Nasser, son plus grand représentant, a été balayé en seulement trois jours par Tsahal. L’Egypte et le nationalisme Arabe ont subi une perte considérable de prestige et d’influence dans le monde Arabo-musulman. Nasser ne se remettra jamais du désastre. Il va mourir trois ans plus tard seulement. Dès lors, sur les ruines du nationalisme, l’Islamisme a commencé sa progression spectaculaire en Egypte avec les Frères Musulmans puis à Gaza avec le Hamas et le Djihad Islamique. En effet, la perte de Jérusalem-Est et de l’esplanade des mosquées, troisième lieu saint de l’Islam, fut considérée comme un « châtiment divin » et que seule une société réellement islamisée pourrait avec l’aide de Dieu reconquérir Jérusalem (Al-Qods en arabe).

En Jordanie, la guerre des six jours a entrainé un afflux de réfugié palestinien (300 000 en tout) qui s’ajouta aux réfugiés de 1948. Cette arrivée massive a recomposé le paysage démographique du royaume Hachémite. Aujourd’hui près de 2/3 de la population est d’origine palestinienne. Cette nouvelle donne démographique a de graves conséquences politiques dans un pays ou les postes de pouvoir sont monopolisés par les jordaniens « de souche » comme l’a montrée la tentative avortée de l’OLP de renverser la monarchie en 1970.

En Syrie, la guerre s’est traduite par la perte du Golan. Haut plateau de 60 Km dominant la vallée du Jourdain, il s’agit de la seule étendue naturelle d’eau douce du Proche-Orient. Etant une des sources du Jourdain, son contrôle est stratégique au niveau hydraulique. Il est également un puissant obstacle militaire. En le contrôlant, Tsahal peut surveiller la plaine de Damas et ainsi anticiper  les manœuvres syriennes. Pour les syriens, une grande partie de leur ressource en eau s’est évaporée et le rêve de la « grande Syrie » s’est envolé. Ce désastre a facilité la prise de pouvoir du clan Assad aux dépens des baasistes pro-égyptiens.

 

La guerre des six jours a frappé les esprits par la rapidité et la facilité avec laquelle Israël a écrasé les armées arabes. Cette victoire a conforté l’Etat Hébreu comme première puissance militaire de la région. Néanmoins, cette victoire a modifié radicalement la politique israélienne en l’obligeant à prendre en compte la population palestinienne  qui vit sur le territoire qu’elle contrôle et  en favorisant l’émergence d’un courant religieux juif très puissant. Les pays arabes qui ont perdu la guerre ont eux aussi été impactés de par l’afflux de réfugiés, la perte de territoires stratégiques et l’effondrement du nationalisme arabe engendrée par le désastre de 1967. Cette guerre, bien que lointaine, continue donc toujours d’influencer la situation au Proche-Orient d’une manière que les protagonistes d’alors n’avaient même pas imaginé.

La crise sans fin

La crise sans fin

 

 2008 : Lehman Brothers fait faillite, les bourses mondiales sont prises de panique et s’effondrent, les gouvernements prennent des mesures d’urgence pour stopper l’hémorragie. Ce récit est connu de tous et continue à ébranler l’économie mondiale. Promesse avait été faite d’en finir avec la création de bulles financières. Les Etats-Unis n’avaient-ils pas promulgué la loi Dodd-Franck censée réguler le système bancaire ? Pourtant, si l’on regarde de plus près, les mauvaises pratiques perdurent, les places boursières atteignent des records comme si 2008 n’avait jamais existée. Les cris d’alarme se multiplient pour dénoncer une situation similaire à celle d’avant la crise.

Peut-on parler d’une nouvelle bulle ? Avons-nous réellement tiré les leçons du passé ?

 

Qu’est-ce qu’une bulle financière ?

Une bulle est une situation particulière en économie où, sur une classe d’actifs, la valeur de marché est supérieure à la valeur réelle, c’est-à-dire la valeur intrinsèque des actifs sous le jeu de la croyance des acteurs. Charles Kindleberger dans un article célèbre Manias, Panics and Crashes  avait défini un processus de formation et d’éclatement des bulles financières en cinq phases.

