Les deux principaux mouvements palestiniens, l’OLP et le Hamas, ont annoncé en grande pompe leur réconciliation le 12 Octobre dernier. Cet accord fait suite à des années de défiance réciproque entre Gaza et Ramallah marquées par des affrontements fratricides entre les deux plus grosses factions du nationalisme palestinien. Pour porter du crédit à cet accord, le président de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas se rendra dans les prochaines semaines à Gaza ce qui n’est plus arrivé depuis le coup de force du Hamas en 2007. Pour le successeur d’Arafat, il s’agit là d’une victoire politique renforçant sa légitimité comme président de tout palestinien. Pour le Hamas, au contraire, il s’agit a priori d’un revers et d’un échec de sa stratégie militaire. Pourtant, cet accord peut très bien se révéler être beaucoup plus positif qu’il en a l’air. Il offre en effet au mouvement islamique à la fois une porte de sortie de son relatif isolément sur la scène internationale et également les moyens sur le long-terme de s’imposer durablement comme la principale force palestinienne.
L’échec de la stratégie du Hamas
Le Hamas, de son vrai nom mouvement de la résistance islamique (Harakat al-muqawama al-islamiya), est né en janvier 1988 en pleine intifada. Issu du mouvement panislamique des Frères Musulmans, le parti se distingue de l’OLP en prônant la création d’un état théocratique islamique se basant sur la loi coranique (la sharia). En cela, il est le produit d’une radicalisation du monde musulman en faveur d’un Islam politique et rigoriste qui fut visible dès les années soixante-dix et trouva un débouché en Iran avec l’Ayatollah Khomeiny et en Afghanistan avec le djihad contre les soviétiques. C’est donc dans cette logique que le Hamas publie sa charte en Août 1988 prenant appui sur des versets du Coran pour justifier l’expulsion ou les meurtres de juifs.
Le mouvement espère ainsi profiter d’un contexte arabo-musulman qui voit partout l’Islam politique gagner du terrain tandis que les mouvements laïcs connaissent un déclin qui semble alors inéluctable. Sa stratégie, définie sous l’impulsion du sheikh Ahmed Yassine, consiste alors en une lutte armée absolue et de tous les instants contre l’Etat hébreu. En 1994, au moment de l’accord d’Oslo, le Hamas commet une vague d’attentat en Israël faisant environ 500 morts et 4000 blessés. Mais cette stratégie connaît déjà un échec relatif lorsque Tel-Aviv a pris les mesures nécessaires pour mettre fin aux attentats de masse (réorganisation des services de renseignement, construction de barrières et de check-points). En outre, on peut se demander si in fine le Hamas ne fait pas le jeu d’Israël en contribuant à rompre l’unité palestinienne tout en affaiblissant l’image de son peuple.
Cette première stratégie de violence aveugle est donc un échec d’autant plus que la collaboration entre Israël et l’OLP a permis de liquider l’influence du Hamas en Cisjordanie. Replié dans son fief gazaoui, le mouvement islamique n’arrive pas à incarner un parti de rassemblement du peuple palestinien. Mis au pied du mur, le Hamas décide alors de changer de stratégie. Les attentats aveugles n’ayant eu guère d’impact, le parti choisit la stratégie de la « guérilla » qui consiste à contraindre Israël, aux moyens de tirs de roquette sur son territoire, à intervenir militairement dans la Bande de Gaza, le tout bien sûr dans l’objectif d’incarner la force de « résistance » du peuple palestinien. Le Hamas se met alors à créer une brigade de combattants, les brigades Al-Qassim, et utilise les tunnels clandestins avec l’Egypte pour recevoir du financement et de l’armement en provenance de l’Iran et de la Syrie.
On peut voir d’ailleurs dans la mort du sheikh Yassine (Mars 2004) le moment du retournement de stratégie. Dans un premier temps, cette stratégie semble être payante. Israël se retire de la Bande de Gaza en 2005 puis le Hamas remporte largement les élections en 2006 avant enfin que trois conflits avec l’Etat hébreu (2008, 2012, 2014) donnent à ce parti une aura impressionnante dans le monde arabe.