La première consiste en une reprise du crédit et à une situation de redémarrage de l’économie.

La seconde est décrite comme une phase d’euphorie, d’emballement du crédit. Kindleberger voyait deux causes à cet emballement. Dans un premier temps, les politiques monétaires accommodantes de la phase 1 ont entrainé une baisse des taux d’intérêt facilitant ainsi l’accès aux crédits et à l’endettement. Elles poussent, de plus, les investisseurs à rechercher des valeurs à plus haut rendement donc plus risquées. Ensuite, l’augmentation de la valeur des actifs a provoqué un aveuglement des agents économiques créant une forme « d’illusion patrimoniale » liée à l’effet de richesse. Comme les agents ont la conviction que la hausse durera éternellement, ils sont prêts à acheter des actifs surévalués dans l’espoir de dégager une plus-value lors de la revente. Par ce mécanisme, la valeur des actifs ne dépend  plus de leurs valeurs intrinsèques mais de l’opinion des acteurs économiques. La crise de 2008 est à cet égard un exemple frappant. En effet, après l’éclatement de la « bulle Internet » en 2001, la FED a fortement baissé ses taux directeurs. De plus, les institutions financières ont créé de nouveaux produits, les « Subprimes », permettant à des ménages américains insolvables d’avoir accès à la propriété. Le système entier reposait sur la hausse continue des prix de l’immobilier et aucun acteur ne pensait que les prix baisseraient. Il est arrivé à Goldman Sachs de fermer un fonds de crédit mobilier dont elle estimait le risque de faillite à un sur dix puissance dix-huit. C’est cet aveuglement devant la surévaluation d’un actif qui fabrique les bulles.

La phase 3 est la phase du retournement. Elle est caractérisée par un ralentissement de la hausse des prix des actifs. En 2006, par exemple, les prix de l’immobilier ont commencé à baisser aux Etats-Unis.

La phase 4 est la phase critique ou l’économie entre en crise. Après une période d’attentisme, les agents actent la baisse durable des prix des actifs. Pour éviter une moins-value, ils se dessaisissent de leurs titres provoquant une chute vertigineuse de leur valeur. En 1929, lors du « jeudi noir », les titres avaient perdu 40% de leur valeur en quelques heures. Cette situation dite de « déflation par la dette » par Fisher entraine une brusque remontée des taux réels et ainsi conduit les agents endettés à la faillite. L’économie non financière est touchée par l’arrêt du crédit et la hausse des taux. On parle alors de « Crédit Crunch ». Un choc d’offre, de par les anticipations négatives des entreprises et de demande, du fait du désendettement des ménages, se produisent simultanément pour annihiler toute croissance. C’est la situation que nous avons connu après la faillite de Lehmann Brother.

Enfin, la dernière phase est celle de la restructuration. Pour éviter une crise économique majeure, les Etats interviennent pour resolvabiliser les ménages et les banques centrales baissent fortement leurs taux pour faciliter la reprise du crédit.

La bulle : la drogue dure des agents économiques

Après la phase de restructuration, les banques centrales mettent en œuvre des politiques expansionnistes visant à faire redémarrer l’économie. Cependant, comme nous l’avons vu, la phase d’euphorie est engendrée par des baisses de taux facilitant l’endettement et la création de bulles. En quelque sorte, pour lutter contre les effets de l’éclatement d’une bulle, on en créé une nouvelle. Après la crise russe de 1998, Alan Greenspan, le gouverneur de la FED, avait baissé les taux entrainant une nouvelle bulle dite d « Internet » qui a elle-même éclaté en 2001. S’en est suivie une nouvelle baisse des taux qui a engendré une nouvelle bulle dans l’Immobilier. Paul Krugman en a fait un livre au titre évocateur Pourquoi les crises reviennent toujours ? Maurice Allais, prix Nobel d’économie, disait « l’économie mondiale toute entière repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile.» Chaque bulle est donc remplacée par une autre aux prix de crises récurrentes.

Pourquoi dès lors les Etats ne souhaitent-ils pas stopper ce système de plus en plus instable ? Pour prendre une métaphore, les bulles sont de la morphine qu’on injecte pour calmer la douleur. En cela, elle donne une illusion de croissance aux Etats. Si les politiques monétaires accommodantes n’avaient pas été mises en œuvre, le chômage aurait grimpé en flèche et la contestation sociale serait nettement plus forte. Selon Robert Gordon,  seules les bulles créent une croissance même si elle est artificielle sous peine d’une « stagnation séculaire » de l’économie. En réalité, cette drogue touche l’ensemble des acteurs de l’économie. Les ménages ont ainsi besoin de s’endetter pour entretenir l’illusion d’une augmentation de leur niveau de vie comme aux Etats-Unis. Les entreprises ont besoin d’un accès facile au crédit  pour financer leurs investissements. Les hommes politiques doivent avoir une croissance forte pour être réélu et enfin les Etats s’accommodent des bulles car ces dernières leur permettent de financer à moindre frais le poids de la dette qui explose.

« L’économie de bulles » comme le nomme l’économiste Jean-Pierre Petit, conduit donc les gouvernements, et les peuples qui les ont élus, devant un dilemme : soit nous nous désintoxiquons des bulles au prix d’une stagnation durable, soit nous continuons sur cette voie au risque de la multiplication de crises financières. Il est clair qu’après 2008, les Etats ont choisi la deuxième option. Les banques centrales ont ainsi injecté massivement des liquidités, à hauteur de 3700 milliards de dollars pour la FED, à travers les plans de « quantitative easing ». Aujourd’hui, près de 40% des crédits américains sont de type « Subprimes ». De même, les taux d’emprunt des Etats sont ridiculement bas. Ils sont de 1,7% pour les taux français à 10 ans ce qui est totalement déconnecté de la situation des comptes publics. La situation ressemble de plus en plus en la constitution d’une bulle financière. On est sans doute dans la phase d’euphorie que Kindleberger mettait en avant dans sa théorie.

 

 

La bulle financière est donc un élément incontournable de l’économie actuelle. Elle agit comme une drogue pour l’ensemble des agents économiques. Les banques centrales, malgré leur indépendance, sont souvent contraintes de céder aux sirènes de la création monétaire. Cependant, comme la morphine, elle masque les déséquilibres économiques et empêchent donc de les régler. Aux Etats-Unis, elle permet d’euthanasier le problème de la stagnation salariale par l’endettement. En Europe, elle entretient l’illusion de la soutenabilité des dettes publiques. Une nouvelle crise est déjà en marche avec cette fois-ci une marge limitée pour les Etats (niveau de la dette) et pour les banques centrales (taux déjà proches de 0). La question n’est donc plus de savoir s’il y aura une autre crise mais quand elle se produira.

La Russie doit-elle se tourner vers la Chine ?

La Russie doit-elle se tourner vers la Chine ?

 

Lors d’un discours très attendu devant la presse internationale, Vladimir Poutine, le président de la fédération de Russie, a fustigé l’attitude de l’Occident qu’il juge comme « impérialiste ». La crise ukrainienne et les sanctions internationales n’ont pas incité le Kremlin à la modération verbale vis-à-vis des Occidentaux. Beaucoup au sein de l’élite russe estiment que la situation est positive car elle va permettre à la Russie de tourner son économie vers l’Asie et de renforcer son partenariat avec la Chine. Poutine veut « saisir le vent chinois dans les voiles russes ». En effet, depuis 1989, qui marque la reprise des liens diplomatiques entre les deux pays, la Russie et la Chine ont développé un partenariat stratégique caractérisé par des accords économiques, politiques et militaires. Certains analystes parlent d’un axe Moscou-Pékin capable de concurrencer le bloc occidental.

Quelles sont les caractéristiques de ce partenariat ? Est-il si favorable à la Russie ?