Cependant, cette stratégie commence à montrer ses limites. Premièrement, l’Etat Hébreu a imposé en 2007 un blocus sur la Bande de Gaza suite à l’enlèvement du soldat israélien Gilad Shalit. Le Hamas réussira quand même à se fournir en armes via le passage de Rafah avec l’Egypte mais le blocus a contribué à saper ses moyens militaires. De plus, à partir de 2011, la Syrie, alliée du Hamas, entre en guerre civile tandis que l’Iran a les yeux tournés vers le théâtre syro-irakien. Délaissé par la Syrie et l’Iran, le mouvement islamique pouvait encore compter sur l’Egypte du président Morsi. Hélas, son renversement en 2013 par des militaires hostiles aux Frères Musulmans entraîna la fermeture des tunnels reliant Gaza à l’Egypte et ainsi isola totalement le Hamas du reste du monde. Isolé et incapable de se ravitailler en armes, le Hamas est d’autant plus dans l’impasse qu’Israël a créé un système ultra-performant de missiles anti-roquettes rendant la stratégie du parti totalement illusoire.
La guerre de 2014 a mis justement en avant l’échec de la stratégie du Hamas décidée en 2004. Enfermé dans son réduit gazaoui, le mouvement islamique a été incapable de modifier le rapport de force avec Israël.
Un accord inter-palestinien avantageux pour le Hamas
Le Hamas a donc abordé l’année 2017 dans une position d’extrême faiblesse. L’accord du 12 Octobre lui permet néanmoins de sortir de l’impasse dans laquelle il s’est mis depuis 2004 et ce pour trois raisons.
La première, c’est que l’accord rompt l’isolement du mouvement islamique. Longtemps dépendant du soutien du bloc chiite (Iran, Syrie, Liban), le Hamas peut grâce à cet accord de réconciliation trouver de nouveaux appuis au Moyen-Orient, particulièrement la Turquie, les monarchies du Golfe et l’Egypte. Ce dernier pays est essentiel car lui seul est en mesure d’alléger le blocus de la bande de Gaza. Le parti islamique souhaite également profiter de l’accord pour améliorer son image à l’international espérant par exemple se voir retirer de la liste des organisations terroristes de l’Union Européenne. S’il obtenait gain de cause, il est clair que le Hamas augmenterait de manière substantielle sa légitimité au niveau international.
La seconde raison de se réjouir pour le Hamas provient du fait que l’accord prévoit la reconnaissance du Hamas en Cisjordanie. En d’autres termes, la police de l’OLP ne collaborera plus avec la police israélienne pour détruire les cellules du mouvement islamique. Ce dernier pourra dès lors beaucoup plus facilement organiser ses activités et développer des réseaux ou encore aura le droit de publier ses idées à Hébron ou à Ramallah. Les services israéliens auront de fait beaucoup moins de latitude pour s’occuper des cellules clandestines du mouvement islamique. Cette partie de l’accord est d’autant plus intéressante que le Hamas compte bien surfer sur la frustration liée à la colonisation israélienne dans une région où il apparaît comme un mouvement neuf contrairement à l’OLP.
Enfin, l’accord a pour objectif de préparer des élections générales sur l’ensemble du territoire palestinien dans les prochaines années. Or, en conservant une forte influence à Gaza, le mouvement peut compter sur le soutien d’au moins deux cinquième de la population palestinienne. Il faut également ajouter qu’en étant autorisé par l’OLP en Cisjordanie, le Hamas sera en mesure d’y faire campagne et risque très probablement de séduire un électorat jeune déçu par l’autorité palestinienne. Par conséquent, l’accord ouvre la voie à une prise de pouvoir démocratique du Hamas ce qui pourrait modifier totalement la donne au Proche-Orient. S’ensuivrait dès lors un véritable tremblement de terre diplomatique de Tel-Aviv à Washington en passant par le Caire.
On s’aperçoit donc que l’accord inter-palestinien est une opportunité exceptionnelle pour un Hamas qu’il y a encore quelques mois se demandait bien comment sortir de l’impasse. Au fond, en rompant son isolement, l’accord est une « divine surprise » pour le mouvement islamique. Reste bien entendu que les modalités de l’accord n’ont pas été déterminées et qu’un accord similaire avait été signé en 2014 sans être appliqué. Néanmoins, il ne fait guère de doutes que le Hamas est le grand vainqueur de l’accord du 12 Octobre.