 

L’axe Moscou-Pékin : un partenariat stratégique

 

Après des décennies de « schisme Sino-Soviétique », la visite de Gorbatchev à Pékin en Mai 1989 a inauguré une période de fort rapprochement entre les frères ennemis. Une série d’accords de coopération a par la suite renforcé cette tendance. Ainsi, la Chine a accepté de reconnaitre la souveraineté russe sur les îles Bolchoï et Tarabarovov sur le fleuve Amour près de la Mandchourie. Ces dernières ont fait l’objet d’incidents frontaliers récurrents durant les années 60. En 2001, la Russie a reconnu en échange la souveraineté chinoise sur Taiwan, dossier extrêmement sensible pour Pékin. Au niveau international, la Russie et la Chine partagent la même vision des relations internationales, surtout dans le refus de l’ingérence occidentale et des droits de l’homme. Cette proximité idéologique est particulièrement présente dans le dossier syrien où les deux pays ont mis leur véto à toute résolution venant de l’Occident. La Russie et la Chine font en outre partis des BRICS et de la coopération de Shanghai. L’alliance des BRICS visent à concurrencer, par la création de fonds de développement commun,  les institutions financières comme le FMI et la Banque mondiale considérées comme étant trop occidentales. Le groupe de Shanghai est quant à lui une institution politique qui souhaite renforcer la sécurité et la coopération en Asie Centrale. Crée en 1996 puis renforcé en 2001, ce groupe est composé de la Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Les chinois s’intéressent de très près à cette région du fait des immenses richesses naturelles qu’elle possède. Pour les russes, le groupe de Shanghai permet de limiter l’avancée américaine dans l’espace post-soviétique, avancée qui s’est traduite par des révolutions de couleur en Ukraine ou en Géorgie. Ce groupe a aussi été créé pour lutter plus efficacement contre le trafic de drogue et le terrorisme islamique. En effet, les drogues, venant particulièrement d’Afghanistan, sont responsables de près de 100 000 morts par an en Russie. La lutte contre le trafic de drogue en Asie centrale est donc une question de santé publique pour le Kremlin. La montée de l’islamisme est une autre inquiétude poussant Pékin et Moscou à renforcer leur coopération. La Chine subit ainsi une rébellion islamique au Xinjiang dans la communauté des Ouigours musulmans. La Russie est aussi touchée par l’islamisme, principalement dans le Caucase russe dans les fédérations à majorité musulmane (Tchétchénie, Ingouchie, Daghestan). Par conséquent, les russes et les chinois ont mis en œuvre une collaboration stratégique dans un certain nombre de domaines.

 

Le premier domaine de collaboration est le domaine militaire. En effet, la Chine est le premier client des russes. Ainsi, l’empire du milieu absorbe près de 15% des ventes d’armes russes. En 2012, cela représentait plus de 2 milliards de dollars. Cette tendance risque de se renforcer puisque la Chine a augmenté fortement ses dépenses militaires. En plus de la vente d’arme, il existe une véritable coopération entre les deux pays. Des ingénieurs russes et chinois développent en commun des armements comme l’avion de chasse SU-30 et l’hélicoptère de combat MI-17. Un exercice militaire commun a même eu lieu en 2005 dans la péninsule de Shandong simulant un débarquement et ce à quelques centaines de kilomètres de Taiwan.

 

Au niveau économique, les échanges commerciaux russo-chinois se sont fortement accélérés depuis quelques années. Ils représentent aujourd’hui plus de 50 milliards de dollars par an et l’objectif est d’atteindre 200 milliards d’ici 2020. Le but pour le Kremlin est de rééquilibrer son commerce encore trop dépendant de l’Europe. Cette dernière représente près de 50% des exportations russes. Le marché chinois est très prometteur car sa croissance  alimente un besoin important en matières premières. D’ailleurs, la Chine est le premier importateur mondial de pétrole depuis 2013. La Russie, étant le troisième producteur de pétrole du monde et le deuxième pour le gaz, a donc beaucoup à gagner d’une alliance avec ce pays d’autant plus que moins de 10% du gaz russe est vendu à la Chine. Le potentiel est considérable. Cela permettra également de diversifier les clients de la Russie à un moment où les désaccords russo-européens sont de plus en plus importants. Les russes et les chinois  ont signé un contrat de 400 milliards de dollars où  Gazprom s’engage à livrer 68 milliards de m3 de gaz d’ici 30 ans. La livraison est censée commencer dès 2018 et se fera par le biais d’un nouveau gazoduc « Force de Sibérie »  long de 4000 kilomètres dans l’Extrême-Orient russe reliant la Sibérie Orientale à Khabarovsk et Vladivostok. Un autre projet est en discussion sur un gazoduc reliant la Sibérie occidentale à Urumqi en Chine. De plus, le géant russe du pétrole Rosneft a signé un contrat avec le chinois SINOPEC pour livrer plus de 10 millions de tonnes par an pendant 10 ans. Ces accords pétroliers et gaziers sont essentiels pour le Kremlin puisque les hydrocarbures représentent 60% des exportations russes et près de 50% du budget. D’ailleurs, la hausse du niveau de vie en Russie est due en grande partie à l’augmentation des cours du pétrole et du gaz depuis les années 2000.

 

Enfin, la coopération est également financière. En effet, les banques russes ont vu leurs accès aux marchés internationaux se restreindre du fait des sanctions occidentales. Or, la Chine est un pays fortement excédentaire en épargne et est donc en mesure de se substituer aux marchés occidentaux. L’exemple de VTB, une des principales banques russes, songeant à quitter la Bourse de Londres pour celle de Shanghai n’est pas un cas isolé. Les échanges Rouble-Yuans ont ainsi atteint 1,8 milliards de dollars depuis le début des sanctions, un record historique.

 

La Russie et la Chine ont donc développé une coopération stratégique dans les domaines sécuritaires, militaires, économiques et financiers qui est vouée à se renforcer du fait des tensions de plus en plus grandes entre la Russie et l’Occident. Néanmoins, Moscou est prudent et ne souhaite pas une rupture définitive avec l’Europe qui rendrait la Russie dépendante de la Chine.

 

Un axe déséquilibré

 

Si la Russie s’est rapprochée de la Chine au point d’entretenir d’excellentes relations diplomatiques, Moscou se doit d’être prudent vis-à-vis d’une relation qui semble de plus en plus déséquilibrée entre ces deux pays. Ces déséquilibres sont de trois ordres : économiques, politiques et démographiques.

 

Le premier déséquilibre est économique. En effet, les relations commerciales russo-chinoises suivent principalement le schéma suivant : les russes échangent des matières premières contre des produits manufacturés chinois. Selon les statistiques, la nature du commerce russo-chinois a beaucoup évolué depuis quelques années. Ainsi, en 2000 les Hydrocarbures représentaient 7% des exportations russes vers la Chine. En 2012, cette proportion a atteint 73,2%. Sur les produits de machinerie et d’équipement le taux passe de 13,7% à 3% sur la même période. Au contraire, ces mêmes produits chinois représentent près de 53% des importations russes. On voit bien que la Russie importe de plus en plus des produits manufacturés et exporte des produits primaires. En terme économique, on dirait que la Russie se désindustrialise relativement à la Chine. Cette désindustrialisation provient d’un manque de compétitivité de l’industrie russe héritée de l’époque soviétique et d’un Rouble surévalué par rapport au Yuan. D’ailleurs, la baisse actuelle du Rouble peut permettre d’enrayer cette chute de compétitivité. La désindustrialisation entraine un déficit commercial de la Russie vis-à-vis de la Chine d’environ 20 milliards de dollars en 2012. Ce déficit est en hausse au fur et à mesure que les échanges entre les deux pays progressent. Par conséquent, se tourner vers la chine renforcerait la « reprimairisation » (sa dépendance aux hydrocarbures) de l’économie russe au moment même où le Kremlin souhaite au contraire la diversifier. De plus, cette concurrence chinoise met en péril les villes mono-industrielles, héritages de l’Union Soviétique, où vivent près de 25 millions de russes. Cela pose un problème non seulement en termes d’emploi mais également en termes d’aménagement du territoire.

 

Le deuxième déséquilibre est politique. La montée en puissance chinoise est particulièrement visible en Asie centrale. Les chinois investissent de plus en plus dans cette zone, surtout pour l’extraction de matières premières. Cette présence entraine une perte d’influence russe  dans la région. Au Kazakhstan, les investissements chinois augmentent de 20% par an. Ainsi, la firme chinoise CNPC a acquis en 2005 la compagnie kazakhe Petrokazakhstan et un oléoduc reliant le Kazakhstan au Xinjiang a été achevé. Cela participe à la baisse d’influence russe sur ce pays puisque les compagnies russes ne cessent de perdre des parts de marché au profit des compagnies chinoises. La Russie a également perdu beaucoup d’influence en Asie Orientale. Dans le « grand jeu asiatique » elle est relativement absente si l’on compare avec les Etats-Unis et la Chine. La chute de l’Union Soviétique a fait diminuer l’influence russe dans un certain nombre de pays (Corée du Nord, Vietnam, Laos) et cette influence sera difficile à récupérer. En effet, la zone asiatique semble l’objet d’une rivalité entre la Chine et les Etats-Unis, la Russie ne pouvant jouer que le rôle de second derrière les chinois. Pour redevenir une nation influente en Asie Orientale, le pouvoir russe devra trouver des alliés pour faire contrepoids à la puissance imposante de la Chine. D’ailleurs, le Kremlin avait tenté de se rapprocher du Japon mais la tentative a avorté du fait des contentieux toujours existants à propos des îles Kouriles.

 

Le dernier déséquilibre est démographique. La Russie possède 140 millions d’habitants alors que la Chine en compte 1,3 milliards. De plus, la Russie perd tous les ans environ 750 000 habitants. La population russe baisse ainsi chaque année de 0,3%. Le déclin démographique est dû en grande partie aux effets longs de « l’hémorragie soviétique » pendant la seconde guerre mondiale (26 millions de morts) qui a diminué le nombre de femmes mais aussi à la désorganisation du système de santé après 1991 et à la consommation de drogues et d’alcool. Ce déséquilibre démographique est particulièrement grave en Sibérie. Cet immense territoire est en grande partie vide. Moins de 7 millions de russes habitent cette région et ce chiffre va baisser inexorablement du fait de l’exode rural et de l’émigration de ces populations vers la Russie occidentale. De l’autre côté de la frontière, 110 millions de chinois vivent dans les provinces voisines. Or, la Chine a des visées sur la Sibérie puisque celle-ci regorge de matières premières (pétrole, gaz, bois et surtout de l’eau). De plus, une partie des territoires sibériens a appartenu un temps à l’empire chinois. Par exemple, la région de Vladivostok a été cédée par la Chine à la Russie au 19 ème siècle lors des « traités inégaux ». Encore aujourd’hui, les manuels scolaires chinois indiquent : « au-delà du fleuve Amour, la terre nous appartient ». Même si la Chine a reconnu les frontières orientales de la Russie, la presse russe se fait l’écho de la peur du « Zheltaya Ugroza » (« péril jaune ») c’est-à-dire l’arrivée massive de chinois remplaçant la population locale faisant de facto de la Sibérie une terre chinoise. Le professeur à l’INALCO Jean Radvanyi a même prédit que dans moins d’un siècle la Sibérie sera une province chinoise. Cela inquiète les dirigeants russes, conscients de l’importance stratégique de la Sibérie d’autant plus que le réchauffement climatique rend possible une exploitation plus intensive de ses ressources.

 

 

La crise ukrainienne exacerbe les tensions entre la Russie et l’Occident. C’est pourquoi la Chine devient un partenaire fondamental pour le pouvoir russe. La coopération entre les deux pays est très avancée au niveau militaire, économique et financier. L’accord gazier de cette année est l’exemple frappant du poids croissant de la Chine dans la politique russe. Néanmoins, les relations russo-chinoises apparaissent de plus en plus déséquilibrées. Au niveau économique, la Russie est déficitaire vis-à-vis de son voisin. De même, au niveau démographique, le rapport est de 1 à 10 entre les deux pays. Ces déséquilibres posent des problèmes à la Russie en termes d’influence internationale et de souveraineté des territoires sibériens. Par conséquent, la Chine n’est sans doute pas l’eldorado promis par certaines élites russes.